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J'accuse: avec force!

Il y a des thèmes récurrents dans. Isabelle Boulay, les bas gris avec des barres rouges et blanches, Casse-Noisette. Il y a surtout un discours d'une grande profondeur, cinq monologues qui se répondent et qui forment un tableau unique, à la fois discordant et harmonieux, de la condition féminine.
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S'il y a un lien à établir entre le J'accuse d'Émile Zola publié à Paris dans le quotidien L'Aurore en 1898 et le J'accuse d'Annick Lefebvre présenté au Théâtre d'Aujourd'hui, c'est que les deux auteurs se portent à la défense d'opprimés et de gens injustement accusés.. Pour Zola, c'est le juif Alfred Dreyfus, trouvé coupable de haute trahison par l'armée française parce qu'il est juif et alsacien de surcroît, pour Annick Lefebvre, ce sont des jeunes femmes qui n'ont pas à se forcer beaucoup pour se trouver coupables de toutes sortes de choses et à qui elle donne la parole. Et qui se révèlent toutes plus étonnantes les unes que les autres dans leurs propos.

Et opprimées, elles le sont. Elles n'ont pas de nom, elles sont à tour de rôle La fille qui...encaisse, agresse, intègre, adule, aime. Dans des monologues puissants et denses, remplis d'un sentiment d'urgence, les cinq comédiennes vont venir nous raconter des anecdotes de leur vie, nous asséner quelques vérités et déballer leur cœur et leurs émotions. Je dois dire que j'ai été conquise.

Je parlais de densité. J'ai acheté le texte de la pièce, car il faut y revenir à tête reposée, on ne peut pas tout saisir du premier coup, dans le feu du moment théâtral. Annick Lefebvre écrit de très longues phrases remplies d'une foule de détails et de références de toutes sortes. Ma tête tourbillonnait le soir de la première. Avec le texte en main, je peux déguster et décanter.

Ce texte, donc, riche, songé, exfoliant, aux envolées remplies d'une poésie grave et terre-à-terre, donne la parole à ces cinq femmes nées au début des années 80 qui ont toutes quelque chose à dire, à condition qu'on les écoute. La mise en scène de Sylvain Bélanger, dépouillée à souhait, laisse toute la place à la parole. Car ces femmes sont habitées par une révolte sourde, consciente du matérialisme du monde dans lequel elles baignent, conscientes aussi que ne pas être aimé rend féroce. Elles sont parfois très drôles et je pense à Debbie Lynch-White qui incarne la fan finie d'Isabelle Boulay et qui interpelle Annick Lefebvre en tentant de lui faire comprendre que son amour pour la chanteuse est pur et qu'il vient de ce qu'elle, la groupie, a de mieux en elle. Parce que si on rit, on est aussi confronté à de cuisantes constatations.

Alice Pascual, en immigrante super-intégrée bien qu'elle n'ait pas été élevée avec Passe-Partout, veut tout savoir de la culture québécoise et nous met avec beaucoup de verve en face de nos propres lacunes et de notre indécrottable médiocrité. Catherine Trudeau avec son discours de droite, mais peut-être pas tant de droite que cela après tout n'est qu'un cri du cœur en faveur de la classe moyenne qui fait remonter à la surface les pensées que l'on s'efforce de cacher, les clichés qu'on serait gêné d'exprimer et que nous refoulons bien profondément pour ne laisser percevoir que notre discours bien-pensant, tolérant et cool qui n'est peut-être là que pour dissimuler notre peur viscérale du changement. Ève Landry (bien différente ici de notre Jeanne Biron chérie d'Unité 9) émet tout le fiel qu'elle peut face à ces femmes professionnelles et bien nanties à qui elle vend des accessoires de luxe dans une boutique chic et qui la méprisent sans se cacher parce qu'elle n'est qu'une vendeuse. Alors que cette fille est une écorchée vive, désespérée de ne plus trouver rien de beau. C'est Léane Labrèche-Dor, la fille qui aime, dévastée par une rupture, qui va clore le spectacle. En ruine qu'elle est, ça c'est sûr, mais elle survit car il y a d'autres façons d'aimer. Et il y a aussi que la souffrance nourrit la créativité.

Il y a des thèmes récurrents dans J'accuse. Isabelle Boulay, les bas gris avec des barres rouges et blanches, Casse-Noisette par les Grands Ballets. Il y a surtout un discours d'une grande profondeur, cinq monologues qui se répondent et qui forment un tableau unique, à la fois discordant et harmonieux, de la condition féminine. Le tout mêlé d'un immense amour de l'auteur pour ces personnages qu'elle veut guérir de l'égoïsme, de la solitude et du désenchantement. La condition féminine, c'est aussi la condition humaine, n'est-ce pas?

J'accuse : au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 9 mai 2015.

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