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«Habiter les terres»: oui, mais comment?

Comme les terres de roche de Guyenne, ce texte se rapproche davantage du minéral que de l'humain. Ce qui aurait dû être plein de sève, de vie et de tendresse se révèle, hélas, tristement aride.
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Remarquez, c'est peut-être moi qui suis idiote. Mais lorsque je vois une pièce de théâtre et qu'après quinze ou vingt minutes je commence à me demander de quoi on veut me parler au juste, je pense qu'il y a un problème. Dans la vie en général, je vais, brandissant le droit le plus absolu à la limpidité.

Le propos est donc assez nébuleux dans ce Habiter les terres de Marcelle Dubois présenté aux Écuries. L'histoire, après décryptage, est celle d'une petite communauté de l'Abitibi qui doit quitter son coin de pays à la suite d'une décision gouvernementale jugée totalement arbitraire.

En guise de protestation, les habitants de Guyenne (qui existe pour de vrai) vont kidnapper le ministre responsable et lancer un ultimatum aux autorités, aidés en cela par une outarde audacieuse et un ours sympa. La cause est noble; les fermetures de villages qui se sont déjà produites au Québec et qui ont fait la manchette dissimulent toujours des drames humains auxquels nous sommes tous sensibles. Mais c'est dans la manière de nous raconter cela que le bât blesse.

D'entrée de jeu, on fait allusion à la spécificité propre à ces gens du nord qui cultivent des terres de roches et d'épinettes, pour qui le quatre-roues, la viande d'orignal et les bleuets font partie de l'ADN. On qualifie Guyenne de Pays de l'impossible où les habitants ont fait preuve d'un courage et d'une obstination peu communs pour s'établir et vivre dans ce lieu inhospitalier, où ils ont apprivoisé peu à peu une nature hostile. Mais.

Marcelle Dubois a choisi un mélange de réalisme et de lyrisme pour illustrer son discours. Ce qui donne des ruptures de ton où manifestement les comédiens ne sont pas très à l'aise. Ils doivent passer plus souvent qu'autrement de l'accent régional au langage châtié de l'envolée poétique. Essayez donc, pour voir, de mélanger la parlure d'un patelin à l'abstraction et à la métaphore obscure. Vous m'en donnerez des nouvelles. Ce qui a aussi comme résultat que rien n'est clair, l'histoire est difficile à suivre en diable, ça m'a pris un moment avant de comprendre que le ministre kidnappé venait justement de Guyenne. Et si, au début de la pièce, on fait allusion aux Amérindiens, après on entend plus parler du tout des Premières nations. Comme si on avait décidé de mettre ça pour faire joli, parce que c'est à la mode, dans le Zeitgeist.

Le décor est réduit à sa plus simple expression et n'est pas très imaginatif. Les navets par terre (parce qu'on cultive les navets à Guyenne) m'ont considérablement énervée, j'étais terrorisée à l'idée qu'un comédien trébuche sur l'un d'entre eux. La mise en scène choisit beaucoup l'évocation, entre autres lors de l'abattage des poulets, et ce n'est pas très réussi. Les comédiens font ce qu'ils peuvent avec ce texte hésitant qui ne se décide pas à choisir un ton.

Il y a Félix Beaulieu-Duchesneau en ministre qui a un petit moment pendant lequel il peut exprimer son talent mais le reste est tellement décousu avec des épisodes poético-philosophiques sortis on ne sait d'où et des apartés où l'ours et les outardes s'en mêlent, que personne ne peut se démarquer dans cette production. Le pire c'est que Habiter les terres ne réussit pas à véhiculer une émotion convaincante, à nous faire prendre parti pour ces gens que l'on veut déraciner. Leur sort m'a laissé indifférente et je suis sûre que ce n'était pas le but de l'auteur.

Il y a un monde entre ce que l'on veut dire et comment on veut le dire. Habiter les terres est une suite de palabres pas du tout étincelants qui émane d'une bonne intention mais qui s'est fourvoyée en chemin et où l'équilibre de l'écriture n'a pas été trouvé. Comme les terres de roche de Guyenne, ce texte se rapproche davantage du minéral que de l'humain. Ce qui aurait dû être plein de sève, de vie et de tendresse se révèle, hélas, tristement aride.

Habiter les terres, une production du Théâtre des Porteuses d'aromates et du Théâtre du Tandem, aux Écuries jusqu'au 27 février 2016.

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