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«Guérillas Humour et Compassion»: mère et fille

Anna Fuerstenberg a écrit là une histoire d'amour d'abord à sens unique puis réciproque. C'est une belle histoire, mais qui aurait pu être plus grande et plus forte qu'elle ne croyait être.
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Les conflits entre mère et fille sont une source inépuisable d'inspiration pour qui veut écrire. Ça et les chagrins d'amour, la mort aussi, et les baleines. Guerillas Humour et Compassion, présenté au Studio Jean-Valcourt du Conservatoire d'art dramatique, une pièce d'Anna Fuerstenberg, traite justement de cette dynamique avec, comme originale toile de fond, une mère qui a vécu un million de choses indicibles lors de la Seconde Guerre mondiale.

Ce n'est pas une énième pièce sur l'Holocauste, et je reviendrai là-dessus, mais bien un hommage que rend la fille, Anna, à cette mère souvent inadéquate mais dont les lacunes peuvent s'expliquer de par la vie qu'elle a menée. Il y a la guérilla entre les deux femmes alors que la mère va dire qu'elle a survécu à deux guerres et à deux pogroms mais qu'elle a failli laisser sa peau lors de l'adolescence de cette fille rebelle, il y a l'humour et il y a la compassion. Et aussi beaucoup de compréhension face à ce destin de la mère, d'une difficulté inouïe, que la fille finira par écrire.

Car c'est bien de l'histoire de sa mère dont Anna Fuerstenberg se sert. Cette mère, une femme exceptionnelle, mathématicienne, cultivée, qui avait lu tout Victor Hugo et qui semblait aimer bien davantage son fils que sa fille. Le conflit de générations est ici exacerbé par les velléités artistiques d'Anna, totalement incompréhensibles pour sa génitrice, et par sa révolte face à une famille juive qui semble plutôt étouffante. Anna est partie très jeune de la maison afin de devenir ce qu'elle était, c'est-à-dire une femme de théâtre, extravagante, excessive, toujours à tout remettre en question, un peu folle aussi. Exactement comme sa mère. Mais une mère qui ne se souvenait jamais du jour de l'anniversaire de sa fille (elle est morte d'ailleurs ce jour-là même) et qui lui disait qu'elle n'avait pas assez souffert pour avoir le droit de pleurer.

La scène du Studio Jean-Valcourt est occupée principalement par des valises et quelques coffres, un lit aussi et un clarinettiste (Chester James Howard) qui accompagne les chansons en yiddish. Élizabeth Chouvalidzé, toujours excellente, campe cette mère pas possible avec ce qu'il faut de distance et d'auto-ironie. Odette Guimond est superbe en Anna avec une présence forte, physique, et une voix magnifique qui laisse parfois, un petit peu, percer l'émotion. Mariève Bibeau joue la jeune Anna ainsi que divers petits rôles souvent amusants et s'acquitte très bien du mandat. La mise en scène, également faite par l'auteur, sait délimiter l'espace, les différents lieux et les différentes époques de manière limpide afin que le spectateur s'y retrouve très facilement.

Mais cette pièce, qui est bonne on s'entend, aurait pu être une grande pièce. Je crois que cela tient au fait que les quelque 80 membres de la famille de la mère qui ont péri dans les camps n'ont pas de réalité. Il y a bien des photos projetées sur le rideau d'arrière-scène avant que la pièce ne commence, mais ce sont des fantômes et ce qui aurait pu apporter une substance supplémentaire aux anecdotes qui nous sont racontées, est escamoté. Je ne nie pas les infortunes sans nombre et les terribles situations où la famille d'Anna a manqué de tout en Ukraine, en Russie, dans les camps de réfugiés et dans un kibboutz avant de se retrouver à Montréal et de refaire leur vie, traumatisés à jamais. Mais de rendre palpable l'absence de tous ces gens aurait ajouté une épaisseur à ce texte. On fait allusion à eux à deux reprises, en passant, alors que leur mort a certainement défini l'existence de ceux qui sont restés vivants. Je n'aurais jamais cru pouvoir dire cela, mais malgré toutes ces choses épouvantables qui nous sont racontées, le ton demeure léger, jamais larmoyant, mais aussi sans pathos et sans profondeur.

Cette difficile relation mère-fille va finalement tourner pour le mieux. Anna Fuerstenberg a écrit là une histoire d'amour d'abord à sens unique puis réciproque. C'est une belle histoire, mais qui aurait pu être plus grande et plus forte qu'elle ne croyait être.

Guérillas Humour et Compassion : Une production du Réverbère Théâtre, Au Studio Jean-Valcourt du Conservatoire d'art dramatique, 4750 Henri-Julien, Montréal, jusqu'au 22 novembre 2015.

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