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Gamètes: la beauté de l'amitié féminine

Rebecca Déraspe propose, un texte à la fois tendre et féroce, un texte qui présente deux jeunes femmes intelligentes et absolument crédibles dans leurs interrogations et leur désarroi lorsque la vie fait un croc-en-jambe à l'une d'entre elles.
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J'ai beaucoup, beaucoup aimé cette production des Biches pensives présentée à La Licorne. L'auteure, Rebecca Déraspe, nous propose avec Gamètes un texte à la fois tendre et féroce, un texte qui présente deux jeunes femmes intelligentes et absolument crédibles dans leurs interrogations et leur désarroi lorsque la vie fait un croc-en-jambe à l'une d'entre elles. Et c'est l'une des rares fois où je vois au théâtre une représentation puissante et vraie de l'amitié féminine.

Lou (Annie Darisse) et Aude (Dominique Leclerc) ont eu un coup de foudre d'amitié lorsqu'elles étaient à la garderie, coup de foudre qui ne s'est jamais démenti à travers les émois de l'adolescence, les tâtonnements de l'âge adulte et les tempêtes de la vie. Cette amitié c'est leur stabilité et leur roc. Le texte, qui effectue des va-et-vient entre les différentes époques vécues par les jeunes femmes, rend formidablement leur évolution et les changements qu'elles ont pu vivre. Mais c'est aussi un texte assorti de répliques impitoyables et de constatations lucides qui savent mettre en valeur la complicité indéfectible des deux amies. Je me disais pendant la pièce que les deux comédiennes devaient être aussi amies dans la vie, tant la chimie entre les deux opère.

Aude, qui est ingénieur et en couple avec David, apprend qu'elle porte un enfant trisomique. Lou, journaliste et féministe, va tenter de la persuader d'avorter cet enfant qui, selon elle, va gâcher sa vie. Aude devra abandonner le combat, cesser de se battre contre les préjugés attachés à la présence d'une femme dans un milieu presque essentiellement masculin, elle va se perdre à torcher le petit et le plancher et oublier qui elle est. Aude se défend, bien sûr, et de part et d'autre les arguments ont plein d'allure.

Les deux amies abordent des thèmes terriblement présents dans notre monde : le consentement sexuel, la jouissance féminine, la répartition des tâches dans un couple, le sexisme larvé et la grande, immense question de la maternité. Est-ce que le fait d'être mère comble une femme? Est-ce que cela devrait la combler? Est-ce suffisant pour remplir une vie? Est-ce qu'avoir des enfants est une fin en soi ou un moyen pour atteindre quelque chose d'autre? Tout cela posé intelligemment et avec sensibilité et avec aussi beaucoup d'humour et d'esprit.

Le décor et les costumes de Elen Ewing soulignent le texte avec une pertinence tout en clin d'œil : des panneaux de couleur pastel occupent le fond de la scène, mais ils sont aussi anguleux; les vêtements portés par les deux comédiennes sont imprimés de motifs noir et blanc assemblés comme un patchwork qui reflètent les émotions de Aude et Lou avec leurs angles aigus, mais aussi leurs courbes douces. La mise en scène de Sophie Cadieux est rythmée et sa direction de comédiennes parfaitement adaptée au texte avec ses moments forts, drôles ou touchants qui font l'apologie de cette amitié, de ce lien unique qui lie les protagonistes, qui les rejoint et les unit dans l'intime comme dans la représentation sociale. Et il est difficile de résister à l'harmonie de cette mélodie.

Rebecca Déraspe se donne le défi de dépasser un certain discours féministe qui enferme les femmes dans de nouveaux clichés et d'explorer les avenues de l'amitié profonde qui unit Aude et Lou.

C'est écrit et rendu avec vivacité, énergie, drôlerie et conviction. Et avec du sentiment sans jamais tomber dans le mielleux. Rebecca Déraspe se donne le défi de dépasser un certain discours féministe qui enferme les femmes dans de nouveaux clichés et d'explorer les avenues de l'amitié profonde qui unit Aude et Lou. Aidé en cela par la mise en scène et par deux merveilleuses comédiennes, le résultat est une pièce vibrante et forte qui m'a fait encore prendre davantage conscience des difficultés d'être une femme malgré le (relatif) chemin parcouru. Rebecca Déraspe nous prodigue une morale de la femme debout aux prises avec des tonnes de contradictions bien évidemment, mais qui connaît des moments salvateurs grâce au frémissement nécessaire et essentiel de l'amitié.

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