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«Fendre les lacs»: l'intensité magique

C'est une histoire dense, un voyage au bout de l'inouï, magique pourtant, racontée avec panache et conviction dans cette langue qui caractérise son auteur, mélangeant le lyrisme et le vernaculaire avec aplomb.
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Dans une petite communauté au bord d'un lac, la matriarche Adèle trouve dans la forêt le corps du mari d'Emma. Cet événement tragique sera le déclencheur qui mettra au jour les fissures dans ce monde à la géographie familière où les émotions vont se déchaîner.

Les comédiens sont uniformément bons dans ce huis-clos où Steve Gagnon, avec Fendre les lacs aux Écuries, explore avec fécondité les tempêtes et les vertiges de la vie. Aucun chagrin n'est absurde, aucune douleur n'est minime. Dans un texte construit impeccablement, des personnages au bord du néant vont évaluer la nécessité de faire un pas en avant, d'éviter ou d'accepter l'anéantissement.

La scénographie de Marie-Renée Bourget Harvey est une splendeur. On est littéralement sur le bord d'un lac, avec les clapotis et les bruissements de l'eau, avec ce sentiment apaisant d'infini que l'on éprouve parfois, assis sur un rivage, à ne rien faire que de regarder le temps passer.

L'espace est utilisé à son maximum, de façon ingénieuse et poétique, contribuant ainsi à l'atmosphère à la fois onirique et réaliste dans laquelle nous plonge le texte. On ne pouvait demander mieux.

Je l'ai dit, tous les comédiens sont excellents mais certains se démarquent. Louise (Claudiane Ruelland), messagère d'une grâce trop fragile, va faire l'une des plus belles déclarations d'amour qu'il m'ait été donné d'entendre. Un élan plein d'images et de métaphores incroyablement belles livré avec une éloquence sans pareille qui ne va pas hélas susciter la réaction qu'elle aurait souhaitée.

Véronique Côté joue le rôle d'Emma, veuve maintenant et mère d'un garçon dont les inquiétants agissements la dépassent. Cette comédienne exploite ici un registre que je n'avais jamais observé chez-elle et qui la fait entrer définitivement dans la cour des grands. Elle est remarquable dans ce personnage de femme brisée qui tente de ramasser les lambeaux épars de sa vie.

Pierre-Luc Brillant incarne Martin, cet homme qui revient après une longue absence et qui a vécu dans la maison en face de celle d'Emma un drame épouvantable. Emma et lui vont dialoguer, s'aider, partager cette souffrance qui leur est commune avec toujours ce sentiment, comme le dira Martin, d'être enfermés dehors... Élie (Karine Gonthier-Hyndman) est celle qui veut s'en aller, quitter ce lieu trop chargé pour elle. Même si elle éprouve des sentiments pour Christian (Renaud Lacelle-Bourdon) qui la supplie de rester.

Mais ce qui frappe surtout, c'est que tout ce qui se passe, tout ce qui se dit, est plus grand que chacun des personnages. Dans chacun d'entre eux se trouve une partie de cet univers où ils évoluent et c'est la somme de leurs émotions, de leurs sentiments, de leurs expériences qui compose la palette que Steve Gagnon a choisi de nous montrer dans toute son ampleur et toute son ambivalence. Un miracle que j'attends chaque fois que je vais au théâtre, qui ne se produit pas toujours, mais qui me surprend et me ravit au-delà des mots lorsque cela arrive.

Je pense que Steve Gagnon, après Ventre et En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s'arrête pas est en train de construire une œuvre. Sa mise en scène, comme son texte, est intense et sans pitié pour les comédiens qui doivent être épuisés après la représentation.

C'est une histoire dense, un voyage au bout de l'inouï, magique pourtant, racontée avec panache et conviction dans cette langue qui caractérise son auteur, mélangeant le lyrisme et le vernaculaire avec aplomb. C'est de cette façon, avec cette langue, qu'il nous restitue la genèse de la sensation. Et c'est très réussi puisque nous nous retrouvons remplis d'une fascination envoûtée pour ces personnages et pour ce lac.

La fin de Fendre les lacs est remplie d'espoir. Élie s'en va. Adèle lui dit de ne pas oublier qu'elle vient d'un pays glorieux où les lacs portent son nom. Et nous, nous avons l'impression en quittant le théâtre que ce n'est pas une histoire que l'on quitte, mais bien un monde.

Fendre les lacs, une production du Théâtre Jésus, Shakespeare et Caroline, aux Écuries jusqu'au 26 mars 2016 et au Théâtre Périscope, à Québec, du 12 au 30 avril.

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