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Ennemi public: la faute à qui?

Je peux vous assurer que vous n'avez jamais rien vu de pareil. Pour les thèmes, peut-être, ça oui, mais pour le traitement et la mise en scène,est un magnifique et étrange ovni dans le ciel de la littérature théâtrale.
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J'ignorais jusqu'à ce jour que la scène du Théâtre d'Aujourd'hui pouvait pivoter. C'est vous dire. Et ce ne fut pas là le seul sujet d'étonnement de la représentation d'Ennemi public d'Olivier Choinière, ce surdoué de la dramaturgie.

Je puis vous assurer que vous n'avez jamais rien vu de pareil. Pour les thèmes, peut-être, ça oui, mais pour le traitement et la mise en scène, Ennemi public est d'après moi un magnifique et étrange ovni dans le ciel de la littérature théâtrale. Un événement, quelque chose d'unique, à voir absolument.

J'ai pensé : Tchekhov sur l'acide. Cette famille, la grand-mère, ses 3 enfants, autour de la table de la salle à manger, les deux petits-enfants dans le séjour à côté, tout à fait typiques, profondément d'ici et de maintenant, en qui on ne peut faire autrement que de se reconnaître. Tchekhov sur l'acide parce que les adultes parlent tous en même temps, abordent les sujets les plus divers, de l'état de la langue et de l'inculture des commentateurs et critiques de la télévision de Radio-Canada (on donne des noms) aux chroniqueurs du Journal de Montréal en passant par ceux de la radio privée, personne ne trouve grâce à leurs yeux. Tout le monde gueule, personne n'écoute, il n'y a aucune analyse, on se croirait dans Les bijoux de la Castafiore d'Hergé, la parfaite métaphore de l'incommunicabilité. Et avec toutes ces conversations qui se font en même temps, toutes ces interactions et interventions superficielles qui se résument souvent à un bout de phrase, on en perd nécessairement des grands bouts. Ce qui est sûrement voulu.

Pendant ce temps, car on refait la même scène, mais du point de vue de la salle de séjour (merci, la scène tournante), on se retrouve avec l'ado et la petite fille de 10 ans. On essaie en cachette de jouer à son jeu vidéo sur son téléphone même si le père l'a interdit, on raconte des histoires d'ados, on a peur du rat qui se cache peut-être dans le divan, on se chicane pour la manette de la télévision où on ne trouve que 20 chaînes, quelle horreur.

Le troisième lieu est le balcon. La petite Aurélia y passera un intermède poétique, étrange, quasi surréaliste avec un écureuil. Qui dira la solitude de cette enfant qui comprend bien davantage que ce qu'elle laisse entrevoir?

Les adultes vont commenter sur tout, n'importe comment. Lac Mégantic. Lucas Rocco Magnotta, Guy Turcotte, le voile islamique, les théories du complot du 11 septembre, les immigrants qui ne parlent pas français, dans un salmigondis sans queue ni tête. Ils se mettront tous d'accord, cependant, sur une chose : le frère qui n'a pas d'allure, qui habite toujours chez la mère, qui ne fait rien de sa vie.

Muriel Dutil est fabuleuse, comme toujours. Brigitte Lafleur, Frédéric Blanchette et Steve Laplante sont toujours justes, parfaits dans leurs rôles d'enfants adultes qui ne manifestent pas très subtilement le désir de contrôler leur mère et de décider ce qui est le mieux pour elle. Chapeau aux deux véritables enfants, Alexane Jamieson qui, pour son jeune âge, fait preuve d'une maîtrise et d'un contrôle remarquables, et Alexis Plante dont l'ado-grand-échalas est complètement crédible et authentique. S'ajoutera Amélie Grenier, en descendante d'immigrants polonais, québécoise depuis deux générations, stridente, vulgaire, sans filtre aucun qui représente peut-être le genre d'intégration à notre société qu'on ne souhaite pas tant que ça...

C'est Stendhal, je crois bien, qui parlait de promener un miroir le long du chemin afin de rendre compte de l'air du temps dans les œuvres littéraires. C'est ce qu'Olivier Choinière fait, de façon percutante et l'image reflétée dans le miroir n'est pas jolie, jolie. Sa mise en scène est réaliste, mais remplie de tableaux, de symboles, d'images très fortes qui restent avec nous. Et qui reviennent nous hanter.

À la fin, la grand-mère quitte son condo pour une résidence de personnes âgées. Ses enfants vident la bibliothèque et se demandent qui est Saint-Denys-Garneau. L'un d'entre eux va expliquer aux autres L'affaire Coffin, ce livre de Jacques Hébert qui dénonçait une imposture judiciaire qui, à ce jour, n'a toujours pas été résolue. On va garder le meuble, mais pas les livres. Allez! Tous à la poubelle! Mémoire évacuée, culture inutile, perte de temps. Car pour Olivier Choinière la devise du Québec semble vraiment, de plus en plus, être Je ne me souviens pas. Et aussi bien le dénoncer.

Ennemi Public : au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 21 mars 2015.

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