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«Encore une fois si vous le permettez»: mère et fils

C'est un hommage à Nana, à cette mère dont Michel Tremblay reconnaît l'influence fondamentale et de première importance.
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Ça me jette par terre lorsque je pense à ces jeunes gens qui, dans leur vingtaine, ont créé des trucs incroyables. Ça peut être les Beatles qui, à 27 ans, ont composé des chansons comme She's leaving home ou For no one. Ou Egon Schiele, mort à 28 ans, après une carrière de peintre aussi sulfureuse qu'inoubliable. Ou Moshe Safdie qui élabore les plans d'Habitat 67 d'après son mémoire de maîtrise de McGill. Ou Michel Tremblay. C'est dans la vingtaine qu'il a élaboré le gros œuvre d'un édifice théâtral traversé de fulgurances et marqué par la présence de personnages dont la souffrance et l'aliénation, plus vraies que vraies, sont à jamais inscrites dans notre imaginaire collectif.

Encore une fois si vous le permettez, présentée au Théâtre Jean-Duceppe, est la clef de voûte, le point d'orgue de cette œuvre. C'est l'occasion pour le dramaturge de donner toute la place à la principale influence de sa vie, à celle qui l'a incité à laisser la bride sur le coup de son imagination, à lire et à écrire, à devenir ce qu'il était. C'est un hommage à Nana, à cette mère dont Michel Tremblay reconnaît l'influence fondamentale et de première importance.

La mise en scène de Michel Poirier laisse la place aux deux personnages et les dirige avec le doigté qu'il fallait afin qu'ils ne sombrent pas dans la caricature. Dans le décor minimaliste mais diablement efficace d'Olivier Landreville où, sur un carrelage noir et blanc sont disposées une table et des chaises chromées, le fils (Henri Chassé) et la mère (Guylaine Tremblay) vont rejouer des épisodes de leur vie, le fils grandissant, passant de 10 à 13 à 16 et puis à 18 ans.

Du chantage émotif typiquement maternel (tu vas finir en prison, les mère ça sait tout, tu vas me faire mourir) jusqu'aux discussions sur la littérature, petite et grande (leur analyse de Patira de Raoul de Navery, livre que j'ai lu dans ma jeunesse, est particulièrement savoureuse) en passant par les tentatives de la mère de répondre aux questions incessantes de son fils en supputant, élaborant des hypothèses, proposant des théories et parfois en inventant, se dessine une formidable complicité, de celles qui valident toute une vie.

Henri Chassé est parfait (sauf au début, lors du prologue, où il semblait un peu chancelant) et Guylaine Tremblay apporte tout ce qu'il faut à ce rôle: le bagout, l'humour, cette sensibilité qui n'ose pas se montrer, et surtout le souffle qui l'emporte lorsqu'elle se met à raconter une anecdote qui prend des proportions homériques. Car Nana a le sens du punch et à bien y penser elle aussi aurait pu écrire des pièces de théâtre.

La pièce est aussi un retour sur une époque révolue où la télévision de Radio-Canada permettait à tout le monde d'entrer en contact avec de grandes œuvres lors de la diffusion d'émissions comme les télé-théâtres le dimanche soir, où on pouvait voir des œuvres comme Un mois à la campagne de Tourgueniev à laquelle on fait allusion dans la pièce. À l'époque où le diffuseur public faisait ce qu'il devait faire, quoi.

Nana se demande à la fin si elle n'a pas laissé trop lire cet enfant, si elle ne l'a pas laissé regarder trop de télé-théâtres, si elle ne l'a pas laissé trop rêver. En fait, je crois qu'elle se demande en fait si elle ne l'a pas trop aimé. Ou aimé comme il le fallait. Qu'elle soit rassurée, si elle est quelque part. Car le projet balzacien de son fils, Michel Tremblay, nous communique toute la richesse de l'aventure humaine. Surtout à travers ce personnage de Nana, inoubliable grosse femme d'à côté. La mère que nous connaissons tous: mère nourricière, de nourritures terrestres et intellectuelles, mère universelle dont les propos résonnent dans toutes les cultures; mère imaginée et mythifiée, magnifiée par l'amour filial qui sait ce qu'il lui doit; mère éternelle immortalisée par le fils dans une œuvre que nous serons encore longtemps à revisiter. Si une mère peut dire que sa plus belle œuvre c'est son enfant, ici c'est l'inverse qui est vrai.

Encore une fois si vous le permettez , au Théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 14 mai 2016.

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