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«Quills»: les infortunes de la vertu

Le marquis de Sade de Robert Lepage est un être retors, spirituel, extrêmement intelligent. On disait que ses écrits poussaient les hommes au meurtre et provoquaient des fausses-couches chez les femmes.
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Dans ma jeunesse, j'avais refusé d'aller voir Salò ou les 120 journées de Sodome, le film de Pasolini tiré de l'œuvre du marquis de Sade. Des amis m'avaient raconté des passages du film et j'en avais fait des cauchemars. Par la suite, je n'ai jamais eu envie de lire les écrits du divin marquis, trouvant sa prose ampoulée et lui préférant des écrivains du 18e siècle à l'esprit moins pervers.

C'est une version quelque peu édulcorée que nous propose l'Usine C avec ce Quills qui a fait un malheur à Québec (et je comprends pourquoi) et qui ira en tournée en Europe. Une production dont nous n'avons pas à rougir tant la qualité est au rendez-vous.

Le marquis de Sade de Robert Lepage est un être retors, spirituel, extrêmement intelligent. On disait que ses écrits poussaient les hommes au meurtre et provoquaient des fausses-couches chez les femmes. Objet perpétuel de scandales et de polémiques, son œuvre a été beaucoup cantonnée en marge de la littérature, davantage considérée pour l'aspect psychiatrique et pour les comportements déviants qu'elle décrivait. La réputation sulfureuse du marquis n'est pas surfaite, il a passé trente ans de sa vie en prison et son œuvre fait état de toutes les pratiques érotiques possibles et imaginables et d'expérimentations sexuelles propres à faire frémir même les âmes les plus endurcies.

La pièce de l'américain Doug Wright rejoint Sade lorsqu'il est interné à Charenton, un asile d'aliénés où il se lie d'amitié (dans la vie comme dans la fiction) avec L'Abbé de Coulmier. (La pièce ne parle pas du fait que cet Abbé lui permettra de monter du théâtre avec les patients de l'institution. Sade pratiquant la thérapie par l'art, on ne s'attendait pas à ça, n'est-ce pas...) Licencieux et dépravé, il dérange infiniment le médecin en chef de qui il se moque quasi impunément et c'est à cet affrontement que nous allons assister sur la scène de l'Usine C.

Cette scène est occupée par un décor de miroirs, de verre et de plexiglas, alliant tout comme dans les costumes, l'ancien et le moderne. Ce décor se transforme en bureau, en luxueuse cellule ou en cachot avec les jeux d'éclairage et la multiplication des silhouettes. L'effet est saisissant, d'un esthétisme à couper le souffle. Les acteurs qui y évoluent sont tous formidables. Jean-Pierre Cloutier (qui a aussi traduit la pièce et l'a mise en scène en collaboration avec Robert Lepage) est un Abbé de Coulmier bienveillant, compréhensif, inquiet du bien-être de ses pensionnaires. Jean-Sébastien Ouellette, le médecin en chef, est l'image même du fonctionnaire corrompu qui ne supporte pas de voir son autorité remise en question. Érika Gagnon est délicieuse en épouse du marquis, usant de son charme pour manipuler et arriver à ses fins. Mary-Lee Picknell incarne Madeleine, la jolie lavandière qui n'est pas si naïve qu'elle le laisse croire ainsi que la femme infidèle du médecin-chef. Pierre-Olivier Grondin est le jeune architecte complice des abus du pouvoir et des détournements de fonds. Ils sont tous excellents et à la hauteur de l'éclat que diffuse Robert Lepage en divin marquis.

Cet homme prônait la liberté absolue face à la contrainte sociale. Sade est un homme des Lumières qui a défendu le peuple lors de la Révolution. Mais pour lui la liberté s'exprimait principalement dans une sexualité débridée et c'est la fornication qui constituait l'expérience commune à toute l'humanité. Plus on lui interdisait, plus il provoquait et c'est à plaisir qu'il piétinait Dieu, ses représentants et la morale restrictive de l'époque. Le libertinage constituait sa religion et on ne pourra jamais lui reprocher l'hypocrisie. Face à un pouvoir politique coercitif et aux interdits d'une Église qui privilégie l'esprit de Tartuffe, Sade conserve ses convictions et professe une idéologie dont il ne dérogera jamais, dénonçant les avanies de l'administration alors qu'il se vautre dans la fange. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il possède un cœur pur, mais cela m'a passé par l'esprit. Une espèce de cœur pur.

Cette production a de quoi nous faire tomber à genoux en poussant des cris d'admiration. Non seulement par sa très grande qualité, mais aussi par les idées et les thèmes qui y sont développés. Le résultat exerce une extraordinaire fascination provoquée par ce personnage inouï, plus grand que nature, ébouriffant et insensé incarné par un comédien d'exception. Le marquis de Sade avait très bien compris que le cul, bras-dessus bras-dessous avec l'argent, mène le monde.

Quills, une production Ex Machina, à l'Usine C jusqu'au 9 avril 2016.

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