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«Après»: pour peut-être comprendre. Un peu.

C'est un moment de théâtre terrible, car on est confronté à ce qui peut arriver de pire à des enfants: qu'un de leurs parents les tue.
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Je ne peux pas dire à propos d'Après de Serge Boucher, présentée au Théâtre d'Aujourd'hui, que j'ai aimé cette pièce. On ne parle pas comme ça, dans ce registre-là, de ce texte qui laisse le spectateur effaré et, je pense, sans voix. C'est un moment de théâtre terrible, car on est confronté à ce qui peut arriver de pire à des enfants: qu'un de leurs parents les tue.

Dans Après, incapable d'assumer la rupture d'avec sa femme, un ingénieur (Étienne Pilon) va tuer de sang-froid ses deux fils jumeaux et tenter de se suicider par la suite. Il se rate et se retrouve à l'hôpital où une infirmière (Maude Guérin) va s'occuper de lui. On peut supposer que d'autres personnes le voient et le soignent, mais c'est avec Adèle qu'un contact va s'établir, un lien se tisser. C'est à cela que nous assistons.

Le personnage de l'ingénieur m'a semblé inspiré par plusieurs cas similaires survenus au cours des dernières années: il y a du Guy Turcotte, mais aussi du Cathie Gauthier dans cette histoire. Et je crois que Serge Boucher s'est donné la mission de radiographier ce qui peut amener un parent à choisir l'infanticide. Il n'explique pas ni n'excuse. Il nous met face à un homme brisé qui a commis un geste irréparable et à une femme qui ne peut s'empêcher, comme toute la population d'ailleurs, de le juger. Mais ici, le meurtrier n'est pas présenté comme étant l'incarnation du mal. Tout comme Adèle, auréolée par sa réputation d'infirmière, ne vit pas uniquement dans l'abnégation. Nous avons tous des failles, nous dit Serge Boucher, qui se transforment, chez certains, en crevasses ou en gouffres.

Évidemment que c'est intense, tout ça. Ce huis clos de chambre d'hôpital dans un décor hyperréaliste de Jean Bard où la toilette et le lavabo fonctionnent (chapeau au consultant en plomberie Chrystian Tessier) et où chaque objet remplit la fonction à laquelle il est destiné, souligne le contraste entre le train-train familier et nécessaire des soins quotidiens prodigués par l'infirmière et la démesure des émotions qui ont conduit l'ingénieur à poser son geste. Notre regard n'est pas dépaysé, notre âme l'est.

À la mise en scène, René Richard Cyr est allé, avec raison d'ailleurs, vers la sobriété et l'économie. Il n'y a pas un geste ou un déplacement de trop qui distrairaient de l'impact du dialogue. Il a choisi aussi d'aller au noir entre chaque scène, certaines très courtes, qui marquent le temps qui passe et l'escalade des émotions, ce qui confère à l'ensemble une qualité quasi cinématographique et en amplifie le retentissement. Sa direction de comédiens est impeccable, mais il faut dire aussi qu'il avait devant lui du matériel de qualité.

Maude Guérin est sensationnelle. Son Adèle, qui donne sa vie pour soigner les autres, est une femme ordinaire qui ne peut s'empêcher de désapprouver les actes de son patient. Mais c'est aussi quelqu'un qui est incapable de dire non lorsqu'on lui demande quelque chose et qui refoule une rage inouïe. Petit à petit, ses réticences vont s'amenuiser, une complicité va s'installer, elle apportera à l'ingénieur un livre psycho-pop rempli de pseudo science afin de l'aider. Et elle lui confiera aussi des choses qu'elle n'a probablement jamais dites à personne. La comédienne nous fait parfaitement sentir cette évolution sans que cela semble forcé ou invraisemblable. Toute son humanité se retrouve dans cette violence rentrée qu'elle n'exprime pas et dans ce lien auquel elle consent.

Étienne Pilon nous propose de son côté le portrait d'un homme détruit qui a perdu le contrôle de sa femme et donc de sa vie. Il va décrire les meurtres de façon clinique, détachée, comme si c'était une autre personne qui les avait commis. Par contre, il va raconter un incident survenu dans son enfance et s'écrouler en sanglots. Encore là, c'est dans la nuance que le comédien évolue, ce n'est jamais trop ni pas assez; cet homme-là n'est pas un monstre génocidaire ni un psychopathe. Il est encore capable d'empathie et d'écoute comme il le démontre avec Adèle. Ce qui le pousse probablement, après les confidences qu'elle lui aura faites, à poser envers elle un geste surprenant. Pour la remercier ou pour la contrôler à son tour? Je me pose toujours la question...

Après est une pièce au rythme lent, mais qui passe très vite. C'est également quelque chose d'insondable, rempli de la tristesse navrante qui caractérise certains faits divers et qui continue de nous habiter longtemps. Serge Boucher a voulu peindre les degrés de la tragédie dissimulée dans la vie de ses deux personnages et, ce faisant, je crois qu'il a atterri au milieu d'une espèce de vérité.

Après, au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 19 mars 2016.

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