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Avant la retraite: à vous glacer le sang

L'Autriche est le berceau du nazisme, l'idéologie de tous les excès. Et, présenté au Perospero, nous lance en plein visage l'idée que le feu couve sous la cendre et qu'il n'en tient qu'à peu de choses pour que l'incendie se déclare.
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J'ai connu l'été dernier, dans d'improbables circonstances, une famille d'immigrés autrichiens venue s'installer au Canada. Des gens relativement à l'aise, instruits, cultivés, qui parlaient bien l'anglais, désireux disaient-ils de donner une meilleure vie à leurs enfants. Ce qui me titillait considérablement puisque l'Autriche n'est pas un pays émergent, loin de là, le niveau de vie est très élevé et les programmes sociaux bien en place. À les connaître davantage, je me suis rendu compte qu'ils étaient habités par un racisme et une intolérance auxquels je n'avais jamais été confrontée. J'ai entendu des commentaires sur notre absence de culture (!), sur le fait qu'il n'y avait rien d'intéressant à Montréal, que parler français n'était vraiment pas une priorité pour eux alors que leur attitude générale en était une de supériorité absolue, de mépris et de condescendance face à ce nouvel environnement où ils n'avaient aucunement l'intention de s'intégrer de quelque manière que ce soit. Inutile de vous dire que nous ne sommes pas devenus des amis et que je me suis lassée de tenter de leur expliquer que c'était formidable ici.

Dans le feu des conversations, j'avais parlé de Thomas Bernhard, le dramaturge autrichien décédé en 1989. J'ignorais à ce moment-là qu'il avait spécifié dans son testament que son théâtre ne pouvait être joué ou diffusé en Autriche pour les 50 années suivant sa mort. Maintenant je comprends.

L'Autriche est le berceau du nazisme, l'idéologie de tous les excès. Et Avant la retraite présenté au Perospero, nous lance en plein visage l'idée que le feu couve sous la cendre et qu'il n'en tient qu'à peu de choses pour que l'incendie se déclare. L'action se passe dans les années 70, mais, comme j'ai pu le constater dans ma vie, elle est toujours d'actualité.

La pièce est un huis clos, tout d'abord entre les deux sœurs, Véra (Violette Chauveau) et Clara (Marie-France Lambert) auquel se joint leur frère Rudolf (Gabriel Arcand), juge et président du tribunal. Rudolf prendra bientôt sa retraite, mais ce soir du 7 octobre est particulièrement important pour eux puisqu'ils célèbrent dans le secret l'anniversaire de Himmler, chef des SS, responsable des camps de concentration et maître d'œuvre de la solution finale. Je dis pour eux, mais Clara, clouée à un fauteuil roulant, est la fausse note de ce trio infernal. On lui reproche ses lectures et ses idées de gauche, on lui rappelle constamment la reconnaissance qu'elle devrait éprouver envers ce frère et cette sœur qui ne la placent pas dans une institution mais qui la gardent avec eux. Elle est le témoin, souvent silencieux et complètement dégoûté, des dérives idéologiques de sa famille, un rôle ingrat que Marie-France Lambert intègre grâce à ses regards et à ses expressions. En fait, elle est bien davantage juge que son frère ne peut l'être.

Sa sœur Véra est éperdue d'admiration devant Rudolph, suggérant d'ailleurs une relation qui va peut-être au-delà de l'amour fraternel. La fête prévue en l'honneur de Himmler, avec robe de bal et uniforme nazi, dérape complètement et tourne à la beuverie incontrôlée. Rudolf dira à Clara que des gens comme elle auraient été gazés s'il n'en tenait qu'à lui. Il mentionne aussi en passant que deux millions et demi de juifs sont morts à Auschwitz, qu'ils sont responsables de tous les malheurs de la planète et que la démocratie est une escroquerie. Les certitudes de Rudolf glacent le sang. Et lorsqu'il déclare que la majorité pense comme lui et qu'ils doivent le cacher, il y a comme un frisson qui vous court le long de la colonne vertébrale.

Gabriel Arcand est intense et rugueux, magnifique comme d'habitude. Violette Chauveau se révèle absolument convaincante dans son personnage à la fois autoritaire et servile. Le décor, avec ce piano de guingois, mais qui tient toujours, symbole il me semble de cette pensée d'extrême droite qui trouve encore des adeptes, recrée cette maison héritée des parents et où rien n'a changé parce qu'on s'attache à un passé qu'on aimerait voir renaître. La mise en scène de Catherine Vidal donne vie et texture à cette pièce lourde et quelque peu didactique. Le fait est que j'ai véritablement ressenti de l'horreur lors de la représentation. L'horreur devant ce que peuvent cacher les façades des maisons bourgeoises et devant un discours au-delà du malsain, mais qui est visiblement capable de trouver encore des adeptes aujourd'hui.

Avant la retraite : au théâtre Prospero, jusqu'au 13 décembre 2014.

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