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Auditions: Shakespeare est imbattable

Il est rare de constater qu'on peut associer le tragique et le désopilant au sein d'un même spectacle.réussit cet alliage de concepts dans une pièce remplie de surprises, de performances d'acteurs et d'extraits de Richard III de Shakespeare.
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On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

Il est rare de constater qu'on peut associer le tragique et le désopilant au sein d'un même spectacle. Auditions ou Me, Myself and I, présenté au Théâtre de Quat'Sous réussit cet alliage de concepts dans une pièce remplie de surprises, de performances d'acteurs et d'extraits de Richard III de Shakespeare. J'en suis sortie enchantée.

Comme le titre l'indique, le propos de la pièce, ce sont ces auditions que fait passer une metteure en scène (Dominique Quesnel) pour les rôles d'une production de Richard III. Il va sans dire qu'elle s'attaque à un gros morceau. On retrouve dans ce texte de Shakespeare tout ce que l'âme humaine peut receler de noirceur, de méchanceté gratuite et de soif incontrôlable du pouvoir. Richard III, ce bossu hideux qui se qualifie lui-même de difforme et d'inachevé ne trouve de plaisir que dans le malheur et la destruction de ceux qui l'entourent. Et nous assisterons, médusés, à l'osmose qui se produira entre la metteure en scène et le personnage principal de la pièce. Elle aussi se révélera capable de tyrannie, elle aussi assassinera (au figuré) son entourage.

Je me doute bien qu'il s'en passe des affaires, lors des répétitions pour une pièce. Le théâtre est un univers de gros egos, les discrets et les effacés sont plutôt rares et ce sont eux qui oeuvrent derrière le décor. Ainsi en est-il de l'assistante de Ricky, la metteure en scène. Vicky (Stéphanie Cradi) ne fait pas de vagues, sacrifie tout à son travail et fait preuve d'un dévouement sans faille. Jusqu'au moment où elle s'allume pour expliquer la généalogie des Plantagenêt et les tenants et aboutissants de la Guerre de deux roses opposant les York aux Lancastre qui a déchiré l'Angleterre au 15e siècle. Elle raconte tout cela au comédien Miki qui incarne Richard III (Philippe Cousineau), inculte et fat, qui passe son temps à demander si Richard III est le fils de Richard II. C'est un adorable moment, où personne évidemment ne comprend rien à cause d'une part de l'incroyable complexité de la chose, mais aussi parce que personne ne s'attend à ce que cette petite souris tranquille détienne un tel bagage de connaissances.

Les grands acteurs ne font jamais de grands humains, dira Ricky. C'est peut-être pour cela qu'elle les manipule et les torture sans vergogne, dont Niki (Marie-Laurence Moreau), celle qui doit jouer Lady Anne, qu'elle pousse dans ses derniers retranchements et dont elle se plaît à évoquer la douleur intime et privée. Elle tentera aussi de se servir de Kiki, sa mère, comédienne de théâtre elle aussi, jouée par une lumineuse et royale Lise Roy. Parce que Ricky va apprendre que, finalement, elle n'obtiendra aucune subvention pour mener à bien ce projet de monter Richard III. Le monde s'écroule alors, irrémédiablement.

Ce texte d'Angela Konrad est bourré de clins d'œil, avec entre autres la pièce dans la pièce comme dans Hamlet. C'est méta, autoréférentiel, post-moderne, très critique aussi de la façon dont on fait du théâtre ici, tributaires que sont les créateurs du carcan financier des grandes institutions et des gouvernements. Jamais didactique, mais plein d'enseignements, Auditions a été pour moi un moment de pur bonheur. Et, vous le savez bien, Shakespeare c'est dur à battre. Qu'un homme ait réussi à produire un tel corpus, un ensemble de pièces aussi somptueuses, variées, pleines de magie et habitées par une si profonde et grande humanité me laisse sans voix. Je m'incline avec admiration et respect devant le traitement d'Angela Konrad et devant le talent des comédiens qui ont accepté de vivre cette formidable aventure.

Auditions ou Me, Myself and I: une production de la Compagnie La Fabrik, au Théâtre de Quat'Sous jusqu'au 31 janvier 2015.

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