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As is: toujours aussi bon

Je le dis et l'affirme avec conviction :supporte très bien une seconde visite.
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Il peut se révéler périlleux de retourner voir une pièce de théâtre qu'on a beaucoup aimé. C'est comme pour un film chéri dans la jeunesse qui montre l'usure du temps (à moins que ce soit nous qui ayons subi ses outrages) et qui ne tient plus la route de notre émotion ou de nos sentiments. Je me souviens d'avoir gardé pendant des mois l'enregistrement de Cris et chuchotements de Bergman et d'avoir éprouvé une peur viscérale à l'idée de revoir ce film tant aimé trente ans plus tôt. Bon, finalement, je l'ai regardé. Et c'était encore mieux que la première fois. Le film était resté le même, je comprenais davantage de choses et je n'ai pas été déçue, bien au contraire.

J'ai vu As is (Tel quel) de Simon Boudreault au printemps 2014, au Théâtre d'Aujourd'hui, il y a donc presque 18 mois. J'en avais fait une critique dithyrambique, que l'on peut aller lire dans mes archives du Huffington Post Québec. Je suis retournée voir la pièce, présentée cette fois-ci au Théâtre Jean-Duceppe avec fils cadet, pas le plus grand amateur de théâtre au monde, disons. Ce qui prouve au-delà de tout doute qu'on ne fait vraiment pas ce qu'on veut avec nos enfants.

Je le dis et l'affirme avec conviction : As is supporte très bien une seconde visite. Revoir le jeune Saturnin (Jean-François Pronovost), étudiant en philosophie politique qui a lu Madame Bovary au complet, se retrouver au sein de cette petite communauté de l'Armée du rachat composée de gens qu'il n'a certes pas l'habitude de côtoyer et de qui il va apprendre un bon nombre de choses est tout aussi drôle. Que ce soit ce patron odieux et manipulateur (Denis Bernard) qui n'hésite pas à exploiter ses employés de toutes les façons imaginables, ce garçon surnommé Pénis (Marc St-Martin) minable et pitoyable dont la stupidité se réfugie dans des abysses et la souffrance vers des sommets, de cette ex-prostituée, Diane (Geneviève Alarie) dont la dureté dissimule des trésors de tendresse, de Suzanne (Marie Michaud), la mère de Pénis qui travaille pour l'Armée du rachat depuis 37 ans et qui regarde ce fils avec une effroyable lucidité, de Joanne (Catherine Ruel) coincée irrémédiablement dans une vie d'ignorance et de pauvreté ou du Gros Richard ( Félix Beaulieu-Duchesneau, qui n'est pas gros), alcoolique et drogué qui aime les pogos avec beaucoup de moutarde et qui s'invente un passé différent chaque jour afin d'expliquer sa déchéance. Simon Boudreault les a tous campés avec une terrible justesse. En quelques répliques ils sont parfaitement définis et leur drame va se dérouler sous nos yeux empreint d'une noblesse qui n'est pas sans rappeler les tragédies raciniennes. Prisonniers de leurs destins, ils ne peuvent rien faire pour y échapper, nous rappelant cette phrase de Shakespeare à l'effet que des dieux cruels nous font souffrir pour se divertir.

J'avais oublié la présence des musiciens sur scène. Michel F. Côté, Claude Fradette et Philippe Lauzier accompagnent les chansons qu'entonnent les comédiens, toujours présents, jamais de trop. Je ne me rappelais pas non plus de la voix off de la spécialiste en Ressources humaines qui donne des conseils sur la meilleure façon de s'intégrer à un nouveau milieu de travail. Ce qui est désopilant.

Et le décor complètement fou de Richard Lacroix prend encore plus d'ampleur sur cette scène plus vaste. Mais ce qui m'a encore davantage frappé c'est que toutes les théories du monde, aussi séduisantes soient-elles, ne peuvent rien contre la misère intellectuelle et affective dont souffrent les personnages de As is. Ces théories, que tentera d'appliquer Saturnin, plein de bonne volonté et qui souhaite sincèrement améliorer les conditions de vie de ses collègues, vont se révéler un échec retentissant. Saturnin réussit à remettre en question l'ordre établi mais le prix à payer sera démesuré. Et c'est ici que la métaphore du compacteur, qui broie les objets dont on souhaite se débarrasser à jamais, entre en jeu. Ce sont les travailleurs, leurs vies et leurs rêves qui sont broyés et détruits par cette implacable machine qu'est le capitalisme.

J'applaudis à cette initiative chez Jean-Duceppe de programmer cette pièce d'un jeune auteur québécois. Ça nous change des sempiternelles traductions d'auteurs américains qui composent la majorité de la programmation de ce théâtre. Et As is, qui constitue une extraordinaire démonstration des espérances enfuies et des rêves à côté desquels on passe mérite une large diffusion auprès d'un public qu'on a pas nécessairement habitué à ce genre de choses. Ah! Et fils cadet a beaucoup aimé.

As is (tel quel) : une création du Centre du Théâtre d'Aujourd'hui et de Simoniaque Théâtre, chez Jean-Duceppe jusqu'au 17 octobre 2015.

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