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«Abîmés»: Samuel Beckett en quatre courtes pièces

C'est la mise en scène de Catherine Bourgeois qui rend, ce collage de courtes pièces de Samuel Beckett présenté au Théâtre Denise-Pelletier aussi intrigant. Dans cette constatation du vide de l'existence et de l'horreur de la condition humaine se glisse une tentative d'explication, ou du moins le désir de rendre plus accessibles ces textes noirs issus d'un souterrain littéraire.
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C'est la mise en scène de Catherine Bourgeois qui, d'après moi, rend Abîmés, ce collage de courtes pièces de Samuel Beckett présenté au Théâtre Denise-Pelletier aussi intrigant. Dans cette constatation du vide de l'existence et de l'horreur de la condition humaine se glisse avec les références visuelles une tentative d'explication, ou du moins le désir de rendre plus accessibles ces textes noirs issus d'un souterrain littéraire qui conduiront son auteur au Prix Nobel de littérature en 1969.

L'identité, la parole, l'amour, tout disparaît dans cet univers. Catherine Bourgeois l'illustre avec des projections en arrière-scène où une poire, un lys et une souris, vivent, meurent et se décomposent sous nos yeux. Ce qui n'est pas sans rappeler ces Vanités très populaires dans la peinture du 17e siècle où les natures mortes, accompagnées d'un crâne, évoquaient le temps qui passe, la fragilité humaine et la futilité de toutes choses. La conception vidéo et, je présume, les éclairages de Jean-François Boisvenue sont éloquents : un pinceau sur verre magnifié qui révèle ou oblitère l'espace dans lequel évoluent les comédiens. La voix de la mère s'adressant à sa fille, dans le premier texte, qui n'est qu'une espèce de filament projeté, mais qui m'a fait penser à l'hélice de l'ADN, mais plus tordu, simplifié, à bout de souffle dirait-on.

Les comédiens évoluent dans ce no man's land, en dehors de tout, ignorant du lieu où ils se trouvent. Dans Quoi, où , on croit comprendre que des gens en torturent d'autres pour leur faire avouer on ne sait trop quoi, ou où. Mais un porte-voix sur la scène fait recommencer leurs dialogues, comme si ce porte-voix était le metteur en scène de nos vies et qu'il tentait d'obtenir une meilleure performance de notre part. Le problème, bien sûr, c'est qu'il n'y a pas de répétition, nos vies ne sont pas du théâtre, hélas, et on ne peut pas faire mieux lors de la prochaine représentation parce qu'il n'y en a qu'une seule.

Et ces comédiens apportent ce qu'il faut de feinte indifférence et de fausse froideur face à ces textes parfois sibyllins. Marc Béland est le roc de cette production. Il excelle dans ce type de théâtre difficile où rien n'est gagné d'avance et où le spectateur a besoin d'être convaincu. Il est magnifique de présence et de senti dans ces personnages qui feraient tout pour un peu moins souffrir.

Comprenne qui pourra et il n'y a rien. Ces deux phrases se retrouvent dans les textes et résument, à mon avis, tout Samuel Beckett. Si cela peut rassurer les étudiants à la mine épouvantée qui assistaient à la représentation. Pour le dramaturge, la vie est ennuyeuse et inutile, vaine et vide de sens, et il ne sert à rien d'essayer d'en trouver, du sens. J'ai déjà lu quelque part que Beckett écrivait en français parce qu'il ne voulait mettre aucune signification dans ses textes, tentation qui aurait été forte s'il avait écrit dans sa langue maternelle. L'ironie de la chose est que, évidemment, il a été considérablement interprété, étudié, secoué dans tous les sens pour, justement, trouver ce qu'il avait à nous dire.

Une heure de Beckett, c'est très bien. Car c'est un univers tellement noir, glauque et désespéré qu'un plus long laps de temps passé en sa compagnie pourrait nous donner le goût d'aller nous jeter en bas du pont. Mais ce n'est pas une mauvaise chose, de temps à autre, d'être confronté et de se retrouver au bord de l'abîme des grandes questions. Pourquoi, nous demandons-nous? Parce que, répond Beckett.

Abîmés : Une production Joe Jack et John, à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu'au 22 octobre 2016.

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