Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.
Pourquoi les Américains ne croient pas au changement climatique? La perception des risques dépend de l'intégration ou non d'un discours scientifique rationnel et complexe. Or, le cerveau humain est fait de telle manière que la plupart des gens ont besoin d'une confirmation émotionnelle du problème soulevé...
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
A house at 121 Kissam Ave is seen with its entire first floor washed away, as well as the entire surrounding area demolished when Hurricane Sandy hit the coastal estuary in the Oakwood Beach area of Staten Island, New York, November 6, 2012. AFP PHOTO/Paul J. Richards (Photo credit should read PAUL J. RICHARDS/AFP/Getty Images)
Getty Images
A house at 121 Kissam Ave is seen with its entire first floor washed away, as well as the entire surrounding area demolished when Hurricane Sandy hit the coastal estuary in the Oakwood Beach area of Staten Island, New York, November 6, 2012. AFP PHOTO/Paul J. Richards (Photo credit should read PAUL J. RICHARDS/AFP/Getty Images)

8 millions d'Américains sans électricité, 14.000 vols annulés à la suite de la fermeture de plusieurs aéroports sur la côte Est, le métro new-yorkais sous l'eau, des centaines de personnes attendant patiemment leur tour pour acheter de l'essence... Ces images chaotiques de New York sous l'eau ne sont pas celles du prochain blockbuster hollywoodien. L'ouragan Sandy a frappé fort et marquera les esprits des dizaines de milliers d'Américains qui sont restés cloués à leurs téléviseurs pendant plusieurs jours tentant de suivre l'avancée de Sandy.

"J'y croirai quand je le verrai"

Plusieurs se sont interrogés sur le lien entre Sandy et le changement climatique, qui a alors été remis à l'ordre du jour alors que les élections américaines avaient fait l'impasse totale sur ce sujet.

Crédits: Andrew Kruczkiewicz

E.U. Weber and P.C.Stern ont tenté de comprendre pourquoi les Américains ne croient pas au changement climatique. La perception des risques posés par le changement climatique (et de tout autre problème à haute incertitude) dépend de l'intégration d'un discours scientifique rationnel et complexe. Or le cerveau humain est fait de telle manière que la plupart des gens ont besoin d'une confirmation émotionnelle du problème soulevé, ou autrement dit si tu ne le vis pas toi-même (ou si tu n'as pas entendu un de tes proches le vivre), tu n'y crois pas... A cela s'ajoute bien entendu la perplexité que suscite l'incertitude scientifique et les difficultés de prévoir le climat futur avec une totale assurance.

Le changement climatique est un danger global et sans frontière: l'eau peut monter dans 20 ans en Normandie, un ouragan peut frapper Manille et une sécheresse peut détruire des récoltes en Ouganda, à cause du même CO2 atmosphérique probablement originaire d'une usine Australienne. Il y a donc d'autres pressions sur la capacité individuelle et collective à considérer le changement climatique: la distance spatiale de la cause aux effets, le délai entre la cause et les effets et notre manque d'empathie.

Le phénomène de l'autruche

L'un des conséquences de cette difficulté humaine à traiter l'information scientifique est l'inaction, ou plus familièrement la tentative de cacher sa tête dans le sable. Si l'on demande à un échantillon de population d'un pays industrialisé d'estimer le risque de subir près de chez de soi un effet du changement climatique, la probabilité donnée sera toujours beaucoup plus faible que la réalité. L'échantillon répondra que ces risques augmenteront de manière incertaine dans le futur et toucheront des zones géographiques loin du lieu de vie. Posons la question à présent aux habitants de New York.... Les réponses risquent de surprendre !

Transformer de l'impuissance en action politique

L'inertie psychologique qui empêche de parler du changement climatique (surtout en temps de crise économique), qui empêche les politiques à le prendre compte et les entreprises à le concevoir, vient du fait qu'ils ne le considèrent pas comme la menace qu'il est par essence: une menace sociétale. Loin de chercher à faire une hiérarchie qui serait tout à fait factice, il est temps d'arrêter de voir le changement climatique comme une thématique environnementale, mais bien comme une thématique sociétale et trans-sectorielle ! Il est plus que jamais nécessaire que la puissance publique, seule garante potentielle du long terme, de concert avec les associations, montre son leadership et assure une réelle sensibilisation à ces enjeux en parallèle d'une transition vers une société "faible en carbone".

Et si le pouvoir politique local, en outre des objectifs nationaux, était le moyen pour dépasser ces blocages psychologiques individuels et collectifs? Une politique urbaine participative, transparente et démocratique, intégrant ces objectifs, est nécessaire dès aujourd'hui. Soyons honnêtes, les plans climat-énergie territoriaux sont inconnus du grand public alors qu'ils pourraient y être associés de manière efficace. Sur le volet de l'adaptation aux changements climatiques, les plans de gestion des risques naturels doivent prendre en compte qu'un lien social fort joue comme un ciment de résilience et permet à une population de s'adapter à ces changements climatiques. Faire du social au niveau local, c'est un peu faire de l'environnemental.

La solution de l'empathie ?

Plus généralement, le manque d'empathie qui caractérise nos sociétés constitue un verrou psychologique à l'appropriation du changement climatique par tout un chacun. Comment penser biosphérique, comment vouloir intégrer le changement climatique à ses politiques publiques ou bien comment se penser espèce unique face à un danger global, si on ne souffre pas pour ses pairs?

Jeremy Rifkin souligne ceci dans ses derniers ouvrages La Civilisation de l'Empathie et La 3e Révolution Industrielle: selon lui, les réseaux sociaux sont un incroyable outil de fédération, de démocratie, et d'empathie. On l'a déjà vu par le passé, Facebook et Twitter ont fait battre nos coeurs à l'unisson quand le tsunami a touché l'Asie du Sud Est en 2004. S'il y a un bienfait à la mondialisation, c'est bien la connexion de nos consciences sur certains sujets dont les catastrophes de cette envergure. Les grandes ONG environnementales ont d'ailleurs bien saisi le levier d'efficacité que les réseaux sociaux pouvaient procurer à leurs causes. Leurs campagnes de communication, à l'image de 350.org, jouent sur la moralisation du débat et tentent de développer notre empathie à tous ! Et il faut dire que cela marche !

Sandy, ou un nouveau départ?

Crédits: Andrew Kruczkiewicz

Revenons alors à Sandy: plus qu'une catastrophe naturelle inédite, Sandy pourrait profondément changer la donne aux Etats-Unis à divers niveaux car elle aurait permis de combler les besoins psychologiques humains tout en suscitant de l'empathie à l'échelle nationale (sinon planétaire).

  • Un premier élément est un signal politique fort: l'appel du maire indépendant Michael Bloomberg à voter pour Barack Obama quelques jours avant le scrutin n'est pas passé inaperçu. L'Etat et la ville de New York n'étaient pas menacés par être accaparés par les Républicains; néanmoins, le signal politique envoyé a potentiellement eu un fort effet sur des indécis: un élu local respecté au-delà de son territoire mandataire a pour la première fois soutenu un candidat pour sa politique en matière de changement climatique.
  • La deuxième conséquence de Sandy concerne la valorisation du savoir scientifique. Les médias américains ont souligné à plusieurs reprises la précision et exactitude des prévisions météorologiques. Les technologies d'aujourd'hui permettraient de construire des modèles météorologiques et climatiques qui ne soient pas si incorrects, après tout?
  • Un troisième attribut de Sandy a été la mise en exergue de la vulnérabilité des zones et infrastructures urbaines, si développées soient-elles.

Bien que la concrétisation de cette triple prise de conscience reste à venir, on peut déjà voir des changements positifs dans le discours politique américain: tandis qu'Obama est interrogé sur son programme pour lutter contre le changement climatique dans la foulée de Sandy, il répond qu'il faut s'attendre à entendre plus parler des enjeux climatiques dans les prochains mois pour faire changer les choses...

Finalement, ne nous faudrait-il pas une bonne catastrophe à l'échelle planétaire pour que tous les verrous psychologiques sautent?

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.