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Multiculturalisme et laïcité: rejeter les théories inadéquates

L'exemple de plusieurs pays tels que l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, la Grande-Bretagne, pour ne nommer que ceux-là, mène à une conclusion sans appel: dans ces pays, le multiculturalisme crée plus de problèmes qu'il n'en résout.
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Il y a peu de temps, nous avons été confrontés à la tragédie de la grande mosquée de Québec. Les relations de cause à effet dans cette tragédie semblent multiples. Elles forment une sorte de réseau plus ou moins diffus menant à ce que nous pourrions appeler des conditions perdantes. Qu'on le veuille ou non, la question touche le multiculturalisme canadien et la laïcité de l'État.

Dans la série de textes qui suit, je vous propose une analyse, qui je l'espère, permettra d'aborder quelques aspects du multiculturalisme canadien et de la laïcité de l'État de façon objective et méthodique.

Rejet des théories inadéquates - Comment améliorer les choses? Un principe directeur essentiel est de rejeter les théories inadéquates. Ici, «théorie» ne veut pas dire «hypothèse d'explication», comme on l'entend souvent. Ici, le mot «théorie» est utilisé au sens où l'entendent les scientifiques. Une théorie, c'est l'ensemble des postulats, des hypothèses, des équations et des interprétations qui décrivent, permettent d'expliquer et de justifier des conclusions sur un problème donné, et d'en appliquer les concepts de façon pertinente.

Une théorie peut être «inadéquate» pour différentes raisons. Toute théorie a un domaine de validité limité. Si on en sort, elle fera des prévisions incorrectes (à moins d'un coup de chance!). Une théorie peut aussi être carrément erronée. On peut se contenter de dire que, quelle qu'en soit la raison, elle est inadéquate. Ce qui est vraiment important, c'est de ne pas l'utiliser.

Le caractère inadéquat d'une théorie n'est pas toujours évident, ne serait-ce que parce qu'on les énonce à partir de postulats ou d'hypothèses qui nous paraissent intellectuellement ou moralement souhaitables. C'est là qu'il devient important qu'elle soit testée rigoureusement avant de l'appliquer.

Les méfaits d'une théorie inadéquate : l'affaire Lyssenko

Les bonnes théories sont utiles, et même essentielles, mais pour illustrer la chose, je vais évoquer l'exemple inverse, par le biais de l'affaire Lyssenko. Trofim Denisovitch Lyssenko était un agronome russe qui a joué un rôle prépondérant en agronomie, foresterie et génétique en URSS à partir des années 1930 jusqu'au milieu des années 1960. Pour les mauvaises raisons ( voir aussi ici ).

Lyssenko a travaillé sur une variété de questions. Très brièvement et de façon non exhaustive: la vernalisation, qui consiste à soumettre les semences à faible température et forte humidité; la résistance de la pomme de terre aux infections virales transmises par les pucerons ; l'obtention d'espèces végétales nouvelles, qui selon Lyssenko pouvait s'obtenir en appliquant un stress aux spécimens parents de l'espèce A et donnait une progéniture de l'espèce B, ce qui était en contradiction directe avec les lois de la génétique; la plantation d'arbres en «nids» à forte densité.

Ces travaux ont donné des résultats médiocres ou négatifs, non fiables ou carrément en contradiction avec les connaissances biologiques du moment. Ses collègues l'ont évidemment contredit. Or, plutôt que d'accepter les preuves qu'on lui opposait, Lyssenko s'est arrangé pour obtenir des appuis politiques déterminants (sur certaines questions, Staline lui-même, ai-je lu!) pour faire progresser ses idées. Ceci tuait toute opposition dans l'œuf. Certains de ses contradicteurs se sont retrouvés au goulag, d'autres se sont tus. Dans certains cas, on aurait carrément inventé des résultats expérimentaux afin de ne pas contredire les vues de Lyssenko.

Le résultat de ces manigances fut désastreux. Des programmes d'expansion des forêts furent des échecs totaux ou partiels selon les régions, la maladie de la pomme de terre prit de l'expansion, les compétences soviétiques en génétique furent perdues. À la fin de l'ère Lyssenko, on a même dû complètement arrêter l'enseignement de la biologie pendant une année complète pour remettre les professeurs à niveau.

Mais, me dira-t-on, le rôle d'une bonne théorie est-il si important? Des mesures ponctuelles éclairées ne peuvent-elles pas suffire? Dans beaucoup de cas, probablement que oui. Mais une bonne théorie permet généralement de minimiser les risques d'erreur et favorise la cohérence des diverses décisions qui doivent être prises. Ce souci de généralité est probablement un des facteurs qui ont mené à l'adoption du multiculturalisme canadien. Toutefois, cela s'est fait avant même que la théorie ne soit testée.

La théorie du multiculturalisme canadien

Que préconise la théorie du multiculturalisme canadien? Au niveau des principes, ce dernier correspond à une série d'énoncés dont je tire deux extraits d'une page web du gouvernement canadien : 1) «Les lois et les politiques canadiennes reconnaissent la diversité du pays sur les plans de la race, du patrimoine culturel, de l'appartenance ethnique, de la religion, et des origines nationales», et 2) au sujet des immigrants, «Comme ils ne se sentent pas forcés de s'assimiler ou de renoncer à leur culture, les immigrants choisissent librement leur nouvelle citoyenneté parce qu'ils veulent être Canadiens». Tout se passe comme si on essayait de reproduire la diversité culturelle mondiale en un seul pays.

Comment ne pas y voir la négation de la notion même de vie citoyenne, qui selon le sens commun, postule que l'on connaisse et puisse identifier nos interlocuteurs?

On voit mal comment ceci peut constituer une politique articulée, puisqu'en pratique, cela se traduit par une maxime simple: ne rien faire du tout. Prenons à titre d'exemple l'affaire de la prestation du serment de citoyenneté à visage couvert par Zunera Ishak en octobre 2015. Comment ne pas y voir la négation de la notion même de vie citoyenne, qui selon le sens commun, postule que l'on connaisse et puisse identifier nos interlocuteurs? Le caractère absurde de cette affaire n'indique-t-il pas que le multiculturalisme canadien est une théorie inadéquate, qui atteindra des résultats opposés à ses objectifs?

À ma connaissance, la stratégie du laisser-faire s'est avérée un échec partout où elle a été mise en oeuvre. Hormis les pages web du gouvernement canadien et les affirmations des promoteurs du multiculturalisme canadien, je n'ai pas encore vu une seule analyse l'appuyant. L'exemple de plusieurs pays tels que l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, la Grande-Bretagne, pour ne nommer que ceux-là, mène à une conclusion sans appel: dans ces pays, le multiculturalisme crée plus de problèmes qu'il n'en résout (si tant est qu'il en résolve...). Une analyse basée sur des méthodes s'inspirant de l'écologie des populations mène au même résultat .

Bien que le multiculturalisme canadien soit un échec prévisible, plusieurs continuent de le promouvoir aveuglément. On ne peut leur reprocher d'avoir fait une erreur de bonne foi dans le développement de la théorie. On peut cependant reprocher une faute d'éthique importante à ceux qui ont mis en application une théorie non testée. Et il y a encore plus grave: à ceux qui persistent dans l'erreur, on peut certainement reprocher de mettre en place des conditions perdantes.

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