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Burkini et accommodements arbitraires

Les médias québécois nous apprenaient récemment que des parents musulmans menacent de retirer leurs fillettes de l'école si celles-ci n'obtiennent pas la permission de porter le burkini pour les cours de natation.
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Les médias québécois nous apprenaient récemment que des parents musulmans menacent de retirer leurs fillettes de l'école si celles-ci n'obtiennent pas la permission de porter le burkini pour les cours de natation. Des écoles de la région de Montréal se sont pliées à leur requête dans le but d'éviter le retrait des enfants. Éviter la ségrégation sociale par la ségrégation vestimentaire ? On cherche à comprendre.

Pourtant, l'école est obligatoire de 6 à 16 ans au Québec. Pour justifier le retrait, il faudrait donc que les motifs invoqués soient basés sur des considérations qui l'emportent largement sur le consensus social en éducation. Il en va de même pour cette histoire de scolarisation à la maison pour des enfants hassidiques de Montréal. On ne peut que souhaiter que l'expérience réussisse, que la formation acquise soit équilibrée, moderne, mais cela ne paraît pas gagné d'avance.

Le consensus social se traduit par des lois dont l'application est ultimement du ressort de l'État. Les motifs de retrait sont-ils d'une importance et d'une justesse telles que l'État doive s'y plier ? Pour simplifier, ils sont de deux types. Politiques et religieux. Ou les deux à la fois, puisqu'on nous indique qu'ils résultent de la propagande de l'Arabie saoudite et consorts. Puisque les parents en cause présentent ces motifs comme étant de nature religieuse, je ne m'en tiendrai qu'à cet aspect.

Tout d'abord, une mise en garde : je ne revendique aucune compétence particulière en théologie ou dans une discipline touchant le propos d'aujourd'hui. Il se peut que des éléments de cette discussion aient été réglés depuis longtemps dans des forums spécialisés. Désolé s'il y a redite. Deuxième chose : les mots ont un sens. On ne peut pas à la fois affirmer avec force la véracité d'une proposition religieuse non réfutable contenue dans un livre sacré si elle appuie vos dires, et invoquer la « nécessité d'interpréter » quand ce même livre affirme des choses manifestement indéfendables. C'est dans cet esprit que je m'en tiendrai aux grandes lignes d'affirmation que les religions monothéistes tiennent pour absolument vraies.

Les trois ensembles monothéistes que constituent le judaïsme, le christianisme et l'islam affirment qu'ils découlent d'une révélation divine ; ils seraient donc infaillibles dans ce qui touche à leur essence. Pour respecter intégralement le caractère révélé et infaillible de ces trois ensembles religieux, un observateur objectif devra tenir pour également vrais les contenus de chacun de ces trois ensembles, y compris des dogmes carrément différents. Il faudra accorder le même degré de compétence et de vérité aux trois théologies en question, et en toute objectivité il faudra conclure que chacun des ensembles religieux a parfaitement raison en matière de connaissance du divin, mais que pour chacun des trois ensembles cette conclusion est assortie d'une probabilité de véracité de 1/3.

Les trois divinités en question ne peuvent exister de façon certaine. Elles ne peuvent être que probabilistes. Ici, il ne s'agit pas d'une question de foi. Il s'agit seulement de cohérence. Une demande de dérogation aux codes vestimentaires normaux basée sur la religion ne pourra donc se fonder que sur des arguments dont la probabilité de véracité est de 1/3. Cela est nettement insuffisant. Pour que les préceptes religieux puissent avoir un fondement suffisamment solide pour dicter à l'ensemble de la société et à l'État la conduite à adopter, y compris d'accepter que l'on contrevienne à la loi, il faut absolument résoudre ce paradoxe des divinités probabilistes.

«La pratique religieuse ne se fonde sur aucun absolu divin qui puisse justifier de bousculer le consensus démocratique.»

On peut résoudre le paradoxe en faisant appel au concept d'une divinité unique qui se serait révélée à différentes époques et que trois ensembles religieux vénèrent sous des noms différents et de façon différente. D'où viennent ces différences ? De contingences politiques, historiques, sociales ou biologiques locales et momentanées. Autrement dit, de la culture. Pour résoudre le paradoxe des trois divinités probabilistes, il faut donc admettre que les dogmes, préceptes, liturgies et autres aspects du formalisme de la pratique religieuse sont des manifestations d'ordre culturel, sans grand rapport avec les exigences d'une théologie résolument monothéiste. À défaut de quoi, il faut admettre que le paradoxe des divinités probabilistes s'applique et on comprend mal que des divinités si incertaines puissent être une justification suffisante pour ignorer la loi.

À ma connaissance, on réfère à la divinité unique des trois ensembles religieux sous le nom du dieu abrahamique. Au cours des siècles, les tenants des différents ensembles religieux professant leur foi en un dieu abrahamique se sont fait subir les pires sévices au nom de leur religion. Mais comment ce dieu aurait-il pu être à la fois bienveillant, tout-puissant, omniscient et si mauvais prévisionniste des conséquences de livrer à l'humanité des messages différents en plusieurs épisodes différents ? Soit ce dieu est très faible, soit il n'aime pas l'humanité et est indifférent des conséquences de ses actes pour elle, soit il n'existe tout simplement pas.

Que l'on accepte le paradoxe ou qu'on le résolve, la conclusion est la même : la pratique religieuse ne se fonde sur aucun absolu divin qui puisse justifier de bousculer le consensus démocratique. Il n'y a pas d'accommodements raisonnables. Il n'y a que des accommodements arbitraires, basés sur des justifications faibles.

Il est incontestable que la pratique religieuse peut être très utile pour composer avec les difficultés de la vie, lui donner un certain sens, promouvoir la vie spirituelle ou pour fournir des repères moraux. Mais que l'on n'oblige pas une société dans son ensemble à se plier à des besoins personnels arbitraires. Que l'on s'assure que les enfants reçoivent une éducation adaptée aux lieux et à l'époque. Que l'on abandonne le sexisme que les religions pratiquent toutes à des degrés plus ou moins aigus. Et pour qu'il ne subsiste aucun doute, j'ajoute que non, un vêtement aussi ségrégationniste que le burkini n'a pas sa place à l'école.

On me contredira en avançant que la culture consensuelle d'un État est elle aussi arbitraire au sens où elle est issue de contingences historiques, etc. etc. et qu'elle n'est objectivement ni pire ni meilleure que les cultures extérieures qui chercheraient à infléchir ce consensus. Cela reste à voir. La démocratie paraît imparfaite avec son caractère universel (chacun peut se présenter aux élections, etc.) ? On peut essayer la dictature. Notre système d'éducation forme les citoyens de demain selon des valeurs modernes qui repoussent certains croyants ? On peut essayer l'ignorance ou les cursus éducatifs sectaires et approximatifs. L'égalité des sexes, la diversité des orientations sexuelles et la liberté de penser répugnent ? On peut essayer la ségrégation, la répression et l'obscurantisme. Des voies à ne pas suivre, évidemment.

Les accommodements fondés sur des justifications aussi arbitraires que celles de la religion paraissent donc tout, sauf raisonnables. On les justifie en se référant à la doctrine du multiculturalisme. Toutefois, en l'absence de programmes d'accueil et d'intégration rationnels et adéquatement soutenus, celle-ci équivaut au mieux à une politique du laisser-faire total. Elle donne lieu à de curieux débordements, le burkini à l'école en étant un exemple parmi tant d'autres.

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Mai 2017

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