Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Les valeurs de la Charte: considérations idéologiques, politiques et souverainistes

Il serait plus que temps que le Parti québécois prenne ses responsabilités, dénonce le climat contraire à l'esprit et à l'intention de cohésion de la charte, cesse d'exploiter le côté disgracieux de la population, et promeuve son projet sur la base des idées politiques.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Notre ère politique entretient une relation particulière avec le concept de l'idéologie. D'un côté, elle dit rejeter cette dernière. Elle la qualifie comme rigide, bornée et dépassée, et lui préfère le pragmatisme du gros bon sens. De l'autre côté, elle y baigne plus que jamais. Elle verse somme toute dans un pragmatisme dogmatique incapable de considérer les différentes valeurs sociales existantes, fixé sur un fondamentalisme économique.

Or, le débat sur la charte des valeurs renferme un fort contenu idéologique et représente une lutte entre deux visions opposées, qu'on omet de présenter comme telle. De manière plutôt ironique, malgré qu'il s'agisse d'une charte des valeurs, on ne prend pas véritablement la peine de discuter des valeurs qui informent les différents camps. Alors que l'on est plongé dans cette ère qui se dit aidéologique et qui semble apolitique, le cadre d'interprétation employé par les médias et qui circule le plus dans la population est celui d'une pratique plutôt que celui d'un concept, celui des conséquences plutôt que celui des idées, celui des victimes plutôt que celui des principes. Mais afin d'apprécier le projet, il est tout autant important de considérer ses ramifications idéologiques et théoriques.

Évidemment, les lois ne sont pas des abstractions qui flottent au-dessus du réel, désincarnées des personnes à qui elles s'appliquent ; il faut se préoccuper de leurs effets sur les individus. Toutefois, il faut avant tout s'intéresser au fondement de la charte afin de saisir sa raison d'être. Après tout, chaque loi est décidée et est appliquée contre les intérêts de certaines personnes, mais en vertu d'un intérêt cru supérieur. Laissons donc pour l'instant de côté l'aspect et les conséquences individuels du projet (mais nous y reviendrons plus tard, alors qu'il faut évidemment s'en préoccuper dans une société de compassion comme la nôtre, même si on ne doit par contre pas en fonder nos lois) et voyons plutôt quel est l'intérêt supérieur, quel est son fondement idéologique, et face à quelle idéologie il est placé. Ensuite, compte tenu du parti qui a présenté le projet, il sera intéressant de s'interroger sur les liens entre le débat et l'idée de la souveraineté.

Communautarisme vs libéralisme

Le principe à la base du projet est clair; c'est celui de la laïcité. L'objectif est donc d'assurer un espace public neutre face à l'idée religieuse, ou plutôt un espace imperméable aux ingérences, interférences et influences de la part des différentes religions, quelles qu'elles soient. Une des applications de ce principe est l'interdiction pour un représentant de l'État de porter quelconque signe religieux dit ostentatoire. L'intention est donc d'empêcher les allégeances et idées religieuses détenues par ces représentants de pénétrer la sphère publique par le port de symboles, par définition, arborés dans le but d'être vus donc de stimuler une réaction ou une pensée chez l'individu récepteur.

Cet objectif est en ligne avec une vision politique claire. Le projet s'inscrit dans le courant philosophique communautariste (selon l'acception positive et unitaire du terme). On y place l'individu comme dépendant de la communauté dans laquelle il se trouve afin de reconnaître la nécessité d'empiéter sur certaines de ses libertés en défense du bien collectif, sachant qu'ontologiquement l'individu émane avant tout de ce collectif. Dans le cas présent, la communauté est une communauté politique définie par son interaction avec l'État de droit (laïque). À certains égards, ceci rejoint l'idée républicaine du bien public et de l'égalité citoyenne dont la promotion et la défense est l'affaire de l'État, s'inscrivant quelquefois en faux à l'individu. Ces conceptions sont par ailleurs présentes dans la réalité sociopolitique québécoise. La panoplie de services universels publics ou le régime d'assurance collectif (le no-fault) en sont des illustrations. La collectivité décide de brimer le recours de l'individu à sa raison propre au nom du bien de la communauté. À cette philosophie et à l'application soi-disant liberticide de son principe s'oppose une autre vision.

Le libéralisme classique conçoit la société tout autrement. C'est l'individu qui en est le fondement. Même, la société n'a pas d'existence à l'extérieur de la multitude d'individus qui la composent. La croyance en la suprématie de l'individu sur sa communauté est indépassable et constitue le principe-clé qui motive les requêtes sociales, comme dans le cas présent. En ce sens, la base de la vie commune est la poursuite des intérêts, la promotion de la liberté et la défense de la propriété individuels. Il devient alors inconcevable de placer des limitations sur ces individualités, surtout au nom du collectif. C'est ainsi que la charte contrevient à cette vision, et c'est pourquoi ses détracteurs la dénoncent. La liberté individuelle d'afficher son appartenance religieuse est alors inviolable, surtout au nom de la promotion d'un obscur idéal collectif, d'un ensemble auquel l'individu n'appartient de toute façon pas. Et si le modèle communautaire, centralisateur et collectiviste fait partie du tissu sociopolitique québécois, en fait, il en est tout autant de ce modèle libéral anglo-saxon. En effet, ces deux visions s'affrontent (depuis toujours ?) au sein de la société québécoise et représentent le véritable fondement du débat qui y sévit actuellement. En réalité, ce débat informe également l'enjeu de la souveraineté du Québec, et l'interprétation passée de celle-ci structure le présent débat sur la charte.

Retour vers le futur de la souveraineté

Le réflexe est de dresser un parallèle entre la charte et la représentation d'un projet souverainiste exclusif de quelconques minorités. L'inconfort est grand quant à cette question chez les partisans péquistes et les préjugées persistants à leur endroit. Pourtant s'il y a un lien entre les deux enjeux, il est tout autre. D'une manière générale, les deux méritent grandement une révision de la manière de les présenter et une rectification de la manière de les appréhender. Et d'une manière précise, plutôt que de voir dans la charte l'illustration d'une vision souverainiste obscure, il apparaît beaucoup plus pertinent de voir dans l'interprétation souverainiste passée l'illustration de la structuration de la question de la charte. Si on se replonge dans les années 60, le projet d'indépendance est un projet de libération nationale, autant politique qu'économique. Ses partisans cherchent à ce que le Québec s'autodétermine politiquement, et que les Québécois s'autogèrent économiquement. Ce dernier aspect repose sur la volonté de cesser ce que certains voient comme une exploitation des Québécois francophones par les patrons et les propriétaires anglais. On parle alors de l'«élite» bourgeoise anglaise, et du «prolétariat» français. La lutte nationale épouse donc les lignes d'une lutte sociale (voire socialiste, comme le dicte l'époque). Or, il semblerait que le débat actuel autour de la charte puisse emprunter une nouvelle fois le chemin des discordes entre «l'élite» et «la masse», et plus encore, entre l'«élite» d'influence anglaise et la «masse», française.

Prêtons-nous alors au jeu d'analyse selon les concepts révolus de «masse» et d'«élite». La charte de la laïcité semblait avoir un fort appui populaire lors de son dévoilement. Les premiers sondages indiquaient une opinion favorable dans une proportion de plus de 60%. Puis, le battage médiatique s'est mis en branle. Et il a vraisemblablement fait son œuvre. L'opinion en faveur du projet serait toujours majoritaire, mais en perte de souffle. Il faudra attendre des études précises sur la question pour tirer des conclusions certaines, mais il facile d'imaginer que la couverture (tellement !) négative y est certes pour quelque chose. D'un côté il y a le portrait qu'on y dresse de la «masse». Celle-ci y est composée des adhérents au projet qui argumentent leur position sur la base d'une xénophobie effarante, ainsi que des semi-dégénérés qui insultent et intimident les gens qui arborent des symboles religieux. De l'autre côté, il y a «l'élite» : tous les opposants au projet, qu'on interview sans cesse, les divers intellectuels, les partis politiques, les gouvernants actuels et les candidats à la mairie de Montréal, les gens d'affaires, les chroniqueurs-experts, jusqu'aux journalistes qui parviennent difficilement à cacher leur condamnation du projet. Mais cette opposition «élite-masse» (qui possiblement se situe aussi au niveau «centre-périphérie») n'est pas la simple division francophones-anglophones d'antan.

L'«élite» aujourd'hui n'est plus ce groupe de penseurs, d'entrepreneurs et de gestionnaires anglais d'autrefois que le mouvement souhaitait évincer afin de s'autodéterminer. Effectivement, la transformation du Québec des dernières décennies a vu les divers postes dominants dorénavant être occupés par des francophones. Mais si les individus ont changé, il n'en va pas de même pour la structure, l'idéologie et le discours dominants de la société québécoise. Ceux-ci sont donc en continuité avec l'héritage de la pensée anglo-saxonne. L'hégémonie serait donc plus profonde, occupant la mentalité de l'«élite» francophone, qui défendrait ainsi le libéralisme anglais aussi bien que ses prédécesseurs. L'indépendance serait donc toujours pertinente sous sa forme passée alors que les transformations et l'émancipation des dernières décennies seraient incomplètes et superficielles. Évidemment, le mouvement n'a pas à s'appuyer sur le discours français républicain pour se justifier, ni à rejeter le discours libéral anglo-saxon, ni à créer un discours entièrement autre. Mais, assurément, il doit au moins se fonder sur une réflexion à propos de l'idéologie qui sous-tend les représentations et les aspirations collectives.

Impératifs (catégoriques et problématiques) de la politique

Malheureusement, peu de parties de la société veillent actuellement à une réflexion et un débat clairs et ouverts au sujet des courants philosophiques qui sous-tendent le projet de charte des valeurs et au sujet d'un projet global de société. Et tous les partis misent sur l'incompréhension des électeurs plutôt que sur la pédagogie et l'explication des fondements de l'idée afin de jouer de stratégie. On entretient ainsi les idées reçues sans fondements dans la réalité. Le Parti québécois paraît donc dur à l'égard des immigrants et des minorités ethniques, et les libéraux et les néodémocrates semblent être les défenseurs de ces groupes vulnérables et victimes de discrimination. Chacun y trouve son compte, même s'il est basé sur une lecture réductionniste de la réalité voire sur de pures fabulations.

En effet, la charte n'a rien à voir avec l'enjeu qu'on y assigne. Elle est autant xénophobe que la politique d'embauche selon le niveau de diplômes est sexiste. Que le taux de diplomation soit plus élevé chez les filles que chez les garçons ne signifie évidemment pas que la politique soit sexiste, tout comme le fait que certains groupes culturels aient plus tendance à arborer des symboles religieux que d'autres signifie que la politique soit ségrégationniste. Dans les deux cas, tous connaissent les mêmes conditions et les mêmes droits, et tous sont soumis à la volonté supérieure de la promotion d'une valeur ou d'un objectif cher à la société, l'éducation, et la laïcité, ici. Il faut donc distinguer l'intention de l'impact. Mais il ne faut pas évidemment pas négliger l'impact.

Il y a probablement des ajustements à faire à la charte de la laïcité, quant à ses impacts, notamment, et quant à son application. Ils ont pour la plupart déjà été proposés: retirer le crucifix à l'Assemblée nationale, ne pas permettre de se soustraire à l'assujettissement de la charte à perpétuité, garantir les droits individuels acquis des personnes directement touchées, ou s'assurer de réintégrer celles-ci à leur satisfaction, etc. L'idée est que le projet respecte certains critères, dont la cohérence et la compassion. Mais, surtout, l'idée est que la proposition d'une vision de cohésion sociale reçoive la juste considération en vertu de ses véritables fondements. On en est loin depuis les débuts du débat.

L'apolitique et le politique

Au lieu de porter sur l'intention première du projet et sur ses principes fondateurs, le débat tourne autour des effets possibles, selon une interprétation déformée de la question, qui plus est. On l'a vu, en rien le projet n'est-il xénophobe ou ségrégationniste. Or, il est clair que la manière de caractériser un problème n'en dit pas tant sur le problème que sur celui qui le caractérise. Le fait que plusieurs de ceux qui l'appuient le font contre des individus plutôt que pour un principe agace. Ceci met en lumière deux conditions de la société québécoise qui interpellent: d'abord, la «masse» éprouve un malaise face à l'altérité, la différence, l'étranger; ensuite, l'«élite» démontre une incapacité de penser, de discourir et de débattre d'un réel projet politique structurant, positif et mobilisateur.

Il serait plus que temps que le Parti québécois prenne ses responsabilités, dénonce le climat contraire à l'esprit et à l'intention de cohésion de la charte, cesse d'exploiter le côté disgracieux de la population, et promeuve son projet sur la base des idées politiques. Par contre, dans un monde politique chaque jour plus réactionnaire et négatif, où la classe politique (traditionnelle comme contestataire) ne proposent que de contrer, de bloquer, de s'opposer à quelconque réalité indésirable, il est difficile d'y croire. Comme l'a proposé le documentariste anglais Adam Curtis, les politiciens ont manifestement cessé de nous promettre de réaliser nos plus grands rêves pour plutôt promettre de nous protéger de nos pires cauchemars.

Triste, hélas, le monde politique de nos jours. Mais ne versons pas dans l'asthénie. C'est après tout notamment la laideur (passagère) de la politique qui fait la beauté (éternelle) du politique. Ainsi s'ancre la nécessité de la divergence et s'ouvre la possibilité du changement, pour définir notre réalité et pour déterminer notre destin comme collectivité.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.