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Défrayer la chronique

Suite à l'annonce du livre de chroniques de Lise Payette qui vient de paraître, les secousses entourant son texte en lien avec l'affaire Jutra se font ressentir à nouveau.
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J'ai hésité à écrire ce texte. D'abord parce que le sujet est délicat, mais surtout parce que je ne suis pas sûr de ma pensée. Ou, oui, j'en suis sûr, mais l'émotion concernant le sujet est nécessairement tellement forte qu'elle tend à vouloir l'obscurcir. Mais, c'est justement un peu ça, le propos du texte. Donc, allons-y.

Suite à l'annonce du livre de chroniques de Lise Payette qui vient de paraître, les secousses entourant son texte en lien avec l'affaire Jutra se font ressentir à nouveau. Une récente chronique de Patrick Lagacé y participe. Celui-ci débute par condamner à son tour Mme Payette, avant de nous expliquer pourquoi il est normal qu'elle ait été mise à la porte du Devoir, pour enfin présenter son jugement sur ce que doit être un chroniqueur. Mme Payette n'était pas en phase avec la société, et un chroniqueur doit l'être, apprend-on. Revoyons les événements et penchons-nous sur le produit de cette pensée.

Sur le coup de l'affaire, tous sont scandalisés d'apprendre que Claude Jutra aurait agressé sexuellement de jeunes garçons. Et tous demandent rapidement qu'on efface les traces d'hommages que la société québécoise lui a rendues pour son oeuvre. Lise Payette, pour sa part, ne défend pas les agissements allégués de Claude Jutra, ni ne les condamne, loin de là. Elle dit que les choses doivent être comprises dans leur contexte, et aussi qu'en l'absence de preuves, elle choisit d'accorder préséance dans son jugement à son expérience intime avec le présumé agresseur. En fait, elle choisit de raconter son souvenir, de rapporter son amitié personnelle avec Claude Jutra, de le présenter sous son côté humain.

La première réaction sert sûrement de rappel que le piédestal sur lequel reposent nos idoles n'est souvent formé que de notre ignorance et que l'adoration qu'on leur voue est nécessairement démesurée. Par contre, le témoignage de Lise Payette, lui, pointe vers le revers de la chose: utiliser le beau pour éclairer le laid est somme toute plus illuminant qu'utiliser le laid pour assombrir le beau. Le propos de Mme Payette est drapé d'une fragilité qui déconcerte au début, mais qui ensuite permet de se rendre compte que ces êtres monstrueux sont, eux aussi, sensibles, vulnérables, valeureux, humains.

Dans une société aux nuances difficiles, il est inconfortable d'admettre l'humanité derrière la monstruosité. Mais ce rappel a une valeur sociale importante. Il oriente vers une compréhension des gestes répréhensibles qui permet de dépasser la simple condamnation et de paver la voie à la rémission. La guérison, tant pour les victimes individuelles que pour la société entière, passe par le pardon, qui, lui, passe par la recherche de sensibilité, de sens, c'est-à-dire par l'entendement. Le propos de Lise Payette amène cette sensibilité.

«Le débat d'idées qui est censé être le fondement de notre système n'est plus possible, ou bien il l'est à l'intérieur de frontières chaque fois plus étanches, plus restreintes, plus fermées.»

Que cela ait été son intention ou que ses paroles ne soient que de simples souvenirs « séniles » comme l'entendent certains, cela permet de proposer une interprétation différente à une réalité que tous s'empressent de voir d'une seule et unique manière. Plutôt que trouver la cohésion dans l'unité sinon l'unicité, on peut aussi la chercher dans la diversité, la pluralité. Malgré la soi-disante inaptitude de Mme Payette à chroniquer, sa chronique aurait donc pourtant une vertu. Son rôle, celui de chroniqueur, peut être de jeter une lumière, nouvelle, sur les différentes zones d'ombre.

Par contre, M. Lagacé déclare: « Le corollaire du privilège de chroniquer dans un journal est d'être minimalement en phase avec ce qui se passe, ce qui se dit dans sa société ». En fait, de manière très éloquente (une sorte d'« affirmation performative ») le chroniqueur expose et explique la norme sociale selon laquelle l'opinion médiatisée ne peut déroger de l'opinion acceptable, conforme à la pensée dans la société, avant de le démontrer en action à travers sa chronique-bien-en-phase-avec-la-société. Mais la citation et la pensée qu'elle véhicule, à première vue tristement triviales, deviennent alors assez choquantes.

Cela signifie en effet que les propos véhiculés au sein de médias chargés de la fonction démocratique d'informer la population, dans le but de la faire réfléchir et de lui faire prendre des décisions éclairées, doivent être en harmonie avec la société, c'est-à-dire en accord avec elle. Pas de place pour la dissonance, la discordance, la différence. Le débat d'idées qui est censé être le fondement de notre système n'est plus possible, ou bien il l'est à l'intérieur de frontières chaque fois plus étanches, plus restreintes, plus fermées.

Évidemment, l'autre danger est ensuite de sombrer dans le leurre du « toutes les opinions se valent ». Ce n'est pas le cas, bien entendu. Mais ne pas croire que toutes les façons de penser se valent ne signifie pas non plus qu'elles n'aient pas toute une certaine valeur. Surtout, les dire, les entendre et les écouter est utile sinon essentiel en soi. C'est cette multitude d'idées qui nourrit la société, et c'est elle qui fait grandir les esprits de tous ceux qui la forment.

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