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Personne n'est Kenya?

La souffrance des Kenyans ne nous interpelle pas? Ne nous parle pas? Parce qu'ils sont Kenyans, noirs, chrétiens? Parce que Garissa, c'est loin, en Afrique, quelque part, pas loin de la Somalie, pauvre et différent? «Je suis Kenya», pas vous?
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La ville de Garissa, vous connaissiez? Probablement pas. D'ailleurs, auparavant, si l'on désirait obtenir quelques informations sur cette commune lointaine, il fallait nécessairement les chercher dans un guide, un dictionnaire, un atlas et/ou sur Wikipédia. C'est ainsi que nous aurions appris que Garissa est le chef-lieu du comté du même nom, qui était aussi celui de l'ancienne province nord-orientale au Kenya. Avec une carte de géographie, nous aurions pu alors situer la ville, pas trop loin de la Somalie (environ 150 kilomètres de la frontière somalienne). Mais, comme nous n'avons jamais été au Kenya, Garissa ne nous parle pas. Garissa n'existe pas, même si nous supposons qu'il y a probablement quelques bâtiments officiels, quelques hôtels et une université. Mais, peu importe. Garissa?... Nous ne connaissons pas.

Sauf que voilà... Jeudi 2 avril 2015, vers 5 h 30, des éléments du groupe islamiste somalien Al-Shabbaab prennent d'assaut l'université de Garissa. Les terroristes tirent sur deux gardes à l'entrée, puis ouvrent le feu au hasard, avant de pénétrer dans la résidence universitaire qui héberge plusieurs centaines d'étudiants. Équipés de masques et d'uniformes militaires, ils visent surtout les chrétiens, les sélectionnant en fonction de leurs habits, et les utilisant dans des mises en scène macabres. « Cela va être de bonnes vacances de Pâques pour nous », disaient-ils en swahili, rapporte un témoin. Un étudiant raconte comment les shebabs se sont même amusés avec leurs otages, les faisant par exemple ramper dans des mares de sang. D'autres ont dû téléphoner à leurs parents pour leur demander de réclamer le retrait des troupes kényanes de Somalie, avant d'être exécutés froidement. Certains jeunes se sont même barbouillés du sang de leurs amis abattus afin de passer pour morts, alors que les islamistes ratissaient les salles une par une (RFI, 4 avril 2015).

Selon le dernier bilan, 148 personnes ont été tuées, dont 142 étudiants, trois policiers et trois militaires. On compte également au moins 79 blessés. Les quatre terroristes ont été tués.

Bien évidemment, nous vîmes en boucle quelques images, à la télévision. Des soldats en faction, des femmes en pleurs, des soldats portant des cadavres. Mais, comme il semble qu'il y ait peu de correspondants de la presse étrangère au Kenya, il fut donc difficile et à chaud d'entendre des commentaires et de voir des reportages. Dans les réseaux sociaux ou dans la presse, quelques photographies ont été publiées. L'une d'entre elle est particulièrement effrayante. Elle est prise du haut d'un petit immeuble et l'on voit dans une salle ou dans une petite cour, une cinquantaine de corps allongés. Photographie terrifiante d'une réalité qui le fut plus encore. Personne ne peut imaginer ce qu'il en fut de cette horreur. Depuis, le Kenya pleure ses enfants. Un deuil national de trois jours a été décrété à partir de ce dimanche 5 avril.

Aussitôt, nous dirions que presque machinalement et comme ils ont l'habitude de le faire en d'autres circonstances, les dirigeants du monde entier ont forcément condamné l'attaque de l'université de Garissa. « Les États-Unis sont aux cotes du peuple kényan, qui ne se laissera pas intimider par ces attaques lâches » a déclaré Josh Earnest, porte-parole de la Maison-Blanche. « La France se tient aux côtés des autorités kenyanes et est prête à coopérer avec elles dans la lutte contre le terrorisme" a déclaré François Hollande, président de la République française. « Il ne peut pas y avoir de place pour ces actes de violence insensée dans nos sociétés. Le Royaume-Uni va continuer à soutenir le Kenya dans sa lutte contre le terrorisme et dans ses efforts pour amener les responsables de cet acte barbare devant la justice » selon James Duddridge, ministre britannique dédié à l'Afrique...

Mais ces condamnations sont-elles suffisantes?

Le pape François a parlé d'un acte d'une « brutalité insensée »... et à juste titre, le Pape a critiqué le mutisme de la communauté internationale, lors de sa bénédiction « urbi et orbi ».

Mutisme? Le mot est fort, mais il est juste.

Il faut le dire, nous sommes des milliers dans les réseaux sociaux et ailleurs à ressentir comme un goût amer, comme si nous comprenions que le monde est relativement indifférent. Nous sentons que ce n'est pas cela, qu'il y aurait comme un manque d'attention, qu'il manque quelque chose, qu'il y a comme un oubli et que les réactions sont insuffisantes, pour ne pas dire presque inexistantes. Qu'il aurait fallu marquer notre solidarité, qu'il aurait fallu descendre dans la rue, qu'il aurait fallu dire et redire, crier et hurler. Nous sentons que nous aurions dû exiger des gouvernements de franches condamnations, des déplacements au Kenya, des marques d'attention, de solidarité, de compassion, d'humanité. Pourquoi les chefs d'État ne sont-ils pas à Garissa, aujourd'hui? Pourquoi ne défilent-ils pas, comme ils l'ont fait à Paris? Devrait-on seulement défiler pour des victimes parisiennes ou parce que des Français sont touchés?

À regarder de plus près, ce silence est assourdissant. Il nous accable parce que nous refusons de rester indifférent, parce que nous nous souvenons que nous étions « Charlie », pas toujours « hyper cacher », mais que nous savions quand même élever une protestation collective et proclamer notre attachement à la liberté; parce qu'aussi nous rejetions collectivement l'hydre du terrorisme, parce que in fine nous résistions.

Alors, la souffrance des Kenyans ne nous interpelle pas? Ne nous parle pas? Parce qu'ils sont Kenyans, noirs, chrétiens? Parce que Garissa, c'est loin, en Afrique, quelque part, pas loin de la Somalie, pauvre et différent?

« Je suis Kenya », pas vous?

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