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Une corporation des historiens du Québec, au plus vite!

La récente polémique entourant la publication d'une biographie officielle (et commandée!) du premier ministre libéral Robert Bourassa par le romancier (j'insiste!) Georges-Hébert Germain et la réédition d'un essai biographique à saveur pamphlétaire du même homme politique par le politologue et journaliste Jean-François Lisée, au-delà des écueils éditoriaux insignifiants, pose une série de questions fondamentales justement quant au rôle, au savoir et à la place de l'historien dans notre société.
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CP

Je suis historien. C'est vrai, je visite des musées d'histoire à l'occasion. J'écoute la chaîne Historia parfois. Je m'intéresse aussi à mes ancêtres. Je lis Philip Kerr et Ken Follett. Du côté de la télé, j'ai adoré les séries Rome, Mad Men, le documentaire Apocalypse: la Deuxième Guerre mondiale. Ici, Musée Eden et Les Rescapés aussi. Oh, et je connais quelques dates par coeur. 1534: la découverte du futur Canada par Jacques Cartier. 1837-1838: les rébellions des Patriotes dans le Bas et le Haut-Canada. 1867: naissance de la Confédération canadienne. Bon, et j'en connais bien d'autres. Mais ce n'est pas ce qui fait de moi un historien.

Non, non. Il y a plus. Je me dis historien d'abord puisque c'est la discipline que j'ai choisie comme domaine d'études depuis bientôt sept ans. J'ai d'abord complété un baccalauréat, puis une maîtrise. Et voilà que je vise désormais le doctorat. Ça en fait des années d'études pour apprendre à écrire l'Histoire (avec un grand ou un petit « h », c'est selon). Pour apprendre un métier. Celui d'historien.

La récente polémique entourant la publication d'une biographie officielle (et commandée!) du premier ministre libéral Robert Bourassa par le romancier (j'insiste!) Georges-Hébert Germain et la réédition d'un essai biographique à saveur pamphlétaire du même homme politique par le politologue et journaliste Jean-François Lisée, au-delà des écueils éditoriaux insignifiants, pose une série de questions fondamentales justement quant au rôle, au savoir et à la place de l'historien dans notre société.

Rappelons un ou deux faits. Il y a près de deux ans, M. Germain est contacté par la « Fiducie de commémoration de la mémoire de Robert Bourassa » pour rédiger une biographie officielle du feu premier ministre. Grand amateur d'Histoire qu'il est, il s'empresse d'accepter la commande. Il entamera alors des recherches et mènera une série d'entrevues avec des proches de M. Bourassa pour « bien » documenter son ouvrage. Or, M. Germain, malgré toute la bonne volonté qui l'anime, malgré son intérêt soutenu pour l'Histoire, mais surtout pour l'hagiographie (il tient la chronique «Pour savoir à quels saints se vouer » à l'émission radiophonique La tête ailleurs sur les ondes de la Première chaîne de Radio-Canada), détient une licence en géographie et un baccalauréat en arts.

Autrement dit, il n'a jamais étudié en histoire. Il n'a jamais étudié sa méthode qui en fait une science à part entière dans le domaine des humanités. Du coup, il y va à tâtons, avec passion.

Pour un romancier qui oeuvre en littérature, et donc en fiction, ce n'est certes pas obligatoire de détenir une formation d'historien, sinon pour la culture personnelle et citoyenne que de telles études procurent. Toutefois, lorsque le romancier se fait appeler à devenir biographe, et surtout de personnalités politiques, un devoir de retenu devrait l'en dissuader. De la même façon qu'un plombier ne s'improvise pas électricien. Le travail n'est pas le même. Évidemment, tant le romancier, le journaliste, le blogueur que l'historien écrivent des textes. Mais la comparaison s'arrête là. Car jouer indument dans les platebandes des autres est généralement un grand générateur d'inepties.

C'est le cas pour l'ouvrage de M. Germain, truffé de petites erreurs historiques (brillamment relevées par le journaliste du Devoir Antoine Robitaille dans son récent article publié le 16 février dernier). Pis encore, l'auteur s'en défend! « Ce sont des choses qui nous ont échappé, » confie-t-il tout naturellement au Devoir. « Des erreurs factuelles, c'est sûr, il y en a plein», renchérit-il. Pardon? « Mais moi, ce que j'ai voulu faire, c'est aller vers Robert Bourassa; tenter de voir qui était cet homme-là dans la vie de tous les jours et de quelles valeurs morales il était habité.» Oh, donc vous étiez de bonne foi... Mais en quoi être de bonne foi excuse-t-il de rédiger un ouvrage historique bourré de faits non vérifiés?

C'est grave. D'autant plus que les gens qui liront cette biographie prendront ces faits erronés pour vérité. Bonsoir la rigueur de notre histoire! À tout le moins, ça donne de bonnes munitions aux tenants d'une réforme en profondeur du programme d'enseignement de l'histoire aux niveaux du secondaire et du collégial.

L'ouvrage de M. Germain, par son manque flagrant de méthode et de rigueur, entache directement et indirectement l'image du véritable historien, celui-là même formé à l'université. Voilà pourquoi il nous incombe, en tant que société, de valoriser le rôle, le savoir et la place de l'historien. Du vrai. Et ça passe, à mon humble avis, par la création d'une corporation des historiens, qui règlementerait ne serait-ce que l'usage du titre. Et qui confèrerait aussi une reconnaissance légale et morale du travail et de la formation de l'historien.

L'urgence est là. Mais sans une volonté politique et culturelle forte, on continuera de massacrer notre histoire à coup de petites erreurs glissées ici et là.

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