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Le quartier des riches

Mon père, il aimait pas ben ça Noël. C'est parce qu'il était obligé de suivre ma mère jusque dans sa famille qui habitait loin. Il fallait rouler deux heures et demi en auto sur la route qui tue pour se rendre au réveillon. Et la voiture était tout le temps trop pleine de tout. Je vous l'ai déjà dit : ma mère est une femme prévoyante qui aime parer à toute éventualité. Ça fait qu'en plus des cadeaux, il y avait une glacière remplie de galettes blanches, de pain sandwich et de petits pains au poulet. C'est au cas où on reste pris, qu'elle disait.
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madame chose

Mon père, il aimait pas ben ça Noël. C'est parce qu'il était obligé de suivre ma mère jusque dans sa famille qui habitait loin. Il fallait rouler deux heures et demi en auto sur la route qui tue pour se rendre au réveillon. Et la voiture était tout le temps trop pleine de tout. Je vous l'ai déjà dit : ma mère est une femme prévoyante qui aime parer à toute éventualité. Ça fait qu'en plus des cadeaux, il y avait une glacière remplie de galettes blanches, de pain sandwich et de petits pains au poulet. C'est au cas où on reste pris, qu'elle disait. Elle obligeait aussi mon père à embarquer nos bottes de poils et nos bas de soute. «Juste au cas», parce qu'on pouvait rester bloqués longtemps dans le Parc quand il y avait un accident, surtout quand c'était un face à face.

Mon père n'aimait pas Noël parce que ça voulait dire qu'il serait obligé de parler avec ma tante snob. C'est chez ma tante qu'on réveillonnait. Parce qu'elle était mariée avec un médecin et habitait dans un quartier de riches. «J'aime ça passer Noël avec eux autres», disait ma mère. Ça énervait mon père parce qu'on se rendait bien compte, en l'entendant parler de la grosse cabane de ma tante, qu'elle aurait aimé ça, elle aussi, habiter chez les riches.

Moi, je la trouvais laide la maison de ma tante. Il y avait de la fausse dorure et des cadres avec elle pis mon oncle dedans partout. J'ai toujours trouvé ça bizarre le monde qui mettent des portraits d'eux-autres partout chez eux. Mon père aussi. Il trouvait que ça faisait frais-chié. Ma mère, elle, disait que ma tante était belle comme Elizabeth Taylor sur le cadre accroché en haut du faux foyer.

Mon père haïssait Noël parce que le mari médecin de ma tante invitait d'autres médecins avec leurs greluches. C'est de même qu'il appelait leurs femmes aux médecins, mon père. Toute la soirée, ça parlait de l'hôpital pis de maison de campagne. On avait pas ça, nous autre, une maison de campagne. On avait un vrai camp avec une bécosse pis pas d'électricité, pas d'eau courante ni rien. Mon père ne comprenait pas à quoi ça servait d'avoir une maison en ville pis une autre pareille à la campagne. Moi, je ne comprenais pas à quoi ça servait d'aller s'encabaner toutes les fins de semaine dans un shack chauffé avec une truie, pour boire du gin et jouer aux cartes. Et j'avoue que j'aurais aimé ça pouvoir parler de mes weekends à la campagne à l'école le lundi.

Mais c'est l'année où ma tante a fait venir un traiteur que mon père s'est vraiment mis à détester Noël. Quand on est arrivés chez elle, il y avait des garçons habillés en pingouin partout. «C'est la nouvelle mode», a dit ma tante. Ma mère jubilait. Tellement qu'elle a dit à mon père que l'année d'après c'est nous autres qui allions recevoir pis qu'elle aussi, elle aurait des serviteurs.

Vers minuit ce soir-là, les serveurs ont commencé à monter le buffet. Et ma tante a fait le tour des invités pour leur dire que ça allait coûter 30 dollars par personne. Mon père était en furie. Il a dit à ma tante pis à son mari riche de laisser faire le buffet, qu'il allait se commander du St-Hubert Barbecue. «Tu parle d'une hostie de gagne de BS», qu'il a dit à ma mère, sur la route du retour.

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