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Ce que la réouverture de l'ambassade américaine à La Havane nous dit de la diplomatie américaine

Pour les États-Unis la valeur centrale de l'Amérique latine ne découle des problèmes internes de la région, leur principal impératif stratégique a toujours été et continue d'être la connexité géographique, économique.
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Le secrétaire du département d'État américain John Kerry sera à La Havane le 14 août pour hisser le drapeau à leur ambassade, un geste qui symbolise la reprise des liens diplomatiques formalisés le 20 juillet dernier entre Cuba et les États-Unis.

Au moyen d'initiatives ponctuelles qui relèvent de son autorité, Barack Obama continue à s'engager dans la normalisation des relations à travers la levée des restrictions, une manœuvre qui mine la portée de l'embargo sur plusieurs flancs : aviation civile, routes maritimes, télécommunications, santé, mobilité de personnes, augmentation du quota dans les consignations d'argent... En même temps, les transformations structurelles que Cuba est en train d'expérimenter (e.g. Port de Mariel) pourraient l'ériger en hub des transactions caribéennes et en une importante destination touristique. L'île attise dès à présent les convoitises et les acteurs économiques "étasuniens" pressent le gouvernement pour plus d'ouverture aux activités insérées au cœur de la mondialisation : les échanges.

Or, la suppression définitive de l'embargo n'est pas une des prérogatives de l'exécutif, c'est un pouvoir discrétionnaire du congrès spécifiquement à partir de l'entrée en vigueur de la loi Helms-Burton de 1996, date où l'embargo fut codifié et devint loi. Il y a quatre dispositions légales qui limitent substantiellement l'initiative du président américain :

  1. L'interdiction aux filiales américaine basées dans un pays tiers d'échanger commercialement avec Cuba, loi Torricelli de 1992.
  2. L'interdiction d'effectuer tout type de transaction avec des anciennes entreprises ou propriétés américaines nationalisées par Cuba, loi Helms-Burton de 1996.
  3. L'interdiction aux citoyens américains de voyager à Cuba à des fins touristiques .
  4. L'obligatoire règlement en espèces et à l'avance pour tout achat de produits agricoles aux entreprises américaines.

D'autre part, le 25 juin dernier une faction du congrès introduisit un projet de loi qui vise à empêcher l'accréditation d'un ambassadeur, par le biais de la restriction du financement de l'ambassade américaine à La Havane. Pour l'instant le chef de l'ancienne section d'intérêts, Jeffrey DeLaurentis, devient le chargé d'affaires par intérim, premier à bord en attendant l'accréditation d'un ambassadeur. Il existe donc une forte résistance politique aux initiatives de rapprochement avec Cuba, une majorité des congressistes et parmi eux ceux d'origine cubaine tels que Ted Cruz, Marco Rubio, Robert Menendez ou Ileana Ros-Lehtinen, ainsi que des structures telles que l'U.S.-Cuba Democracy PAC (un puissant comité d'action politique présidé par Mario Díaz-Balart), sont partie essentielle et particulièrement active du lobby qui cherche à désamorcer les mécanismes de rapprochement entrepris par l'administration Obama.

Changement de politique nord-américaine

Bien que le rapport de forces entre le gouvernement, le congrès et les lobbys soit déterminant dans l'évolution du dossier cubain, la réouverture de l'ambassade à La Havane s'inscrit dans un cadre plus large que celui des relations entre Cuba et les États-Unis. Dans l'hémisphère, un isolement progressif des États-Unis au cours des dernières années, par le biais du surgissement de nouveaux acteurs et de nouvelles dynamiques qui reconfigurent le rapport de force au continent américain, est en partie le produit du passif politique du pays avec la région Latino-Américaine.

Depuis la fin des années 90, un changement significatif est observé dans la carte politique de l'Amérique Latine. À la suite d'une période de prééminence du néolibéralisme dans la région, les projets politiques et économiques inspirés du Consensus de Washington entrèrent en crise et commencèrent à être déplacés par ceux des gouvernements dits progressistes, critiques des formules de l'époque. L'une des images les plus représentatives de ce processus de transformations est la croissante solidarité Latino-Américaine au sujet des revendications cubaines.

Cependant, pour les États-Unis la valeur centrale de l'Amérique latine ne découle des problèmes internes de la région (gouvernance, inégalités, développement...), leur principal impératif stratégique a toujours été et continue d'être la connexité géographique, économique et, par extension, le risque potentiel qu'une puissance extracontinentale puisse utiliser la région pour atteindre leurs intérêts et nuire à la capacité du pays à développer son agenda ailleurs dans le monde.

C'est dans cette logique que, dans le cadre de la politique du containment (endiguement), l'embargo qui depuis 1962 pèse formellement sur l'île fut conçu. Or, au XXIe siècle et dans un contexte de restructuration du rapport de forces, l'isolement de Cuba s'érige non seulement comme une politique qui atteint la présence commerciale et l'influence des États-Unis dans les affaires latino-américaines, mais favorise le rapprochement des pays de la région vers d'autres centres de pouvoir.

Toujours est-il que la projection de puissances extracontinentales (e.g. Chine) dans l'hémisphère à travers le commerce, les IDE, les joint-ventures et les investissements massifs de capital, sont en train de modifier l'infrastructure physique de l'Amérique Latine, édifiant les bases d'un levier politique consistant.

Pour corriger cette conjoncture, contrairement aux décennies précédentes dans lesquelles les États-Unis avaient une stratégie globale pour la région, aujourd'hui ils redimensionnent leur réflexion stratégique et s'engagent dans des initiatives bilatérales et sous-régionales pour regagner leur capacité d'influence dans un environnement caractérisé par la fragmentation. Il est probable que l'unification économico-commerciale du continent continue à être le projet étasunien or, au moyen d'une nouvelle stratégie, Cuba devient la clef de voûte pour déverrouiller la région.

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