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Déconstruire les Skittles de Donald Trump Jr.

L'analogie oublie de mentionner les bienfaits de manger les bonbons non-terroristes.
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Si vous suivez les récentes péripéties incroyables de la politique américaine, vous aurez entendu parler du tweet de Donald Trump Jr. sur les Skittles, une analogie très boiteuse sur les réfugiés syriens. Si je traduis en français son commentaire affublé d'une image d'un bol de Skittles (des bonbons de couleur similaires aux M&M's), cela donnerait: «Si j'avais un bol de Skittles et je vous disais qu'il y en a trois qui peuvent vous tuer, est-ce que vous en prendriez une poignée? C'est là notre problème de réfugiés syriens.»

Évidemment, Donald Jr. s'est fait critiquer sur ce tweet très maladroit dont le raisonnement est faux. Cependant, les critiques n'ont pas adressé, selon moi, les défauts réels de son argumentaire. On l'a accusé de comparer des humains à des bonbons, de traiter les Syriens de poison et d'être raciste. Pour ce dernier point, c'est probablement vrai, mais pour les besoins d'une analogie, on peut bien comparer les humains à n'importe quoi aidant à la comparaison, que ce soient des bonbons, des pommes ou des coquerelles.

Pour ce qui est des Syriens en tant que poison, Donald Jr. prétendait sûrement plutôt que ce sont les terroristes qui sont un poison. Il me semble qu'associer terrorisme et poison est assez juste, pour peu que nous ne soyons pas dans le camp des terroristes. De dire qu'il y aurait au moins trois terroristes qui sont des Syriens est aussi probablement vérifié, car il y a assurément au moins trois terroristes dans tous les peuples de la Terre (sauf les Liechtensteinois).

Une analogie séduisante

Qu'est-ce qui ne clique pas avec l'analogie de Trump fils? Je vais la déconstruire avec l'aide de la philosophie sceptique. Vous serez ainsi en mesure de répondre aux pro-Trump québécois (il y en a de plus en plus, écoutez seulement les lignes ouvertes) quand ceux-ci vous relanceront ce tweet américain, ramené à propos des réfugiés syriens en sol québécois ou de l'immigration de façon générale.

Certes, à première lecture, on sent intuitivement que son affirmation n'a aucun sens. Les réfugiés syriens ne peuvent être comparés à un bol de bonbons dont trois sont empoisonnés. Et pourtant, quelque chose en nous dit que cela pourrait être raisonnable de penser ainsi. Car effectivement, si on sait qu'un bol de bonbons en contient même un seul qui pourrait nous tuer, nous jetterions le bol au complet sans hésiter. Alors pourquoi, sachant qu'il y a probablement au moins un terroriste parmi les réfugiés, ne fermons-nous pas les portes du pays pour rester sécurisés à 100 % ? Car un mort canadien aux mains d'un seul terroriste est déjà un mort de trop. Fermons les frontières!

Non.

Scepticisme 101

En vérité, pour démolir le tweet de Donald Jr., cela requiert un effort de déconstruction pour en analyser les parties une à une et comprendre que sa comparaison ne tient pas la route. Je n'ai remarqué nulle part dans les médias une telle démarche, et c'est pourquoi je la débute ici même en usant de scepticisme.

Que nous dit Donald Trump Jr.?

• que l'ensemble des Skittles dans le bol représente la totalité des réfugiés syriens ou, à tout le moins, ceux que les États-Unis s'apprêtent à accueillir ;

• que dans ces réfugiés il y a (au moins) trois terroristes représentés par trois bonbons empoisonnés ;

• qu'un seul bonbon empoisonné est suffisant pour tuer, tout comme un terroriste peut causer des morts ;

• que vous représentez le peuple américain à vous seul et que manger un bonbon correspond à accueillir un réfugié en sol américain ;

• que la façon (simple) d'écarter la menace est de ne pas manger ces Skittles, donc de ne pas accueillir les réfugiés ;

• qu'il n'est pas possible de détecter les bonbons empoisonnés avant de les manger, tout comme on ne peut jamais savoir quel Syrien est un terroriste avant qu'il ne commette son acte terroriste.

Donc, selon la logique de Donald Jr., si vous mangez un à un les Skittles, cela est comparable à accueillir un réfugié à la fois et que, rendu au bonbon empoisonné (le réfugié terroriste), vous allez mourir tout, comme le terroriste va tuer des Américains.

On commence déjà à constater que quelque chose cloche dans ce raisonnement, mais j'y reviens.

Sortez vos maths

La première affirmation est qu'un bol de bonbons Skittles représente les réfugiés syriens à accueillir. Le président Obama s'était fixé un nombre de 10 000 réfugiés à recevoir aux États-Unis, c'est même petit comparé à nos 25 000 réfugiés du début de cette année. À quoi ressemble un bol de 10 000 Skittles?

Pour parvenir à visualiser 10 000 Skittles, un peu de mathématiques est nécessaire. Un Skittle pèse environ 1g, donc 10 000 de ces bonbons atteignent 10kg (environ 22 lbs). J'ai trouvé cette image d'une boîte de 25 lbs de Skittles. On s'aperçoit qu'on est loin d'un bol. En fait, il semble que plusieurs dizaines de bols pourraient entrer dans cette boîte.

Si trois seulement sont empoisonnés dans cette boîte de 25 lbs, ne devient-il pas tentant d'en prendre une poignée quand même en espérant survivre? Certaines personnes qui affectionnent le risque zéro diraient encore: non, on jette la boîte.

Les proportions changent selon ce que Donald Jr. a voulu indiquer. Voulait-il insinuer que le bol de bonbons représente tous les réfugiés syriens dans le monde et qu'une poignée représente les réfugiés que les États-Unis acceptent? Si c'est le cas, il estime donc qu'il y a énormément de terroristes syriens dans les 4,8 millions de réfugiés syriens en dehors de Syrie (estimation des Nations unies).

Si un bol d'une centaine de bonbons représente près de cinq millions de personnes, cela implique qu'un bonbon équivaut à 50 000 personnes. Donc, trois bonbons dangereux correspondent à 150 000 terroristes. Est-ce réaliste? Bien sûr que non. De plus, une poignée d'une vingtaine de bonbons équivaudrait à accueillir un million de réfugiés, mais Obama en veut cent fois moins!

La réfutation point par point

Il est possible d'ignorer toutes ces considérations mathématiques si Donald Jr. a simplement voulu dire que des terroristes se cachent parmi les réfugiés, peu importe leur ratio. Un seul terroriste est déjà de trop. Vraiment?

Le reste de son raisonnement est facile à démonter. Donc, la personne qui mange les bonbons représente les États-Unis ou le peuple américain, et manger le bonbon terroriste tue la personne, donc tue les États-Unis. Pardon? Ai-je bien compris? Un seul terroriste est capable d'anéantir les États-Unis? Mais absolument pas. Il égratigne, tout au plus.

Ensuite, l'analogie oublie de mentionner les bienfaits de manger les bonbons non-terroristes. Ces individus qui arrivent dans un pays et contribuent au développement de leur pays d'accueil apportent une aide appréciable pour le futur qui contrebalance largement tout impact négatif des terroristes.

Autre point, est-il vrai qu'on ne peut détecter le bonbon empoisonné? Car, en fait, plusieurs attentats ont été évités en découvrant leur plan, et l'accueil des réfugiés survient après une enquête des dossiers. Il est donc possible de détecter le bonbon empoisonné.

Ce que l'analogie aurait dû être

À la lumière de tous les faits que j'ai énoncés précédemment, l'analogie de Donald Trump Jr. devient ceci (je remplace les Skittles par un bonbon santé fictif) :

«Si je vous disais qu'une boîte de 25 lbs de Brittles (plus de 10 000 bonbons) contient trois bonbons empoisonnés, que vous pouvez identifier en scrutant prudemment les bonbons, et que de toute façon l'ingestion d'un de ces bonbons ne vous causera qu'une légère nausée passagère, seriez-vous prêt à en manger une poignée, considérant comment vous aimez manger des Brittles, qu'ils sont nutritifs et bons au goût et vous garantissent une saine alimentation?»

Oui, Donald Jr., je serais prêt à les manger (accueillir).

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