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Trump ou les dangers de la démocratie (3e partie)

Serait-il temps de penser à changer de régime politique et, si oui, quelles alternatives s'offrent à nous?
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Dans mes précédentsarticles sur Donald Trump et les dangers de la démocratie et du droit de vote égal pour tous, même à ceux dont nous méprisons l'opinion politique (et inversement), je montrais que la démocratie à l'américaine, et même au Canada, n'était pas si parfaite - certains analystes prétendent même que les États-Unis ne sont pas une démocratie - et qu'il était possible, pour les partis politiques, de manipuler l'électorat par des techniques empruntées à la publicité et à la psychologie. Si bien que le droit de vote pour tous n'a peut-être plus grande valeur dans nos sociétés supposément civilisées.

Suite au Super Tuesday des primaires américaines, étape importante pour l'investiture des partis, le 1er mars dernier, Donald Trump augmente encore son avance vers la nomination, au grand désarroi des «plus sérieux» du parti, qui contemplent maintenant la scission, le front commun ou même l'assassinat politique (sait-on jamais) pour contrer le magnat qui a réussi à parler au peuple comme jamais les adeptes de la langue de bois n'ont su le faire. Ces dernières semaines, Trump a cité Mussolini, n'a pas répudié le Ku Klux Klan, et a vanté la grosseur de son pénis.

Mais rassurez-vous, pour l'avoir vu en entrevue à Charlie Rose et à un récent débat républicain, il est capable d'être sérieux quand c'est le temps de l'être. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne va pas presser le bouton rouge (des missiles ballistiques) sur un coup de tête.

Sérieusement et intuitivement, je crois que sa présidence ressemblerait à celle de Ronald Reagan et ferait autant de dommages (ou de biens, selon certains) à l'humanité que les 8 ans de présidence de l'ancien acteur, la différence étant qu'un acteur sait mentir en public, alors que Trump s'amuse à parler plus vite qu'il ne pense.

On en ferait peu de cas si on n'était pas un peu inquiet qu'il ne gagne contre sa rivale Hillary Clinton qui, selon toute vraisemblance, sera la candidate démocrate. Pour le moment, les sondages donnent une lègère avance à Mme Clinton dans une hypothétique confrontation Trump-Clinton en 2016. Mais quand on voit comment Trump réussit à «parler» aux incompris de l'électorat, ceux-là même qui ne voteront jamais pour Clinton et, au mieux, risquent de s'abstenir, on est en droit de s'inquiéter des années 2017-2021 (la présidence débute le 20 janvier de l'année suivant l'élection) avec un proto-fasciste aux commandes de la seule superpuissance mondiale (la Chine a encore des problèmes avec son économie intérieure et la Russie n'est plus l'empire qu'elle était).

Et tout ça à cause de quoi, au juste ? Parce que le «ti-clin» du Nebraska, dans son bunker antinucléaire tapissé de son arsenal paramilitaire, a un droit de vote égal (et parfois même supérieur, selon l'État où il réside) au pacifiste fleuri de Haight-Ashbury. Vous me direz :«mais c'est ça, la démocratie, chacun a le droit à son opinion». Bien voilà, la démocratie va nous engendrer un monstre autodestructeur qui risque de malmener une planète déjà passablement amochée par deux grandes guerres au siècle dernier.

Est-ce vraiment ce que nous désirons, tenir à tout prix à nos valeurs d'égalité, ou ne serait-il pas temps de nous soucier des implications réelles de notre idéal de société ? La démocratie est-elle rendue malade à cause des nouvelles techniques de manipulation de masse ? Serait-il temps de penser à changer de régime politique et, si oui, quelles alternatives s'offrent à nous ?

Dans cet article, je vais tenter de ne pas prendre position car, en réalité, je n'en sais fichtrement rien de ce qui pourrait nous sauver de bouffons présidentiels comme Trump. Le changement n'arrivera pas en 2016, mais si je peux ouvrir la discussion à une possible reconsidération de la démocratie comme étant le meilleur des moins pires des systèmes politiques et qu'il ne faut jamais y toucher, ce battement d'ailes de papillon pourrait engendrer la révolution qui nous préviendra des prochains Trump (ou Hitler, ou Napoléon).

Tout le monde sait que les États-Unis ne sont pas une démocratie

Il y a un débat un peu creux et sémantique à savoir si les États-Unis sont une démocratie ou une république. Comme le dit cet article du Washington Post, les États-Unis sont en réalité une démocratie représentative fédérale constitutionnelle. Ça veut dire quoi ?

La vraie démocratie directe, c'est-à-dire la population qui vote les lois directement (et tous les aspects de l'administration du pays), serait impossible aujourd'hui dans nos sociétés trop complexes. Ce genre de système apporte aussi la tyrannie de la majorité, car c'est le vote majoritaire qui gagne, et les demandes des minorités risquent d'être ignorées. Ce serait inacceptable de nos jours de ne pas protéger les minorités raciales, religieuses et sexuelles.

C'est pourquoi on parle d'une démocratie représentative qui est aussi un synonyme de république. Il s'agit du système actuel où l'on vote pour des représentants (au Canada, les députés) qui, eux, décideront des lois. Donc, dans un sens, les États-Unis ne sont pas une démocratie directe, mais une démocratie représentative. Et comme c'est le seul cas de démocratie qui fonctionne au niveau des gouvernements actuels, on abrège en appelant le tout «démocratie» (ou «république»). L'élément fédéral constitutionnel est que certaines lois sont assujetties à la Constitution et, en quelque sorte, au-dessus du gouvernement.

Un peu d'histoire : Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis et principal rédacteur de la déclaration d'indépendance américaine, considérait que la démocratie pouvait efficacement fonctionner avec un électorat éduqué. Contrairement à Aristote, qui avait peur de la démocratie, qu'elle laisse le pouvoir à la population ignorante qui prendrait de mauvaises décisions (est-on en train de vivre ceci ?), Jefferson prit des mesures pour éduquer la jeunesse américaine afin que la démocratie soit bien servie par l'électorat.

Cependant, dans cette publication scientifique au sujet du niveau d'information d'un électorat par rapport à l'octroi du droit de vote, il existe un paradoxe entre permettre à un plus grand nombre de citoyens de voter, et désirer un électorat toujours plus éduqué.

C'est contradictoire, l'expansion de l'électorat amenant nécessairement des citoyens peu informés, puisque l'élite a toujours eu droit de vote. Pourtant, cette publication conclut que ce ne fut jamais un danger pour la démocratie, puisque toutes sortes de mécanismes se substituent à l'intelligence de l'électorat.

Ce n'est pas l'avis de la personne qui suit.

Abstiens-toi de voter si tu n'y comprends rien

Ce commandement du parfait petit voteur pourrait bien impliquer que nous devrions tous nous abstenir de voter, mais c'est l'idée éthique très sérieuse du philosophe politique Jason Brennan de l'université de Georgetown, qu'il expose dans son livre The Ethics of Voting.

Jason Brennan argue que voter est une responsabilité très importante qui a des répercussions sur des politiques qui toucheront certainement à plusieurs aspects d'une société, et que si on a le moindre sens éthique et qu'on sait ne pas trop comprendre les enjeux en cours dans une élection particulière, nous devrions nous abstenir de voter, afin de ne pas nuire au bien commun.

Le bien commun devrait être l'objectif premier d'un voteur quand il décide de son vote, et pas ses intérêts personnels. C'est trop facile de tasser Brennan sous le tapis, sachant qu'il est libertarien. La réalité est plus complexe. Il soulève un point intéressant, qui est effectivement qu'un électeur peu informé peut facilement envoyer à la Maison-Blanche (avec l'aide de ses compatriotes aussi peu informés) un président fou qui ne servira pas le bien commun. Si vous pensez à Trump en même temps que moi, vous ne vous trompez pas.

On sent que Brennan aimerait peut-être carrément interdire le droit de vote aux électeurs peu informés, mais son sens moral (bien heureusement) lui empêche d'être aussi radical, et dans son livre, il implore ce type d'électeur de participer au bien commun à sa façon, en s'abstenant.

Évidemment, si tout le monde s'abstient, alors il sera facile à un candidat de se faire élire avec sa «petite clique d'amis». Le problème, ici, est que les intrigues à la Maison-Blanche, ou tout autre lieu de décision, sont tellement complexes qu'il est pratiquement impossible de se dire bien informé. Et on peut se croire bien informé et ne pas l'être vraiment. Par contre, l'avantage de cette «nouvelle démocratie» que l'électeur s'impose est qu'il n'y a pas besoin d'une révolution.

Le roi est mort, vive l'anarchie !

L'anarchisme comme système politique ne signifie pas des cocktails Molotov dans des vitrines, des morceaux de pavé arrachés, ou des casseroles qui produisent un clinquement dans un printemps érable. L'anarchisme est tout simplement l'absence de gouvernement central et de hiérarchie, et l'organisation des humains selon une base volontaire. Est-ce que ça peut fonctionner ? Est-ce que cela a déjà fonctionné quelque part ?

Oui, il y a quelques exemples de mouvements anarchistes qui ont eu quelque succès.

Entre autres, la Commune de Paris de 1871. À la suite de la guerre franco-prussienne de 1870 (défaite de la France), le prolétariat s'est organisé pendant deux mois à Paris avant que la répression sanglante du gouvernement français ne vienne y mettre un terme et n'exile les Communards en Nouvelle-Calédonie. La Commune de Paris, durant sa relative brève existence, adopta certaines mesures modernes, comme la séparation de l'Église et de l'État, le début d'un mouvement féministe, le mariage libre par consentement mutuel, la gratuité des actes notariaux.

Il y a énormément d'écoles de pensée dans le mouvement anarchiste, certaines diamétralement opposées. Quelques-unes prônent le retour à une société pré-industrielle, d'autres une forme basée sur le communisme ou le syndicalisme. Certaines mettent l'emphase sur l'individu, pendant que d'autres privilégient la collectivité. Il y a des anarchistes pacifiques, et des anarchistes naturistes, proches des écologistes. Comme les décisions sont décentralisées, il y a moins de risque, ou même zéro risque, qu'une poignée de citoyens mal informés votent un leader inadéquat pour l'ensemble de la population.

Il est fort peu probable que les États-Unis adoptent l'anarchisme dans un futur proche, et on peut supposer que des nations étrangères profiteraient aussi de l'absence d'une armée nationale pour s'emparer de territoires. Les anarchies qui ont vu le jour dans l'histoire ont toutes été conquises par une puissance militaire supérieure.

Et si la démocratie n'était pas en danger, même avec Trump ?

Dans notre vision élitiste de la politique et de la bienséance, de nos tours d'ivoire des belles valeurs d'inclusion et de tolérance, Donald Trump nous apparaît comme une menace à la raison, au progrès de la morale depuis le siècle des Lumières. Mais si la démocratie prévoyait justement de revenir à tous les 50 ans à un imbécile destructeur qui donnera un coup de barre sévère à la direction prévisible, routinière et sclérosée d'un pays ? Une sorte de choc électrique amorcé par les exclus de la société, qui n'ont jamais leur mot à dire, étant maintenus en constante suppression par nous, les élites intellectuelles qui croyons détenir la science infuse ?

Peut-être que l'évolution humaine, par un système d'essais et d'erreurs aux quatre ans, avance sainement à travers l'histoire, une fois vers la droite, une fois vers la gauche, souvent au centre, quelquefois dans la cave, et rarement vers les cieux.

Qui sommes-nous pour prétendre que nous savons à coup sûr où doit se diriger un pays ? Peut-être que l'intelligence collective aveugle d'une population, même mal informée, sait mieux que n'importe quel individu où le pays doit aller dans les quatre prochaines années. Et si elle se trompe, il sera toujours temps de revenir sur cette décision à la fin de ces quatre ans.

Donald Trump nous fait peur à nous, mais pourtant il semble plaire à une frange de la population que nous fréquentons peu. Et si c'était le temps de se taire pour quelques années et de leur laisser la parole ? C'est leur revanche, et la démocratie nous ordonne de les écouter. Seul l'avenir nous dira si la démocratie actuelle est encore pertinente.

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