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Le vêtement trompe-l'oeil

Ma prestance et ma classe éliminent tout soupçon sur mes états d'âme. Souffrir en silence, mais en beauté. Le vêtement travestit non seulement mon alcoolisme et ma toxicomanie, mais aussi mon anxiété chronique. Il camoufle ma fragilité.
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Depuis quelques semaines je suis interpellé par deux thématiques très populaires dans les médias et les réseaux sociaux : la maladie mentale et le défi 28 jours (28 jours sans boire d'alcool). Ces deux thèmes me visent directement. Je me réjouis qu'enfin on puisse publiquement évoquer nos parties d'ombre sans soulever tout un tollé.

Dédouané de mes dépendances et réhabilité en 1984, il m'est apparu évident que les vêtements ont un pouvoir immense dans le jeu des apparences et dans cette notion de l'être et du paraître. Déjà sensibilisé à cette époque à la socio-psychologie du vêtement il relevait du simple bon sens et de la logique que je m'intéresse à ce phénomène social. Le vêtement trompe-l'œil qui laisse croire au mirage m'a permis de berner mon entourage sur mon état de vie d'alors. Qui souffre le plus, l'intérieur ou l'extérieur?

De 19 à 33 ans, j'accumule les jobs, mais les échecs sont cuisants et proportionnels à mes ambitions. Rien ne me satisfait. Ma vie affective est un désastre, une peine d'amour terriblement souffrante me mène à la dépression.

Découragé et persuadé que je n'aboutirais jamais à rien de bon, je consomme drogue et alcool pour taire cette voix intérieure qui me rabâche le refrain triste de ma condition et qui résonne comme un marteau piqueur dans ma tête. Convaincu d'être un homme peu sympathique, un personnage dessiné aux traits gras, sans aucun pouvoir de séduction, je végète dans les bars! La tristesse m'habite à temps plein, l'abattement aussi. La dépendance aux substances me rapproche de l'animal en quête de survie.Je me réfugie dans ma langueur. Ce mal de vivre et cette souffrance intérieure sont difficilement perceptibles tellement mon port de tête et mon style affichent une personnalité sûre d'elle et déterminée. Ma prestance et ma classe éliminent tout soupçon sur mes états d'âme. Souffrir en silence, mais en beauté. Le vêtement travestit non seulement mon alcoolisme et ma toxicomanie, mais aussi mon anxiété chronique. Il camoufle ma fragilité. Je peux sembler prétentieux quand j'évoque mon port de tête, ma classe ou mon élégance, mais mon intention est de démontrer le rôle du vêtement dans notre histoire personnelle, dans nos habitudes et dans nos comportements et non de faire étalage de mon sens esthétique ou encore de laisser croire en mes moyens financiers.

Lors de mes conférences et ateliers, il arrive parfois que quelqu'un s'insurge contre mon discours et riposte sèchement à mes arguments. Beaucoup de gens croient encore qu'une tenue vestimentaire adéquate est synonyme de vêtements griffés ou de grandes marques ce qui crée des frustrations et alimente le préjugé que la mode est accessible à un groupe restreint de citoyens.

J'avais une personnalité réversible contrairement à mes vêtements. Est-ce la raison pour laquelle les gens m'accordaient leur confiance et souscrivaient à mes projets, sans se douter de tout ce mal qui me rongeait? Je mentais inconsciemment aux autres, mais aussi à moi-même. Qui ment le plus, la raison ou l'émotion?

« C'est pour cela que vous êtes artiste. Vous avez trouvé par le chant, par l'art, par l'apparence, la posture, le moyen de vous faire accepter. » Boris Cyrulnik

Si fier de moi et heureux d'annoncer ma décision d'arrêter de consommer, les réactions ont été mitigées à mon grand étonnement quand j'ai partagé la nouvelle de ma sobriété à mon entourage. La plupart des gens se disaient surpris d'entendre les mots «alcoolique et toxicomane» venant de ma part, moi si confiant, fonceur, déterminé et bien stylé. Certains amis croyaient même qu'il s'agissait d'une boutade pour me donner de l'importance et que cette crise d'identité passerait. Je confondais «fêtard» et «ivrogne» selon certains. Un alcoolique n'est-il pas quelqu'un qui mendie, édenté, qui erre dans les parcs et qui porte des haillons?

La sobriété ne m'a pas épargné des mauvaises décisions d'affaires, des conflits familiaux, des deuils, ni de la maladie, mais elle m'a enseigné qu'inévitablement le soleil fait place à l'orage. J'ai retrouvé graduellement confiance en mes moyens et mon abstinence a été ma bougie d'allumage vers des jours nettement plus prometteurs.

On est loin de la coupe aux lèvres et la partie n'est pas gagnée concernant les maladies de l'âme, je sais, et la simple expression «maladie mentale» effraie encore un bon bassin de la population et les préjugés sont tenaces. C'est comme les punaises de lit, c'est malheureux pour ceux qui en hébergent, mais il demeure toujours un doute sur la propreté de leur maison. On tire vite des conclusions, occupés que nous soyons à juger, le cerveau lessivé par la désinformation.

Révéler ses secrets, même à l'âge adulte, est un risque à prendre. On ne parle pas de ces choses-là. Puisque je «porte» bien la boisson et que cela ne paraît pas, le déshonneur est moindre pour mon entourage au même titre que mon homosexualité d'ailleurs. Les familles tolèrent plus facilement les modes de vie des membres récalcitrants de leur communauté tant et aussi longtemps qu'ils ne sont pas révélés au grand jour et ne voient souvent dans leurs comportements que faiblesse et manque de volonté. L'ignorance est un poison. La perception donne le ton à l'évaluation que nous faisons des gens et des circonstances. Elle est un élément important à considérer dans la dynamique d'une lecture vestimentaire.

Être fier de soi, de ses réalisations, est crucial pour un rétablissement. Le manque de confiance en soi anéantit notre potentiel créatif et nous maintient dans une zone d'insatisfaction. Une fois de plus, le vêtement a participé à mon histoire. «Le vêtement est narratif, il raconte quelque chose» Anonyme

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