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Vente de Rona: l'AMF néglige les droits linguistiques des épargnants francophones

Pourquoi les actionnaires anglophones de Rona disposeraient-ils de plus de renseignements que les actionnaires francophones? Comment expliquer le laxisme délirant de l'AMF dans ce dossier?
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Les actionnaires de Rona ont été convoqués à une assemblée extraordinaire pour approuver la vente de Rona à Lowe's en vertu d'une convention d'arrangement.

Toute l'information relative à cette opération d'une valeur de 3,2 milliards de dollars se trouve dans la circulaire de sollicitation de procurations de la direction de Rona dont les versions anglaise et française sont accessibles sur le site www.sedar.com.

Traduction incomplète vers le français

La lecture de la version française de cette circulaire est instructive : sur 203 pages, 69 sont en anglais, soit un peu plus du tiers du document.

Ces 69 pages non traduites de l'anglais vers le français, correspondent justement au texte intégral de la convention d'arrangement.

Arguments de l'AMF

Comment l'Autorité des marchés financiers du Québec, dont la mission consiste notamment à protéger les épargnants, peut-elle justifier une telle situation?

Selon l'AMF, en vertu de l'article 55 de la Charte de la langue française, un contrat conclu au Québec peut être rédigé dans une autre langue que le français si telle est la volonté expresse des parties.

C'est vrai. Mais ce raisonnement juridique boiteux parce que lacunaire serait d'une foudroyante fulgurance si seulement l'AMF arrivait à le concilier avec l'article 40.1 de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, qui est impératif.

L'article 40.1 dispose que tous les documents d'information continue tels que la circulaire doivent être établis en français, ou en français et en anglais.

La convention d'arrangement peut bien avoir été signée en anglais, mais une fois insérée dans la circulaire destinée aux actionnaires, elle doit absolument être traduite vers le français dans son intégralité afin de permettre aux actionnaires francophones de prendre une décision éclairée.

Imaginons un instant qu'une société chinoise présente une offre d'achat visant Rona. Selon le raisonnement de l'AMF, les actionnaires, anglophones et francophones, devraient-ils accepter que le tiers de la circulaire qui leur est destinée soit rédigée en mandarin ou en cantonais?

L'AMF se justifie en affirmant que de toute façon la teneur de la convention d'arrangement est résumée dans la circulaire. Pourtant, le passage de la circulaire qui résume la convention ‒ et qui ne compte qu'une dizaine de pages ‒ est précédé d'un avertissement aussi sérieux qu'éloquent :

«Le texte qui suit n'est qu'un résumé des modalités importantes de la convention d'arrangement [...] et est présenté entièrement sous réserve du texte intégral de la convention d'arrangement [...]. Les actionnaires sont priés de lire intégralement la convention d'arrangement [...].»

(Nos soulignés)

L'AMF se défend en affirmant qu'elle n'a pas accordé de dispense de traduction dans ce dossier.

Laxisme de l'AMF

En tant qu'organisme chargé de l'application de la loi, l'AMF peut-elle se contenter de ne rien faire et prétendre que tout est légal et conforme parce qu'elle n'a pas accordé de dispense de traduction? C'est tout à fait illogique.

Pourquoi les actionnaires anglophones de Rona disposeraient-ils de plus de renseignements que les actionnaires francophones? Comment expliquer le laxisme délirant de l'AMF dans ce dossier?

C'est que, depuis au moins 2011, l'AMF et un certain lobby financier insistant font la promotion active d'un soi-disant modèle européen qui permettrait le dépôt au Québec de documents d'information continue uniquement en anglais accompagnés de résumés en français.

Pour l'AMF, la traduction vers le français coûte trop cher. Pour l'AMF, les Québécois n'ont simplement plus les moyens d'être francophones.

Le gouvernement du Québec doit agir

La version française de la circulaire de Rona ne respecte ni le statut du français au Québec, ni la Charte de la langue française, ni la Loi sur les valeurs mobilières. Elle bafoue les droits linguistiques des actionnaires francophones et nous donne un avant-goût de ce que nous réserve l'AMF avec son «modèle européen», manifestement non transposable au Québec.

Il est sidérant de constater que des fonctionnaires de l'État québécois cautionnent avec autant d'insouciance des manœuvres qui minent l'identité québécoise et menacent la paix linguistique.

On en vient même à se demander si les droits linguistiques des épargnants francophones du Québec ne seraient pas maintenant mieux protégés par une véritable commission fédérale des valeurs mobilières qui exigerait que les documents d'information continue soient déposés dans les deux langues officielles à la grandeur du pays.

À la demande expresse de l'Association canadienne des juristes-traducteurs (ACJT), le gouvernement Charest en 2012 puis le gouvernement Marois en 2013 s'étaient engagés par écrit à ne pas modifier l'article 40.1 de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec. À l'automne 2014, l'ACJT a présenté la même demande au gouvernement Couillard. Elle attend toujours sa réponse.

Le moment est venu pour le gouvernement du Québec de régler cette question une fois pour toutes ou, à défaut, de confier au gouvernement fédéral la protection des droits linguistiques des épargnants francophones.

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