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Le culte des armes à feu

Dans un pays où un timide programme d'assurance-maladie est encore impopulaire, comment penser qu'on puisse accepter facilement le contrôle des armes ? Si les Américains sont encore si peu sensibles au sort de trente millions des leurs qui n'ont pas les moyens de s'assurer des services de la médecine, comment voulez-vous qu'ils croient opportun de prévenir d'autres tueries au moyen de nouvelles règlementations et de restrictions aux libertés individuelles ?
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AP

Une autre tuerie aux États-Unis. Un événement presque banal. Cela se produit plus de vingt fois par année. Cette fois-ci, la réalité cruelle du carnage rejoint la fiction populaire. On croyait que cela faisait partie du film.

Le film, c'est plus que Batman. C'est l'histoire même des États-Unis. C'est le culte de l'individu, de l'individu fort, indépendant, capable de se faire justice à lui-même. C'est Batman, mais aussi Superman, Spiderman et le cow-boy, héros du Far West incarné par les John Wayne et autres grands Américains. Charlton Heston fut président et membre honorifique à vie de la National Rifle Association, le plus puissant lobby de l'histoire des États-Unis qui compte pourtant des milliers de membres. Une organisation qui existe depuis 1871 et s'évertue à combattre quelque contrôle que ce soit des armes à feux en vertu du sacro-saint second amendement de la Constitution, partie du Bill of Rights ou Charte des droits : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. »

Peu importe que la possession individuelle d'une arme à feu n'ait plus rien à voir de nos jours avec une milice bien organisée en vue de la sécurité de l'État. Il s'agit toujours d'un droit profondément inscrit dans la culture américaine et dans la signification qu'elle attribue à la liberté. Ainsi la vénérable Cour suprême des États-Unis entérine le droit individuel de porter une arme. Aussi récemment qu'en 2008, elle invalide un règlement du district de Columbia comportant une obligation de déclarer la possession d'armes.

Sans doute un grand nombre d'Américains s'activent avec raison pour établir à tout le moins une forme de contrôle de la vente et de la possession des armes à feux. Ainsi, à la suite de la tuerie de Denver, un personnage aussi prestigieux que le maire de New York, Michael Bloomberg, s'empresse de déclarer : «Il est peut-être temps que les deux hommes qui veulent être président des États-Unis se lèvent et nous disent ce qu'ils vont faire à ce sujet, car il s'agit à l'évidence d'un problème qui concerne tout le pays.»

Mais en même temps, des voix s'élèvent dans les milieux conservateurs pour souhaiter au contraire que le droit strict de tout individu de garder sur lui ou près de lui une arme à feu soit non seulement préservé mais encouragé. Si plus de personnes avaient été armées dans la salle du Multiplex de Denver, le tueur aurait peut-être fait moins de victimes. Voilà ce qu'on peut toujours soutenir au pays de l'Oncle Sam. On peut imaginer les batailles de rue auxquelles donnerait lieu l'universalisation du droit de défense par les armes. Cela n'empêche pas plusieurs Américains de prôner le caractère dissuasif des armes à feux.

Une question de campagne électorale ?

En conséquence, il y a peu de chances que les candidats à la présidence fassent campagne sur cette question. De toute façon, Mitt Romney s'est déjà prononcé en faveur de la liberté absolue selon la ligne conservatrice qui prévaut présentement dans le Parti républicain. Certes il a déjà favorisé le contrôle des armes, mais là dessus comme sur bien d'autres questions, il a eu tôt fait de changer d'avis en fonction des pressions dont il est l'objet. Quant à Obama, lui aussi a dû atténuer ses engagements de 2008. Dans une campagne où la moindre allusion à la solidarité sociale et à la nécessité de la régulation étatique fait scandale, il serait étonnant qu'il se mette à plaider en faveur d'une autre intervention gouvernementale. Déjà ses adversaires et même des observateurs soi-disant indépendants lui reprochent de ne pas épouser le sens de la liberté individuelle inscrite au cœur de la tradition américaine. Imaginez le procès qu'on lui fera s'il ose s'aventurer sur la question du droit de porter des armes.

Dans un pays où un timide programme d'assurance-maladie est encore impopulaire, comment penser qu'on puisse accepter facilement le contrôle des armes ? Si les Américains sont encore si peu sensibles au sort de trente millions des leurs qui n'ont pas les moyens de s'assurer des services de la médecine, comment voulez-vous qu'ils croient opportun de prévenir d'autres tueries au moyen de nouvelles règlementations et de restrictions aux libertés individuelles ?

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