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À l'occasion de cet interminable conflit étudiant, plusieurs ont voulu voir dans les revendications étudiantes le rejet d'un soi-disant modèle universitaire américain qu'on aime opposer à un modèle européen. Le premier serait fondé sur des frais de scolarité élevés, sur l'esprit de compétition et la marchandisation du savoir. Le second s'appuierait au contraire sur un financement étatique assurant la gratuité scolaire, sur une tradition humaniste et la valorisation des connaissances pour l'amour d'elles-mêmes.
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À l'occasion de cet interminable conflit étudiant, plusieurs ont voulu voir dans les revendications étudiantes le rejet d'un soi-disant modèle universitaire américain qu'on aime opposer à un modèle européen. Le premier serait fondé sur des frais de scolarité élevés, sur l'esprit de compétition et la marchandisation du savoir. Le second s'appuierait au contraire sur un financement étatique assurant la gratuité scolaire, sur une tradition humaniste et la valorisation des connaissances pour l'amour d'elles-mêmes. Les universités québécoises seraient en train de passer d'un modèle à l'autre avec la hausse des frais de scolarité.

C'est là, je crois, une caractérisation plutôt simpliste. Il est bien vrai que les universités québécoises se comportent de plus en plus comme de grandes entreprises avides de rentabilité, engagées dans une compétition féroce pour attirer le plus grand nombre d'étudiants et surtout pour obtenir les subventions de recherche les plus lucratives. Il est bien vrai, et cela ne date pas d'aujourd'hui, que le savoir est souvent considéré chez nous comme une denrée commercialisable, comme un produit utile et utilisable. Cela devrait-il changer si le gouvernement renonçait à la hausse des frais de scolarité?

Dissipons d'abord une erreur d'interprétation courante. La hausse des frais de scolarité, pour contestable qu'elle soit, ne signifie en rien l'abandon du financement étatique des universités. Elle fait passer cette part de financement de 88 à 83%. Peut-on vraiment parler d'un abandon? On ne saurait non plus accuser les autres provinces canadiennes d'avoir abandonné le financement des universités. Les frais de scolarité y sont plus élevés qu'au Québec, mais encore très bas si on les compare à ceux des grandes universités américaines privées.

Le système universitaire américain

Quant aux États-Unis, on semble ignorer que des universités publiques, financées pour une grande part par les États, y permettent un taux relativement élevé d'accessibilité, sans parler de la diversité des bourses disponibles grâce aux grandes fondations. Dans certains cas, ces universités publiques sont prestigieuses, notamment celles du réseau californien qui incluent U.C.L.A et Berkeley. Le cas de la City University of New York est aussi digne de mention. Il est bien vrai que les grandes universités privées exigent des droits d'admission astronomiques, mais certaines d'entre elles en viennent, grâce à un généreux système de bourses, à accueillir une majorité d'étudiants peu fortunés.

Ce système américain est-il fondé sur la compétition et la marchandisation du savoir? Conduit-il tout droit à la destruction de la connaissance pour l'amour d'elle-même? Pas nécessairement. Sans doute, la pratique de faire subventionner des chaires par les grandes entreprises contribue pour une bonne part à un certain mercantilisme universitaire. Il n'est pas rare non plus qu'on applique des critères de productivité et de rentabilité aux universités.

Mais cela n'est pas universel aux États-Unis, il s'en faut. Notons d'abord que tout le système anglo-saxon nord-américain (incluant les universités canadiennes) est fondé sur un premier cycle universitaire voué plus ou moins à la formation générale des étudiants. En principe, on ne fréquente pas le collège (quatre années de premier cycle) pour se spécialiser ou accéder à une profession. Le collège nord-américain est d'abord un niveau d'éducation. Certes on s'y prépare tout de même le plus souvent à une profession, mais il s'agit d'une spécialisation partielle qui n'occupe que les deux dernières années du cycle. On n'est admis dans une école professionnelle, par exemple dans une Faculté de Droit ou de Médecine ou de Génie, qu'après avoir complété le baccalauréat ou B.A.

Il existe même des universités qui n'offrent que le premier cycle ou collège et constituent souvent des modèles d'éducation humaniste. Les liberal arts colleges sont malheureusement réservés le plus souvent à une élite de fortune. Mais ils sont tout de même profondément consacrés à la formation des esprits et à la connaissance pour l'amour d'elle même.

Utilitarisme québécois

Au Québec, en revanche, nos universités ont été fâcheusement organisées en fonction de spécialisation précoce. Nos cégeps ne peuvent être comparés aux collèges américains puisqu'ils ne correspondent qu'à la première année du premier cycle anglo-saxon. On entre donc en faculté dès l'âge de 19 ans avec un seul diplôme d'études collégiales (DEC) pour s'engager déjà dans ce qu'on appelle un baccalauréat spécialisé. Les trois années de premier cycle sont consacrées le plus souvent (à l'exception du Bacc général qui n'est guère valorisé) à l'acquisition de connaissances dans une seule discipline. On considère que la formation fondamentale est bel et bien terminée avec le DEC. Ainsi, nos bacheliers se considèrent souvent déjà comme des professionnels.

De plus, la mentalité utilitariste imprègne nos universités depuis la Révolution tranquille. On a tendance à considérer l'éducation comme un investissement, selon le slogan « Qui s'instruit s'enrichit ». Combien de fois me suis-je fait demander par mes étudiants à quoi allaient leur servir les cours que je leur dispensais! Combien de fois nos universités se sont-elles fait reprocher d'être déconnectées de la réalité, de ne pas bien préparer au marché du travail! Et que dire des critères de rentabilité qu'on impose souvent à nos programmes?

Depuis les années 70, la carrière d'un professeur d'université est évaluée en fonction des subventions de recherche et bien peu en fonction de l'enseignement au premier cycle. En conséquence, la plupart des professeurs cherchent à se délester des tâches d'enseignement à ce niveau. Nos universités s'en remettent fréquemment à des chargés de cours, bien mal rémunérés, pour assurer un grand nombre de cours de premier cycle. Cette situation a été souvent décriée, mais elle dure depuis plusieurs années.

Par contre, dans plusieurs universités américaines, on demande aux professeurs les plus chevronnés de dispenser des cours de première année de premier cycle et les chargés de cours se font beaucoup plus rares que chez nous.

On a donc tort de faire porter tout le blâme sur un soi-disant modèle américain. On gagnerait plutôt beaucoup en interrogeant la grande tradition britannique de l'humanisme universitaire et de la liberté intellectuelle.

Quant à la gratuité scolaire, elle demeure sans doute un bel idéal démocratique, mais il faudrait bien examiner les raisons pour lesquelles nos gouvernements, de toutes tendances, y ont renoncé au cours de cinquante dernières années.

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