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Justin Trudeau et le chien d’Alcibiade

À la manière d'Alcibiade, il provoque et suscite le ridicule, mais il le fait en sachant qu'il peut gagner du temps et éviter des scandales plus gênants, touchant la conduite de l'État.
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Justin Trudeau est peut-être cette figure d'un leader politique nouveau genre propulsant la libération du plaisir au détriment du réel.
Chris Wattie / Reuters
Justin Trudeau est peut-être cette figure d'un leader politique nouveau genre propulsant la libération du plaisir au détriment du réel.

Tout le monde parle de la curieuse façon d'appréhender la posture de chef d'État par notre premier ministre canadien. À la faveur de l'Halloween, Justin Trudeau a mis à mal le standard convenu en ces matières. Toute la planète journalistique en a fait ses choux gras. La rumeur publique a emboîté le pas. Nous avons consacré l'effet pervers de ce qui caractérisera l'ère du règne Trudeau 2.0 et que je baptiserai, la «ludomanie ».

Nous sommes surendettés, les promesses des débuts tardent à se réaliser, quand elles ne sont tout simplement pas abandonnées.

Notre jeune premier ministre est un joueur et un amuseur public. Il incarne ainsi une forme de légèreté jugée inspirante par une large part de l'électorat canadien, mais aussi par une portion importante de l'opinion mondiale. Sa jeunesse, son allure dynamique, sa spontanéité désinvolte nourrissent l'admiration des uns et le mépris des autres. Après deux ans d'exercice du pouvoir, le bilan concret ne suggère pourtant pas grand-chose de bon. Nous sommes surendettés, les promesses des débuts tardent à se réaliser, quand elles ne sont tout simplement pas abandonnées.

Mais voilà, en constatant la tourmente cette semaine, je me suis souvenu de l'histoire surprenante, mais non moins vraie du chien d'Alcibiade. Vous ne connaissez pas Alcibiade ? Vous devriez, car il s'agit d'un des figures imposantes de la vie politique occidentale. Je vous laisse découvrir son histoire, mais pour l'heure, je porte l'anecdote suivante à votre attention : « Alcibiade avait un chien d'une taille et d'une beauté étonnantes. Un jour, il lui coupa la queue qui était magnifique. Comme ses amis le blâmaient, et lui rapportaient que tous se répandaient en critiques mordantes à propos de ce chien, Alcibiade éclata de rire : «C'est exactement ce que je souhaite. Je veux que les Athéniens parlent de cela ; ainsi, ils ne diront rien de pire sur moi.» De la sorte, ce général athénien a usé d'une technique de diversion fort efficace.

N'en va-t-il pas de même pour les pitreries de Justin ? Quand on parle de son costume de super héros, quand on en profite pour répandre sur lui des critiques mordantes à l'initiative du déguisement qu'il porte, ne jouons-nous pas son jeu ?

Contrairement à Alcibiade et même ou à son père Pierre-Elliot, Justin semble avoir peu d'intérêt pour la grande culture et n'a manifestement pas beaucoup d'attrait pour la vie de l'esprit. Mais attention, s'il suggère une posture en déficit d'intellection, il ne faut pas conclure qu'il est sans génie pour autant.

L'environnement politique, les officines du pouvoir, le monde diplomatique ont été le creuset naturel de son existence.

Façonné par le choc de la rencontre entre une maman hyperémotive et un papa en apparence insensible, le pragma politique de Justin s'est construit dans un climat au confluent des extrêmes. Il a su développer une sorte de résilience de bon aloi, temporisant avec le tragique de la tension des contraires. De plus, il a grandi carrément plongé dans la marmite de potion magique. L'environnement politique, les officines du pouvoir, le monde diplomatique ont été le creuset naturel de son existence. J'imagine le jeune Justin en enfant rêveur traversant ces milieux, je retrouve l'adulte percevant sa fonction sous le même mode.

Son génie de la diversion est ancré dans une intuition forte flirtant avec les limites du permis et du profitable. Je veux dire, comme Alcibiade, il détourne l'attention en choquant. Mais il doit discerner la manière de choquer compte tenu de la tolérance acceptable de notre temps. En d'autres mots, mutiler un animal comme moyen de diversion, aurait été politiquement suicidaire en 2017.

À la manière d'Alcibiade, il provoque et suscite le ridicule, mais il le fait en sachant qu'il peut gagner du temps et éviter des scandales plus gênants, touchant la conduite de l'État.

Par contre, jouer les héros de bandes dessinées au risque d'outrager le décorum et la prestance inhérente à la plus haute des fonctions publiques, semble mieux adaptée au climat actuel. Aux yeux d'une nouvelle génération d'électeurs, Justin Trudeau casse la baraque de conventions séculaires, jugées obsolètes. À la manière d'Alcibiade, il provoque et suscite le ridicule, mais il le fait en sachant qu'il peut gagner du temps et éviter des scandales plus gênants, touchant la conduite de l'État.

Enfin en songeant à lui, en me désolant de constater le taux d'appréciation dont il bénéficie dans plusieurs milieux, je me dis que par-delà la simple recherche de diversion, son image est celle d'un idéal nouveau. Quoi au juste ? Peut-être l'incarnation d'une prospective de Raymond Aron ? Dans sa dernière leçon donnée au Collège de France en 1978, il disait : « Aujourd'hui, la liberté se définit dans nos sociétés par le refoulement du principe de réalité et la libération du principe de plaisir, la libération d'éros

Justin Trudeau est peut-être cette figure d'un leader politique nouveau genre propulsant la libération du plaisir au détriment du réel. En tout cas le projet de loi sur la légalisation du cannabis va clairement dans ce sens. Peut-être est-ce la clé de compréhension du phénomène de la « ludomanie » ? S'agit-il, d'une métamorphose de la « trudeaumanie », fondée sur une forme d'individualisme de raison à un individualisme de pulsion ludique ? Peut-être ...

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