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L'Iran et l'EIIL: pourquoi Kissinger a tort

Depuis la révolution iranienne, la nation s'est retrouvée marginalisée par l'occident et étouffée par ses sanctions.
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Dans une récente entrevue accordée à la National Public Radio (NPR), l'ancien secrétaire d'État américain Henry Kissinger a estimé que l'Iran constitue une plus grande menace (d'un point de vue stratégique) à la sécurité des États-Unis que l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Celui-ci affirme que la menace du groupe djihadiste pourrait être contenue par des frappes aériennes massives et/ou en impliquant des acteurs régionaux et locaux dans la lutte. De plus, il stipule qu'en cas de « conflit direct », l'Iran constituerait une menace plus difficile à gérer que l'EIIL dans la mesure où il définit ce dernier comme un groupe « d'aventuriers motivés par une idéologie agressive » par contraste aux désirs d'expansion impériale iranienne.

En fait, il est étonnant de constater que M. Kissinger, qui se dit réaliste et pragmatique (tant théoriquement et pratiquement dans les affaires internationales), semble plutôt idéologique à travers cette déclaration. Il affirme que l'expansion iranienne se ferait à travers l'influence exercée auprès des communautés chiites (Irak, Syrie, Liban...). En effet, cet argument peut être démontré et soutenu dans la mesure où l'Iran exerce une influence considérable à travers ses alliés dans la région. Par contre, M. Kissinger semble tenir pour acquise l'incompatibilité des intérêts de l'Iran et des communautés chiites avec ceux des États-Unis.

Face à cette observation, nous souhaitons soulever deux questions. Tout d'abord, pourquoi les intérêts d'un Iran chiite doivent être immuablement en conflit avec ceux des États-Unis? Autrement dit, n'y a-t-il pas aujourd'hui plusieurs dossiers sur lesquels les deux pays ont au moins des intérêts partagés? Le règlement définitif du dossier nucléaire, confronter la menace de l'EIIL (pour qui tant chiites et Américains sont des infidèles), ou encore le fait de régler la question syrienne... s'avèrent être autant de questions préoccupantes pour les deux États. Nous pensons qu'à l'heure actuelle, le régime iranien aurait, au contraire, intérêt à réorienter sa politique étrangère et profiter de cette fenêtre d'opportunité pour au moins normaliser ses relations avec les États-Unis.

Depuis la révolution iranienne, la nation s'est retrouvée marginalisée par l'occident et étouffée par ses sanctions. En fait, cette marginalisation comporte également des conséquences pour les communautés chiites dans la région. Notons l'exemple du gouvernement irakien qui se trouve souvent en dilemme entre sa volonté de plaire aux Américains et aux Iraniens en même temps. L'exemple de menace de l'État islamique est un dossier dans lequel, une éventuelle coopération entre Téhéran et Washington, permettrait à ces derniers de dépasser la logique de gains relatifs à laquelle souscrit Kissinger au profit d'une logique de gains absolus. Donc, considérer que l'Iran restera à jamais en conflit avec les États-Unis constitue plutôt un argument idéologique qui fait fi de la réalité sur le terrain qui nécessite au contraire une ouverture diplomatique accrue. Les circonstances changent contrairement aux idéologies. Il faut donc adapter les dernières aux premières. Les deux partis ont montré des signes d'ouverture; l'Iran souffre d'un marasme économique et les États-Unis ne disposent plus du même leadership dans un monde multilatéral.

D'autre part, nous nous demandons qu'en est-il du Wahhabisme et du Salafisme pour M. Kissinger? En effet, ces variantes radicales de l'islam politique s'étendent et accroissent leur influence au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne. Des groupes comme Al-Qaida, AQMI, Boko Haram, Ansar Addine, et récemment l'ÉIIL qui revendiquent ces idéologies, sont déjà en confrontation directe avec les É.U. et d'autres puissances occidentales et ce, depuis le 11 septembre. Voilà la réelle menace qui doit préoccuper les Américains. A-t-il oublié le prix qu'ont coûté aux É.U. les guerres en Afghanistan et en Irak? Plus d'une décennie après, ces deux pays sont des « États faillis ».

De plus, M. Kissinger parle de bombardements massifs afin de contrer la menace de EIIL. A-t-il oublié que cette même stratégie s'est avérée infructueuse par le passé en Afghanistan et en Irak? Nous pensons que la solution pour contrer l'EIIL n'est pas strictement militaire, mais surtout politique. Les Américains doivent exiger de la part de leurs alliés dans le golfe de prendre des mesures strictes et concrètes pour combattre l'EIIL. Par exemple, il existe aujourd'hui en Arabe saoudite des groupes politiques et religieux puissants et influents qui se réjouissent du rôle joué par l'ÉIIL pour diminuer l'influence de Téhéran en affaiblissant Bagdad et Damas. Il y a donc un paradoxe flagrant dans la situation actuelle.

Comment voir en l'Iran un ennemi plus menaçant que l'EIIL, alors que des alliés stratégiques des É.U. ont, de près ou de loin, joué un rôle déterminant dans la montée de ces groupes terroristes? Tant Washington que Téhéran font face à une menace qui déstabiliserait l'équilibre des puissances dans la région en y redessinant les frontières. Ces menaces sont nouvelles et dictent une nouvelle réalité comportant de nouveaux défis à surmonter. Loin de l'idéologie, il est important de définir une politique étrangère réaliste et pragmatique. À cela, nous avons ironiquement pensé à cette célèbre phrase de Lord Palmerston, et reprise plus tard par le général de Gaulle, et d'ailleurs citée par Kissinger lui-même dans son livre Diplomatie : « Nations have no eternal allies and no permanent enemies, they only have permanent interests." Les États n'ont ni alliés ni ennemis permanents, ils n'ont que des intérêts.

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