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Mon pire cauchemar: et si j'avais élevé un tyran par accident?

Au beau milieu de ma couvée de cinq enfants se trouvait une petite fille blonde aux longues jambes, charismatique, impertinente, athlétique, qui adorait la danse et respirait la confiance... et, apparemment, l'agacement envers une petite camarade qui n'avait pas la chance de lui ressembler.
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Je me souviendrai toujours du jour où ma fille m'a dit que Bethany, une fille de sa classe, l'embêtait.

"Comment ça, elle t'embête?", lui ai-je demandé, en adoptant instinctivement une attitude protectrice.

"Elle me suit partout dans la cour et s'assoit à côté de moi à la cantine!", a-t-elle rétorqué, comme si ça allait suffire à résumer la situation et me mettre à coup sûr dans son camp.

"Tu veux dire qu'elle veut être amie avec toi?", ai-je répondu, incrédule.

Je me suis immédiatement rendu compte qu'il y avait un problème. J'étais en train d'élever mon pire cauchemar. Au beau milieu de ma couvée de cinq enfants se trouvait une petite fille blonde aux longues jambes, charismatique, impertinente, athlétique, qui adorait la danse et respirait la confiance... et, apparemment, l'agacement envers une petite camarade qui n'avait pas la chance de lui ressembler. Malheureusement pour ma fille, j'ETAIS Bethany au primaire. Taches de rousseur et cheveux frisés, fille de militaire, toujours dans le rôle de la petite nouvelle qui essaie de se faire des amis et que l'assurance naturelle des filles comme la mienne fascinait. En discutant avec ma fille, j'ai ressenti du chagrin et de la colère, mais il y avait une chose dont j'étais sûre : cette fois-ci, maman n'allait pas laisser faire.

Le matin suivant, deux esprits déterminés se sont affrontés à la maison. Ce n'était pas joli à voir, mais j'ai eu le dessus. Ma fille était inscrite à une école primaire catholique privée où elle pouvait, avec ses complices, faire sa loi. Mes inquiétudes se sont confirmées quand j'ai appelé la mère de Bethany ce soir-là. Ma fille et sa bande faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour se débarrasser de celle qu'elles considéraient comme un pot de colle.

Je suis sûre que certains parents vont penser que j'ai réagi de façon excessive. Mais je suis convaincue que nous devons traiter l'épidémie de petits tyrans qui sévit dans ce pays à la racine : en redéfinissant la notion même de tyrannie. À mes yeux, le rejet et l'absence totale d'intérêt de ma fille et de sa clique envers Bethany n'était que la partie émergée d'une forme subtile de ce phénomène. Il est vrai - cela m'a été confirmé par la mère de Bethany et des instituteurs - qu'elles n'étaient pas particulièrement méchantes ni injurieuses. Elles se contentaient de l'exclure. Un manque total d'intérêt pour quelqu'un qui, selon elles, ne pouvait rien offrir d'intéressant. J'ai été enfant, j'en ai cinq aujourd'hui. J'ai donc fait l'expérience de tous les aspects de la tyrannie sociale, et je suis persuadée que c'est là qu'elle commence : dans l'évaluation sommaire d'un inconnu et son rejet rapide.

Selon moi, nous ferions beaucoup de bien à nos enfants si nous avions une conversation franche avec eux sur le darwinisme social et ce qui nous pousse à accepter ou rejeter les autres. Cela arrive à tout âge, dans toutes les cultures et religions. Cette pratique se nourrit de nos propres peurs d'être rejeté et de notre manque d'assurance. Tout le monde se bat pour se faire une place sur la chaîne alimentaire sociale. J'ai l'impression que le fait d'avoir clairement évoqué cette question avec mes enfants a eu un effet très positif. Les parents doivent l'appeler par son nom, en parler haut et fort, ne pas la laisser agir dans l'ombre. Il faut avouer à nos enfants qu'ils continueront à en faire l'expérience à l'âge adulte. Bien évidemment, il est tentant de se faire bien voir et de 'cirer les bottes' de la personne qui se trouve juste au-dessus de vous sur l'échelle sociale, mais chaque être humain mérite notre attention et notre plus grand respect. En dépit de cela, nous devons constamment rappeler à nos enfants (et à nous-mêmes) que chaque personne peut nous apporter quelque chose d'inattendu, à condition de lui en donner la possibilité.

Il ne suffit pas de dire à nos enfants d'être gentil. Nous devons être plus précis. Les enfants pensent que s'ils ne sont pas complètement méchants, ils sont gentils. Nous savons qu'il en va autrement. Faites-leur comprendre les mécanismes à l'œuvre. Expliquez-leur l'instinct de survie qui pousse et guide leurs actions. Je vous promets qu'ils peuvent comprendre cette conversation. De toute façon, ils en font déjà l'expérience à un certain niveau. Ils ont juste besoin que VOUS mettiez le doigt dessus et leur proposiez une marche à suivre.

Quant à ma fille, je lui ai dit qu'elle allait devoir investir un peu de temps et d'énergie à mieux connaître Bethany. Je lui ai demandé de revenir à la maison le lendemain avec trois trucs sympas qu'elle avait découverts sur Bethany. Ma fille a campé sur ses positions. Elle ne voulait pas obtempérer. J'ai campé sur les miennes. J'ai refusé de la conduire à l'école le matin suivant, jusqu'à ce qu'elle accepte. À ce moment-là, j'avais encore les clefs de la voiture et le pouvoir. Sa résistance nous a donné le temps d'avoir cette discussion sur le darwinisme social. Je lui ai expliqué le concept du "distributeur bancaire" : elle avait de l'argent à utiliser sur son compte bancaire social, et effectuer un retrait pour Bethany ne lui coûterait pas grand-chose.

"Investissons!", ai-je lancé avec enthousiasme.

Elle s'est habillée avec réticence et je l'ai conduite à l'école. Elle a passé une bonne journée. Enfin, le peu de temps qu'il lui restait. Cela dit, elle m'a encore cherché des poux quand je l'ai récupérée et m'a notamment fait remarquer que les mères de ses amies "ne se mêlaient pas de ces choses-là" et laissaient leurs filles "choisir leurs propres amies!" (la sagesse même). Et puis elle m'a parlé de trois trucs sympas sur Bethany qu'elle ne connaissait pas déjà.

J'ai rappelé la mère de Bethany deux semaines plus tard. C'est ce qu'on appelle faire un suivi. Soit dit en passant, je pense que nous sommes encore trop peu à faire ce genre de choses. Nous nous focalisons sur les garde-robes, la nutrition, le sommeil, l'hygiène, les projets du cours de sciences de nos enfants et nous nous félicitons de ne pas nous mêler des histoires avec leurs petits camarades. Je ne compte plus les fois où j'ai eu envie de dire : "Non mais, vraiment, vous gérez tout ce que fait votre enfant, du gluten qu'il ingère aux crampons de ses chaussures de soccer, mais vous restez en dehors de ÇA?" Pas étonnant que personne n'assume ses responsabilités, et que le harcèlement scolaire soit un réel problème! La mère de Bethany m'a assuré que sa fille était entrée dans la sphère amicale de la mienne et se portait bien.

La famille de Bethany a déménagé dans un autre État quelques années plus tard. Ma fille a pleuré quand elles ont dû se dire au revoir. Elles sont toujours en contact grâce aux réseaux sociaux. C'était, et c'est toujours, une chouette fille avec plein de choses à offrir aux autres. Mais c'est surtout ma fille qui a gagné au change, bien sûr. Elle a tant appris de cette expérience. Elle a maintenant 20 ans, elle est à l'université et elle a des amis d'horizons divers. Elle est gentille, ouverte et s'intéresse à des personnes très différentes. Quand elle était encore malléable, influençable et qu'il était de mon devoir de la guider, elle a appris :

- que notre première impression des gens n'est pas toujours la bonne.

- qu'on peut se faire des amis parmi des personnes avec qui on ne pensait avoir aucune affinité. Les meilleurs amis ne sont pas ceux qui sont exactement comme nous. En amitié, les différences sont un plus.

- qu'il y a des moments, dans certaines circonstances, où on peut se permettre d'effectuer un retrait sur son compte bancaire social pour en faire bénéficier quelqu'un d'autre. Soyez généreux, investissez! Dividendes à la clef.

Mais, surtout, elle a appris que même si je ne suis pas complètement passionnée par son projet de cours de sciences, que je me fiche qu'elle ne digère pas le lactose ou qu'elle ait un nœud dans les cheveux, ce qui m'importe, c'est qu'elle respecte les autres.

Chers parents, vos enfants finiront par développer ce bon sens qui leur dit de porter un blouson quand il fait froid et de manger des légumes. Alors consacrez du temps et de l'énergie à leur montrer comment interagir avec autrui. Si nous insistons sur le fait de surveiller chaque aspect de la vie de nos enfants, essayons au moins de nous intéresser aux choses qui comptent.

Ce billet initialement publié sur le Huffington Post États-Unis a été traduit de l'anglais.

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