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Pourquoi l'on ne peut s'empêcher de donner son avis sur l'affaire Johnny Depp-Amber Heard

L'affaire Johnny Depp et Amber Heard a défrayé la chronique ces derniers jours. Il est assez surprenant de voir à quel point elle met le monde en émoi. Comme s'il s'agissait d'un couple de notre entourage, on ne peut s'empêcher de prendre position.
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L'affaire Johnny Depp et Amber Heard a défrayé la chronique ces derniers jours. Il est assez surprenant de voir à quel point elle met le monde en émoi. Comme s'il s'agissait d'un couple de notre entourage, on ne peut s'empêcher de prendre position.

En fait la question ici n'est pas tant de savoir qui a raison ou tort mais de comprendre pourquoi on se sent en mesure d'émettre un jugement alors que nous n'avons aucune idée de la réalité des faits.

Deux personnes, que l'on connaît uniquement par le biais des médias, s'accablent mutuellement de faits graves : d'un côté il s'agit de révélations de violences conjugales, de l'autre, de fausses accusations destinées à exercer une pression financière. Il y a donc une victime et un coupable mais personne n'est d'accord sur qui est l'un et qui est l'autre.

Bien qu'il serait raisonnable de ne pas juger au vu du peu d'informations que l'on possède sur cette affaire, on ne peut cependant résister à l'envi de prendre parti. Pourquoi est-ce si difficile de rester neutre ?

Dans notre conception du monde il y a les bons et les méchants. Il est difficilement pensable qu'il existe un bon côté chez un méchant et un mauvais côté chez un bon. Cette pensée dichotomique témoigne de la tendance de l'être humain à voir les choses en tout ou rien.

Cette caractéristique de l'esprit, qui bien souvent porte préjudice à notre évaluation des choses, n'existe pas sans raison. La nuance est un exercice difficile pour notre cerveau, cela implique que chaque chose doit être analysée à la lumière des éléments en présence, comme si c'était la première fois que nous y avons affaire. Or, si l'on ne veut pas se perdre dans les méandre d'une réflexion complexe et passer un temps considérable à étudier en détail chaque nouveau problème, on doit aller au plus simple.

Pour ce faire on va traiter l'information au regard de ce que l'on connaît déjà. Ces raccourcis de l'esprit forgent notre façon de voir le monde et nous donnent l'impression que l'on maîtrise ce qui nous entoure. Ce sentiment de contrôle est nécessaire à l'établissement d'une existence rassurante. Plus on simplifie le monde, plus il est facile d'accès.

Ainsi, les comportements humains n'échappent pas à cette règle, il est réconfortant de penser que le monde se divise en deux catégories : les personnes qui agissent bien et celles qui agissent mal. Chacun d'entre nous possède une image du bien et du mal et on classe les comportements humains en fonction de critères qui nous sont propres. Cette classification permet d'avoir la sensation d'évoluer en terrain connu donc dans un environnement sécurisant car prévisible.

Dans l'affaire Johnny Depp et Amber Heard, rares sont les propos nuancés. Soit Johnny Depp est un homme violent, alcoolique, drogué, qui n'en est pas à sa première agression. Soit il est décrit comme un homme doux et aimant, incapable des gestes qu'on lui reproche. Amber Heard de son côté est dépeinte soit comme une victime et une héroïne ; soit comme une femme vénale, volage et manipulatrice.

Avouons que dans la réalité les choses sont certainement bien plus compliquées. Néanmoins, comme nous tenons à notre classification, tous les moyens sont bons pour choisir le gentil et le méchant de l'histoire.

Le meilleur raccourcis que l'on puisse faire c'est de confondre la personnalité publique avec la personne privée. Ainsi, ceux qui estiment Johnny Depp (que ce soit pour son image ou son travail d'acteur), auront tendance à prendre sa défense : "c'est impossible que cet homme merveilleux soit violent, il a été aveuglé par la beauté et la jeunesse de cette fille qui en a profité pour abuser de lui". A l'inverse, ceux qui ont une mauvaise image de lui vont tendre à l'accabler en justifiant leurs position par des propos tels que : "Un homme autant dans le paraître ne peut qu'être du genre à considérer les femmes comme des objets, j'ai toujours dit qu'il n'avait pas l'air très futé".

Cette tendance à la justification pour maintenir une cohérence de la pensée n'est pas rare. On va sélectionner uniquement les informations qui confirment nos idées et exclure celles qui pourraient les remettre en question. C'est ce que l'on appelle le biais de confirmation d'hypothèses.

Le choix du gentil et du méchant peut aussi se faire par un mécanisme identificatoire. Certaines personnes vont apporter leur soutien à Amber Heard car sa position de victime va entrer en résonance avec un vécu personnel. Cela ne signifie pas forcément que l'on ait été soi même victime de violences conjugales, mais il est possible que cela rappelle une tentative d'intimidation, une parole décrédibilisée, une position de faiblesse face à un homme, des violences faites à une personne de sa connaissance, etc.

Les vécus sont confondus, on va se dire : "elle a forcément raison, on n'invente pas de telles histoires", "si elle n'a pas parlé avant c'est qu'elle était sous emprise". Il peut aussi y avoir un transfert de la victime héroïne que l'on aurait soi même souhaité être: "la pauvre, accablée par le monde entier alors qu'elle a tant de courage". Là encore, on ne va prendre en compte que les éléments qui concordent avec notre scénario de la victime idéale et mettre de côté ceux qui divergent.

Parfois, il arrive que la justice donne raison à notre méchant et accable notre gentil. C'est là que nous voyons à quel point notre cerveau fait preuve de ressources extraordinaires pour éviter toute discordance de la pensée.

En effet, plutôt que de nous confronter à un conflit psychique, nous allons réajuster notre façon de penser afin que notre scénario d'origine reste cohérent. Ainsi, si nous soutenions Johnny Depp et qu'il s'avère coupable, nous allons lui trouver des excuses, des circonstances atténuantes, voire lui donner raison en imaginant que sa victime l'a mérité: "sans son problème d'alcool il n'aurait jamais levé la main sur elle, c'est une véritable maladie l'alcoolisme", "c'était un homme gentil avant qu'il la rencontre, on se demande ce qu'elle a pu lui faire pour qu'il devienne comme ça", "elle a dû le pousser à bout".

Inversement, si nous étions en faveur d'Amber Heard et qu'elle est jugée coupable de fausses accusations, alors nous tiendrons un discours du genre : "encore une preuve que les hommes puissants s'en sortent toujours indemnes", "si elle a agi de cette façon c'est bien qu'il y avait un mal être derrière, elle a peut être un peu exagéré mais c'était le seul moyen qu'elle avait pour se faire entendre", "nous vivons dans une société patriarcale qui donnera toujours raison aux hommes".

Afin d'éviter les jugements hâtifs qui sont le terreau des stéréotypes et de la stigmatisation, il est important de s'efforcer à réfléchir de manière nuancée, et cette nuance passe aussi parfois par admettre notre ignorance.

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