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Pour ne plus avoir peur

Cette semaine, c'est la Semaine de la prévention du suicide. C'est la semaine pour ne plus avoir peur des mots et pour faire savoir à tous qu'il ne s'agit pas d'une option, même quand on est au fond du gouffre.
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Cette semaine, c'est la Semaine de la prévention du suicide. Pour une panoplie de raisons, on n'ose pas trop en parler, comme si le simple fait d'évoquer ce cauchemar suffisait à nous foudroyer de sa malédiction. On est prêt à croire n'importe quoi pour s'imaginer que ça n'arrive qu'aux autres, que ce n'est qu'un mythe terrifiant utile à faire froid dans le dos à quiconque oserait murmurer des atrocités. Comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, culpabilité fatale, une fable qui ne peut nous atteindre. Même si on se voile les yeux, on a peur. Avec raison, parce que d'une manière ou d'une autre, ce fléau nous affecte tous de près ou de loin. De cette personne non pas mal intentionnée qui glissera une blague mal placée sur le sujet à l'homme qui vient de tout perdre, ou encore, celui qui semble tout avoir, mais qui échappe au bonheur. Le suicide nous traverse l'esprit plusieurs fois par jour et pourtant, on se tait, encore et toujours.

C'est dans le silence que tout a débuté. Ce silence lourd qui suit les larmes et le désespoir. Ce n'était pas la première fois que ça arrivait. Pourtant, peut-être était-ce la fois de trop. Tout était vide. Je me souviens encore du moment où, à l'intérieur de moi, je n'ai plus rien ressenti. Il n'y avait ni peur, ni souffrance, ni tristesse. Seulement le vide. Plus de raison de continuer, le vide dans ma tête. La musique qui servait de trame sonore à ma vie s'est tue. Je n'entendais plus l'enseignant à l'avant qui murmurait quelques notions sourdes qui ne savaient plus où s'inscrire en moi. Il n'était plus qu'une œuvre abstraite et ridicule que je contemplais, appartenant à un autre univers, lequel était dépourvu de toute raison d'être. Je me suis demandé : pourquoi? Silence. J'étais en route pour retourner chez moi, et j'ai traversé un pont. En un éclair, je fus prise d'une idée désormais obsédante. Et si je sautais?

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours cru que c'est ainsi que mon existence s'achèverait. Je n'ai jamais pensé vivre assez longtemps pour voir le monde et accomplir mes rêves. Peut-être ai-je toujours vécu avec la dépression... N'empêche que jusqu'alors, j'avais réussi à étouffer la voix par culpabilité. Que deviendrait ma mère? Mon frère? Mes amis? Je me sentais trop lâche pour y penser. J'avais honte de moi. Je me sentais faible.

Ce qu'on ne sait pas de la dépression et du suicide, c'est combien on peut avoir honte et se sentir ridicule. On a peur du regard des autres, et cela peut durer suffisamment longtemps pour que la peur l'emporte et que l'on s'isole. Parfois, cette souffrance peut être ravivée par de petites choses, des jugements («Tu ne crois pas que tu fais tout un drame pour rien?»; «Voyons donc! De nos jours, on ne peut plus rien dire à ces jeunes, 'sont tellement sensibles. Vieillissez un peu et arrivez dans le vrai monde, où il y a bien pire que votre souffrance intérieure.») aux blagues sarcastiques («C'est trop difficile pour toi? Tu vas t'ouvrir les veines?»), en passant par la simple ignorance. L'ignorance de notre état, qui nous pousse dans un coin et nous marginalise, nous répétant que nous sommes seuls et qu'on ne peut pas gagner. L'isolement, parfois, ça tue. Littéralement. C'est dans la lenteur et le silence qu'on part, effacés peu à peu jusqu'à s'éclipser totalement du paysage.

J'ai eu de la chance, car, depuis un moment, même si je l'ignorais, on avait peur pour moi. On me traînait dans des bureaux de psys où je refusais de parler par peur d'être enfermée. On murmurait quelques idées pour m'aider à remonter la pente. On hurlait à s'en fendre les cordes vocales pour me faire entendre raison, mais j'étais sourde. Sourde, muette, perdue et isolée. Je n'arrivais plus à prendre contact avec la réalité. La Terre appelait Lauriane, mais où était Lauriane? Perdue, elle n'était que l'ombre d'elle-même, une ombre qui dansait faiblement à la lueur du feu qu'on tentait de rallumer en elle. Lauriane souriait, Lauriane riait, Lauriane était assidue en classe - sauf dans les moments où elle dormait, croulant sous le poids des nuits blanches où elle se perdait dans le noir de sa chambre vide.

Il faut beaucoup de courage pour ne plus avoir peur de soi-même et des mots qui semblent plus grands que nous.

J'ai eu de la chance parce qu'un jour, après avoir perdu ma voix, on me l'a rendue à force de rester à mes côtés et de la chercher avec moi. J'ai hurlé la vérité juste à temps pour qu'on me rende mon éclat et pour qu'on me sauve de moi-même. Si on m'avait laissée, je serais toujours dans le noir, où je ne serais plus du tout. Je ne saurai jamais ce qu'il serait advenu de moi si on ne m'avait pas poussée hors de la pénombre d'où j'observais la vie sans la comprendre, écoutant des mots étrangers qui ne me parvenaient qu'en étranges échos. Ce que je sais, c'est qu'il faut beaucoup de courage pour ne plus avoir peur de soi-même et des mots qui semblent plus grands que nous. Pour ne plus avoir honte de nos émotions et de nos craintes, il faut aussi porter attention et être prêts à fournir énormément de soutien pour aider une personne dépressive. Ce n'est pas un travail qui se fait seul, sans l'aide de spécialistes.

Cette semaine, c'est la Semaine de la prévention du suicide. C'est la semaine pour ne plus avoir peur des mots et pour faire savoir à tous qu'il ne s'agit pas d'une option, même quand on est au fond du gouffre.

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