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ADN: année zéro

L'ADN est un exemple frappant de la Nature exponentielle du progrès technologique. En 1985, les généticiens considéraient que l'on ne pourrait jamais séquencer l'intégralité de notre ADN. En réalité, ce projet colossal de trois milliards de dollars toucha au but en 2000, avec l'annonce d'une première ébauche du génome humain.
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L'ADN est un exemple frappant de la Nature exponentielle du progrès technologique. En 1985, les généticiens considéraient que l'on ne pourrait jamais séquencer l'intégralité de notre ADN.

Quand le gigantesque programme de recherche international Projet Génome Humain, destiné à dresser la carte de l'ADN d'un être humain, a démarré en 1990, beaucoup d'experts déclarèrent, au regard de la puissance des ordinateurs de l'époque et de la technique de séquençage utilisée, qu'il faudrait entre trois et cinq siècles.

Laurent Alexandre l'est un des contributeur du réseau TEDxParis.

TEDxParis est un événement sous licence TED et l'une des conférences éditées par l'agence Brightness. Retrouvez l'actualité des conférences sur brightness.fr. Pour contacter l'auteur: laurent.alexandre@dnavision.be

En réalité, ce projet colossal de trois milliards de dollars -auquel participèrent des généticiens du monde entier- toucha au but en 2000, avec l'annonce en grande pompe par Bill Clinton et Tony Blair d'une première ébauche du génome humain. La version définitive du génome humain fut publiée en 2003. Une masse considérable de données, détaillant les quelques vingt-et-un mille gènes de l'ADN, noyés dans les trois milliards de combinaisons (les "paires" de base avec les lettres ATGC) qui forment l'ADN*.

Structure chimique de l'ADN, par Madprime via Wikipedia

Avec cette publication -disponible sur Internet en libre consultation-, la recherche en biologie s'est considérablement accélérée. Si le premier séquençage intégral de l'histoire a coûté trois milliards de dollars et sollicité 20000 experts internationaux pendant treize ans, la Nature exponentielle des progrès informatiques a vite fait chuter les coûts. Nous en étions à un million et demi de dollars en 2007. Aussi incroyable que cela puisse paraître, nous sommes passés sous la barre des 1000 dollars en 2013. Jusqu'où cela ira-t-il?

Le séquençage intégral de notre ADN devrait coûter le prix d'une paire de jeans -même non griffé!- avant 2020 et ainsi permettre une démocratisation de la "technomédecine". En dix ans, le coût du séquençage de l'ADN a été divisé par un million. Jamais aucune activité humaine, pas même l'industrie des circuits intégrés, n'a connu une évolution aussi foudroyante.

Grâce à cette cartographie, la médecine a commencé à comprendre les mécanismes et les codes de la vie à l'échelle moléculaire. Nous n'en sommes pourtant qu'à l'âge de pierre de la technomédecine. La fin du programme "génome humain" se compare à la découverte de l'Amérique en 1492. Les mêmes questions, les mêmes problèmes et les mêmes conséquences ravageuses sur notre ancien monde se profilent.

Que faire de ce nouveau continent? Quelles ressources en tirer? Comment l'organiser? Quel est l'intérêt de connaître l'intégralité du patrimoine génétique de milliers d'individus? Avec un million de personnes intégralement séquencées en 2013 dans le monde, les généticiens vont bénéficier de bases de données colossales pour comprendre le rôle de chaque portion de notre ADN.

Vers 2022, ce sera un milliard d'hommes et de femmes dont l'ADN aura été intégralement analysé. Vers 2020, la démocratisation du séquençage intégral sera devenue réalité et nous disposerons alors d'une excellente capacité d'interprétation des résultats. Grâce à l'augmentation très rapide du nombre d'individus dont on aura entièrement séquencé le génome -permise par la baisse du coût du séquençage-, les bases de données seront, dans les prochaines décennies, infiniment plus riches qu'aujourd'hui.

Malgré l'immense complexité des maladies, la science avance à grands pas. Les études GWAS (genome wide associations studies) visent à relier les variations génétiques aux pathologies. Pour comprendre le lien entre les maladies et certaines composantes génétiques, il faut comparer les génomes des sujets atteints de la maladie observée avec ceux des sujets sains. Or, ce mécanisme est cumulatif. Plus il y a d'observations, plus la connaissance de la signification du génome est importante!

Deux domaines médicaux sont concernés à court terme par cette révolution. Le traitement du cancer et le dépistage prénatal des maladies graves.

La révolution du traitement personnalisé du cancer

Le lien entre ADN et cancer reste flou dans l'opinion publique. Le trouble provient sans doute de la confusion entre la génomique -qui concerne l'ADN et son fonctionnement- et l'hérédité.

Seuls 15% des cancers sont héréditaires, mais tous sont génétiques, liés à une instabilité de l'ADN souvent due à l'environnement (tabac, alcool, alimentation, soleil, virus, produits chimiques), et donc non héritée de nos parents. Autrement dit, le cancer est toujours une maladie de l'ADN qui est généralement acquise (85% des cas).

Des cellules cancéreuses photographiées par une caméra attachée à un microscope, par Asd.and.Rizzo via Wikipedia

La cellule cancéreuse qui remodèle son ADN en multipliant ses mutations croît de façon incontrôlée et échappe aux défenses de l'organisme. Depuis quelques années, l'analyse de certaines mutations associées au développement du cancer est effectuée. Les mutations des gènes codant pour les facteurs de croissance tumorale peuvent être détectées par étude de la tumeur après biopsie ou ablation chirurgicale.

Des thérapies ciblant ces mutations ont été développées depuis une quinzaine d'années: les anticorps monoclonaux et les inhibiteurs des enzymes tyrosine kinase.

En France, l'Institut national du cancer (INCa) a assuré la diffusion des principaux tests génétiques de première génération. Ces tests sont dépassés. La division par 1 million en dix ans du coût du séquençage intégral de l'ADN, c'est-à-dire des 3 milliards de bases chimiques constituant notre identité génétique, change la donne. 50 000 patients cancéreux ont déjà bénéficié d'un séquençage complet du génome de leur tumeur. Ces analyses ont révélé l'extrême complexité des modifications génétiques et donc biologiques des cellules tumorales.

Loin des visions simplificatrices que le séquençage d'un ou deux marqueurs génétiques avait fait émerger, nous savons désormais qu'il n'y a pas un gène du cancer mais une multitude de variants génétiques qui diffèrent selon le patient. Chaque cancer est ainsi une maladie unique, fruit de mutations de l'ADN et non d'une modification ponctuelle.

Cette complexité du génome des cellules tumorales explique l'apparition rapide de résistances des tumeurs aux thérapies anticancéreuses et implique une redéfinition des stratégies thérapeutiques. Des cocktails de thérapies ciblées sur plusieurs caractéristiques tumorales s'imposent, ce qui suppose de connaître la totalité de l'ADN de la tumeur, alors que les tests actuels n'en lisent qu'un millionième! Mais le coût de ces thérapies pose un immense problème pour nos pays en crise.

Cette révolution génomique suppose une autre organisation des soins. Le séquençage intégral d'une tumeur génère 10 000 milliards de données dont l'analyse exige des ordinateurs surpuissants. Leur gestion rend urgent le déploiement du dossier médical partagé. Le cancer se regarde désormais comme une multitude de maladies orphelines exigeant des traitements sur mesure. Dès 2015, ils seront personnalisés en fonction de la carte d'identité génétique des tumeurs. La cancérologie se réinvente à marche forcée et la lutte contre le cancer est à un tournant de son histoire à cause de la démocratisation du séquençage de l'ADN.

Le diagnostic prénatal par séquençage du fœtus

Le désir de l'enfant parfait habite la plupart des parents et la société encourage la minimisation des risques obstétricaux. Nous sommes déjà sur un toboggan eugéniste sans nous en être rendu compte. La trisomie 21 est en train de disparaître sous nos yeux: 97 % des trisomiques "bénéficient" d'une interruption médicale de grossesse. Bien peu de parents résistent à la pression sociale pour "éradiquer" ce handicap mental.

Or, jusqu'à présent, les techniques génétiques ne repéraient qu'une poignée de pathologies. Mais le séquençage intégral de l'ADN du futur bébé -c'est-à-dire des 3 milliards de paires de bases chimiques qui constituent son identité génétique- va changer radicalement la donne. Il est possible de réaliser, dès à présent, un diagnostic génomique complet du fœtus à partir d'une simple prise de sang chez la future maman: plus besoin de prélever de liquide amniotique par amniocentèse. L'un des derniers freins à la généralisation du diagnostic prénatal -la peur d'une fausse couche, qui survient dans 0,5 à 1 % des cas après une amniocentèse- disparaît!

Un puissant algorithme, mis au point par l'équipe du professeur Dennis Lo (université de Hongkong), spécialiste du dépistage génétique, permet de différencier les séquences ADN du futur bébé et celles de la mère. Cette technique va se généraliser avant 2020 et va faire disparaitre l'amniocentèse. Des milliers de maladies pourront être dépistées systématiquement pendant la grossesse sans faire courir de risque à l'enfant.

Nous avons quasiment éradiqué la trisomie 21 en trente ans, bien que les trisomiques soient doux, aient une espérance de vie normale et ne souffrent pas. Pourquoi ferions-nous demain autrement avec les autres pathologies? Politiquement, comment empêchera-t-on les parents de préférer de "beaux enfants plutôt doués" alors que l'avortement pour convenance personnelle est libre, quelle que soit la constitution de l'embryon, et que l'avortement pour handicap intellectuel (trisomie 21 en tête) est légal, socialement accepté et encouragé par les pouvoirs publics? Le retour de l'eugénisme est une bombe éthique et politique passée complètement inaperçue.

Le premier séquençage intégral de l'ADN a dix ans, mais son exploitation médicale débute maintenant, après dix années de maturation. Ses conséquences médicales, politiques, sociales et philosophiques vont maintenant apparaître au grand jour. Après la lecture de notre ADN, nous allons bientôt le réécrire: nous allons reprogrammer des gènes, et même fabriquer des gènes artificiels grâce à la biologie de synthèse. Le bricolage du vivant ne fait que commencer.

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* On sait désormais que les zones qui ne codent pas pour les vingt-et-un mille gènes sont très importantes et pas du tout de l'ADN poubelle, "junk DNA", en anglais, comme on le croyait en 2003.

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