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Les questions d'un fils sans père

Grandir sans mon père fut de loin la pire chose que j'ai eu à affronter dans ma vie. J'ai ressenti son choix de partir avant ma naissance comme une malédiction...
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"Certains n'ont jamais peur de l'inconnu; certains ont peur du connu qui s'achève", Jiddu Krishnamurti.

Grandir sans mon père fut de loin la pire chose que j'ai eu à affronter dans ma vie. J'ai ressenti son choix de partir avant ma naissance comme une malédiction.

C'était "l'inconnu" qui m'effrayait tellement. Toutes ces choses inconnues comme le "pourquoi", le "comment", la façon de grandir sans lui. Jeune enfant, il ne m'a jamais vraiment manqué, car je ne connaissais rien d'autre. Il n'était simplement pas là et voilà tout. Ma mère et l'homme qu'elle a finalement épousé, l'homme que j'appelle Papa, ne m'ont jamais laissé manquer de quoi que ce soit, mais il n'y avait rien qu'ils puissent faire pour combler le vide contenu dans cette idée fixe d'un père absent.

J'étais en 4e quand j'ai commencé à recoller les morceaux et à poser des questions sur lui. Cela a d'abord été de petites choses: me promener dans la rue en me demandant à quoi il ressemblait ou si je l'avais croisé sans le savoir. Inconnu. Je me demandais comment il s'habillait et comment il parlait. Inconnu. Quel genre de musique aimait-il? Quels étaient ses films favoris? Inconnu. Ces questions finissaient par me dévorer. Plus je pensais à lui, plus il me manquait. Plus il me manquait, plus l'inconnu me faisait peur.

Quand je suis entré au lycée, mon questionnement a encore grandi, tout comme mon anxiété. Pourquoi était-il parti? Est-ce que j'étais indigne d'amour? Si j'étais un gamin formidable, est-ce qu'il le saurait et voudrait-il alors faire partie de ma vie? Est-ce qu'il pensait à moi? Se demandait-il quelle personne je devenais? Les crises de panique se sont multipliées. Je n'avais pas d'amour-propre. J'avais du mal à faire confiance. Après tout, si votre père est capable de vous abandonner, n'importe qui peut le faire. Cette dernière phrase me hantait. Je me la répétais comme une chanson qu'on n'arrive pas à s'ôter de la tête. Plus je grandissais, plus j'étais en colère. Comment peut-on quitter son fils? Comment peut-on faire comme s'il n'existait pas? Comment un homme peut simplement se lever et partir en apprenant qu'il va devenir père?

Ces questions et l'anxiété n'ont jamais disparu. Je n'avais jamais fait le lien, mais quand je regarde aujourd'hui en arrière, il n'y a aucun doute sur le fait que mon anxiété et ces questions sans réponses concernant mon père étaient liées. J'ai fini par enfin lui parler quand j'étais en seconde; j'avais envie d'entendre sa voix, de savoir comment il s'exprimait, de simplement lui dire: "Salut!". J'ai cherché son numéro et je l'ai appelé, espérant secrètement qu'il se serait rendu compte de ses torts et qu'il me dirait: "Je suis vraiment désolé. Merci d'appeler. Allons déjeuner ensemble et parler de tout ça". À la place j'ai eu: "Ne me rappelle plus jamais. Si tu as besoin de quelque chose, passe par le tribunal", suivi de la tonalité. J'étais de nouveau dévasté. À l'université, je l'ai croisé par hasard et j'ai eu droit à la même réponse, mais cette fois, en face à face. Et pourtant, ma mère n'a jamais dit du mal de lui. Elle m'a intelligemment laissé en tirer mes propres conclusions.

Aujourd'hui, quelques années après l'université, je reconnais enfin les dégâts que peut causer un père qui choisit d'abandonner son fils. Je réalise la manière dont j'ai intériorisé ses choix, comme si j'avais fait quelque chose de mal. Je réalise que mon passé -cette idée de mon père que j'avais imaginée de toutes pièces- a dirigé ma vie et chaque décision que j'ai prise. J'ai laissé la peur gouverner mon existence. J'ai laissé le contrôle conduire ma vie. Je n'avais pas pu contrôler son départ, donc je contrôlerais tout le reste de mon existence. Je réalise que sa décision, son choix, ce même choix qu'il continue de faire jour après jour est simplement ça: le sien. Cela n'a rien à voir avec moi. Il ne me connaît pas. Je ne compte plus le nombre de personnes qui m'ont répété cette phrase pendant mon enfance. Je les avais entendues, mais je n'avais pas compris. Son choix égoïste d'abandonner la vie qu'il avait créée le concerne, pas moi.

Je me suis accroché à la peur de l'inconnu toute ma vie, et je suis prêt à laisser tomber. Je dois me faire à l'idée que je ne connaîtrai pas les pourquoi, les comment, ni les qui. Je dois admettre que ça ira, qu'il revienne un jour vers moi ou non. Je vaux quelque chose. Voilà ce que je sais. Je suis capable d'affronter tout ça. Et alors que je réalise toutes ces choses, je veux que les autres fils sans père sachent qu'ils ne sont pas seuls. Votre mérite n'est pas basé sur ses choix ou sur ceux de quiconque, mais sur les vôtres. Alors, affrontez la peur. Défiez les pensées. Écrivez l'histoire que vous vous êtes racontée. Interrogez l'idée du père que vous vous êtes imaginé. Plus important encore, sachez que quoi qu'il arrive, tout ira bien. Vous avez aussi de la valeur et êtes aussi digne d'amour. C'est seulement alors que vous serez prêt à bondir dans l'inconnu; c'est la seule manière de vous libérer.

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