Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Burkina Faso: vivre un coup d'État avec ses deux enfants quand le papa est au Québec

Donc, je vivais un coup d'État avec aucun autre moyen de communication à part mon téléphone qui datait des années tranquilles et ma voix.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Avant

De retour depuis trois mois, ou presque, je commence tout juste à ressentir les effets que cette aventure aura eus sur moi. Il faut dire que partir avec mes deux enfants Éloi et Lou, seule, dans un pays comme le Burkina Faso n'était pas quelque chose de simple, de facile, disons. Je fais partie de ces gens qui ont besoin de se lancer des défis de fous pour se sentir en vie, eh oui. En n'aucun cas j'ai pensé que je mettrais la vie de mes enfants en danger. Je savais que quoi qu'il arrive, je pourrais les protéger, je le savais, c'est tout. Alors telle une lionne dans la savane avec ses petits lionceaux nous nous sommes lancés dans cette grande aventure qu'est le Burkina Faso!

Juste pour vous dire, aller en Afrique avec mes enfants était un rêve que je caressais depuis plusieurs années, avant même qu'ils viennent au monde. J'y étais allée à trois reprises déjà avant d'entamer ce périple. Le Burkina Faso, un pays avec lequel je suis tombée en amour lors d'un premier projet de coopération, mais qui ne le serait pas? Le rythme de vie, les gens, la musique, les odeurs, la lumière... bref ce pays a un charme fou.

Contrairement à ce que nous pouvons entendre sur ce pays «sous-développé», «pauvre», «hiii pas facile», sa vraie richesse n'est pas dans le développement économique, elle réside surtout dans l'entraide que nous y retrouvons, dans l'humanité de ses habitants, dans cette facilité à partager si peu, dans le rire et l'humour qui caractérisent si bien ce pays. Nous aurions beaucoup à gagner à examiner de plus près comment ces gens vivent avec si peu, cultivant ce mode de vie, parfois bien malgré eux, de ne pas dépendre de biens inutiles, mais de baser leur vie sur cette richesse qu'est l'être humain.

Le Burkina Faso devait être le berceau de mon projet de mémoire. Je devais trouver un moyen d'y retourner en famille pour y faire mon terrain, récolter mes données, vivre une aventure mémorable et revenir par la suite pour tenter d'aider un tant soit peu cette population à s'adapter aux changements climatiques. Fervente adepte «de la goutte d'eau dans l'océan», je ne voulais pas sauver le monde, mais seulement sentir que je participais à celui-ci. Parce que ça fait du bien «en dedans» d'aider les autres....

Pendant

En fait, six est le nombre de mois que j'ai mis à la préparation de ce ter-rain de recherche et il a fallu exactement dix jours pour tout déconstruire...

Nous étions en sol burkinabé depuis quelques jours à peine lorsque mon ami Noël m'appelle. «Quoi Noël, tu dis quoi?» son accent me jouait des drôles de tours. A-t-il bien dit «un coup d'État Krystel». Eh oui! Le temps s'est arrêté, je me souviens de ce moment précis. J'ai revu en deux minutes toutes les raisons de ce périple, du pourquoi que j'étais là, avec mes deux enfants surtout ! Moment de doute profond. Était-ce une bonne décision de venir au Burkina Faso avec ma famille pendant une période préélectorale?

Grrrrrrrrrr (yeux pleins d'eau, sueurs froides, jambes molles, vertiges... «name it»!) Ma petite voix intérieure me traitait de tous les noms, «idiote», «irresponsable », «tête de mule » et blablabli et blablabla. «Pourquoi n'es-tu pas restée devant ton canal «Zeste» à la «tivi» comme tu aimes si bien le faire» me demandait petite voix. Je me sentais, avec les minutes qui passaient, devenir de plus en plus déconfite et c'est à ce moment que j'ai entendu mon petit Éloi me crier «Maman j'ai faim!» Eh oui, je n'étais pas seule dans cette histoire, j'avais mes petits à m'occuper ! J'ai donc repris mes esprits : «Oui oui maman te prépare du bon spaghetti mon amour». Ouf, ça te sort une mère de sa noirceur, disons. Je devais maintenant assumer cette décision et prendre soin de mes petits ! Fini la léthargie !

Je me suis donc rabattue sur ce que j'avais de plus beau, juste là, à côté de moi, mes enfants et leurs beaux yeux bleus. Disons que nous avons vécu ce coup d'État dans une bulle de verre, me rappelant à plus petite échelle bien sûr le film de «La vie est belle». Encore trop petit pour comprendre, mon plus vieux, 4 ans, savait qu'il y avait de la «bataille» à l'extérieur, mais sans plus. Sinon qu'il me parlait de chevaliers et d'épées...bref, il s'amusait à s'imaginer que les messieurs à l'extérieur voulaient délivrer la princesse tout en haut du château et j'ai alimenté à mon tour cette très jolie histoire. Quoi? Une mère n'a pas à tout dire, non? C'était bien plus beau que de lui dire qu'il a des messieurs qui veulent s'entretuer dehors et que s'il y a un affrontement militaire on sera vraiment dans le gros caca et que papa ne sera pas content !

Heureusement, nous vivions dans une jolie maison dans un quartier très calme de Ouagadougou et oui, nous pouvons le dire, un quartier de riche. Nous étions dans notre château à nous en quelque sorte. Cette maison aura été notre petit refuge, elle a pris en quelque sorte soin de nous...Par contre, les événements s'étaient passés tellement rapidement que je n'avais pas pu installer Internet, la télévision, la radio, bref des moyens de communication qu'une personne normale considère très utiles dans une situation comme un coup d'État (bravo Krystel !).

Résultat, je n'avais que mon téléphone pour communiquer, pas un téléphone intelligent, non non, un petit téléphone bleu avec rabat, comme dans le temps, qui sert seulement à appeler et recevoir des textos. Vous en souvenez-vous? Donc, je vivais un coup d'État avec aucun autre moyen de communication à part mon téléphone qui datait des années tranquilles et ma voix. Cette voix que j'ai tenue si souvent pour acquise et qui est devenue ma meilleure amie pendant ces dix longues journées. Cette voix qui m'a lâché et que j'ai suppliée à coups de grandes gorgées d'eau et d'Advil de rester avec moi ! Sans voix, je ne pouvais plus communiquer avec l'extérieur, pour la première fois de ma vie, je me suis rendu compte de l'importance de celle-ci. Je prenais donc les infos des gardiens des maisons voisines à qui je demandais des nouvelles 2-3 fois par jour et à un coopérant Benoît, un grand coeur qui avait pitié de moi, que j'appelais 2 fois par jour, qui était mon bulletin de nouvelles live et qui me transmettait les infos de RFI.

Ce Benoît, il a entendu mes larmes à quelques reprises...J'avais aussi des textos du CECI avec qui je travaillais «faites des provisions d'eau on prévoit les coupures», «sécurité maximale il y a eu des coups de fusil au centre-ville», «en aucun moment vous sortez de la maison», bref, des textos très très relax (non !)... pas très communs, disons... avec lesquels je devais «faire avec» tout en jouant à quatre pattes avec mes enfants. Ce n'était pas si évident finalement quand j'y pense, même très bizarre comme situation.

Pendant ces dix journées de coup d'État, j'ai dû aller chercher au plus profond de moi-même toute cette force dont je ne soupçonnais pas l'existence. Je me suis découvert une grande maîtrise de mes émotions, une facilité à trouver des solutions, un amour inconditionnel fois mille pour la chaire de ma chaire et un très grand talent pour faire des tours en LEGO avec des blocs couleur argent (oui oui argent). Je voulais tout simplement que mes enfants ne payent pas le prix de cette aventure. Je n'avais juste pas le droit de leur faire subir ça... c'est aussi ça être une mère, de prendre tout sur soi...

Une fois seulement j'ai eu réellement peur, lorsque j'ai entendu des coups de feu à l'extérieur. C'est le seul moment où j'ai pris mes enfants avec moi, je suis entrée dans la chambre et fermé la porte. J'ai respiré un peu, encore et encore et ça s'est passé. Il faut dire que les LEGO, petites voitures, les DVD, les casse-têtes, livres, sont devenus le centre de notre univers. Nous nous permettions quelques sorties extérieures tout juste pour aller chercher un petit jus à quelques mètres de la maison. Je n'ai jamais fait autant de popcorn et de crêpes de ma vie! Le contenant de sirop d'érable que j'avais amené est devenu notre «baume sur le coeur». Vive le sirop! Je l'aimais déjà mais là, il est devenu notre sauveur, «Super Sirop», notre héros à nous. Bon, par contre vivre avec deux enfants «su'l sirop» entre quatre murs... ce n'était peut-être pas ma meilleure idée à ce jour... #épuisant!

Mes plus grands clashs étaient ceux que je vivais avec mon chum, que je n'avais jamais vu aussi vulnérable de toute ma vie, inquiet à ne plus dormir, et rendu nerveux pas toutes les personnes qui lui demandaient de nos nouvelles. «Est-ce que je dois prendre l'avion pour venir vous sauver?» m'a-t-il demandé tel un Ironman prêt à combattre et à tout faire pour que sa petite famille soit près de lui. «Les frontières sont fermées mon bel amour tu ne pourrais même pas entrer au pays...».Silence. Ma mère elle, priait mon père décédé pour qu'il nous sorte de là ( je ne sais pas trop comment !) et ma meilleure amie Véro qui se voyait si soulagée que je l'appelle après toutes ces journées sans nouvelle... Les médias ont définitivement été mes pires ennemis dans cette histoire. J'avais beau dire et redire aux gens que j'aime, que nous étions en sécurité, que les enfants n'étaient pas terrorisés et qu'ils comprenaient à peine ce qui se passait, je ne pouvais pas me battre contre les images véhiculées par les TVA et Radio-Canada de ce monde. Puisqu'un coup d'État ce n'est rien et tout à la fois. Si tu habites loin des frasques, on peut parfois s'imaginer difficilement que nous sommes en train de vivre ce genre de catastrophe...

J'avais malgré tout beaucoup de difficultés à me plaindre quand je savais que ce coup d'État avait des conséquences énormes sur la majorité de la population. Le Burkinabè, s'il ne sort pas dans sa journée, à cause d'une ville, un pays paralysé, ne peut pas travailler et avoir à manger. Les provisions, les garde-mangers pleins à craquer, ce sont des concepts d'Occidentaux. Non, au Burkina Faso, tu sors pour travailler et tu travailles pour manger. J'ai entendu par la suite, une fois que la sécurité était pratiquement revenue, un homme, qui disait qu'il ne savait plus quoi faire, il avait tellement faim... L'équilibre social, politique et économique du Burkina Faso ne tient qu'à un fil et ce coup d'État a fait ressortir toute la fragilité de ce pays...définitivement.

Mon plus grand malheur, à l'exception de la frousse que j'ai pu donner à mes proches, aura été la perte de ma liberté, je pense, de notre liberté. Cette liberté que je savoure tous les jours, lorsqu'elle t'est enlevée, de-vient une souffrance, une façon de te rappeler que tu n'es pas maître de ton destin. Moi, femme québécoise ayant une bonne éducation et de classe moyenne, la liberté, ma liberté, je l'ai toujours eue. Je fais ce que je veux quand je veux «that's it that's all». C'est particulièrement lorsque j'ai pris la décision de revenir au Québec que j'ai trouvé cela très difficile. L'aéroport étant fermé, nous nous sommes repris par trois fois avant de pouvoir prendre un vol et revenir à la maison «Hé hoooo» ( je parlais au bonhomme en haut) « Je suis prête à rentrer m'entendez-vous ?&%&?%$% ?» Je n'avais aucun contrôle sur cette situation...et surtout j'avais mon Éloi qui se mourrait de revoir son père et son cousin Florent. Bref. Je suis montée dans cet avion comme si nous venions de rester 40 jours sur la mer dans un bateau pneumatique sans manger et sans boire, j'ai retenu ma respiration jusqu'à ce qu'elle quitte la piste et j'ai ensuite serré très fort mes enfants dans mes bras. «On rentre à la maison, là c'est vrai», leur ai-je dit.

L'après

Au retour, j'étais extrêmement fatiguée et déçue, un peu. Partagée entre la chance d'avoir vécu tout de même de très beaux moments avec mes enfants et avoir rencontré, dans une situation pas très évidente, des gens inspirants dont je me souviendrai toujours. Delphine, Noël, Fati, Karine, Benoît, Roxanne, Simon, Modeste, hommage à vous.

On m'a questionné beaucoup au retour, culpabilisé, certains ont remis en question le fait que je sois partie avec mes enfants en Afrique, seule, et d'autres ont même remis en question le fait de voyager tout court, de sortir de notre confort pour aller vers d'autres horizons. J'ai senti beaucoup de «tu n'aurais pas dû», «tu as été irresponsable», «à quoi as-tu pensé ?», bref du gros jugement. J'ai encaissé. J'ai aussi senti beaucoup d'amour et c'est surtout ça que j'ai retenu. Je suis de celle qui croit qu'il faut foncer dans la vie. Faudrait-il s'arrêter de vivre nos rêves à cause du «peut-être que ça va arriver», «au cas où» et du «tu le sais pas»? Bien justement, on ne sait pas tout, et c'est ça la magie de la vie!

Jamais au grand jamais je ne regrette d'avoir vécu ce coup d'État qui est venu tout « fichure » pour emprunter une expression de mon garçon. Étrangement, je dirais que cette expérience aura été une des plus belles de ma vie. Elle m'aura permis de connaître davantage mes enfants, de me connaître moi aussi, de m'avoir insufflé une force intérieure presque démesurée qui me permet à présent de croire davantage en mes capacités comme individu, femme et mère. Cela m'a permis surtout d'apprécier davantage ma liberté et la tranquillité qui nous habite ici au Québec. Nous sommes des gens tellement gâtés pourris que nos petits bobos quotidiens nous empêchent de réaliser l'immensité de cette richesse qu'est la liberté.

Cette liberté, c'est aussi de choisir de la vivre, d'aller découvrir ce monde qui nous entoure, pas seulement les gens qui vivent «un peu comme nous», mais ceux dont la vie est moins facile ou qui ont opté pour un mode de vie complètement différent. C'est de cette façon comme personne, mais comme société aussi, que nous nous permettrons d'évoluer. Surtout, c'est de cette façon que le racisme et les préjugés pourront être déconstruits et abolis. Cette liberté, c'est aussi de pouvoir revenir après un coup d'État dans notre petit confort et de choisir de le remettre en question.

Burkinabès, je vous aime et vous souhaite le meilleur du monde pour l'avenir... sans rancune...

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Manifestations au Burkina Faso

Manifestations au Burkina Faso

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.