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Une déradicalisation si difficile

Avant d'être un acte violent, la radicalisation est un processus de métamorphose qui se base sur des livres et discours religieux qui légitimisent l'acte de meurtre.
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Le débat public sur la déradicalisation des jeunes musulmans ne parvient pas à aller au fond des choses, à saisir la réalité de la radicalisation. Et surtout, il ne nous donne pas les outils pour stopper ce phénomène.

Selon une vision simpliste, ce phénomène se nourrit par le biais de la pauvreté et des guerres, comme en Afghanistan et en Irak. En guise de solution, des clichés classiques sont médiatisés: le renforcement de la sécurité, le bracelet électronique, l'augmentation du nombre de prisons, la collaboration des imams avec le gouvernement, etc.

Avant la réflexion sur ces clichés, le radical, pour les gouvernements occidentaux, apparaît souvent lors d'un acte terroriste immédiat, et non pas dans son état d'isolement idéologique. En effet, parallèlement aux clichés médiatisés qui ne montrent que la surface de ce phénomène, il y a des petites ficelles visibles qui peuvent éclairer les origines de la radicalisation.

Les auteurs d'une nouvelle étude canadienne estiment que plusieurs mosquées et écoles confessionnelles islamiques du Canada exposent des jeunes à des écrits extrémistes. La Presse canadienne a publié le 22 août 2016 que cette étude a été écrite par un ex-analyste des renseignements du Bureau du conseil privé et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Thomas Quiggin, et un journaliste originaire d'Égypte, Saied Shoaaib. Les auteurs ont mené des recherches dans des librairies de mosquées et d'écoles islamiques. Même si elle a été critiquée, cette étude contient des informations vérifiées qui doivent porter à réflexion. Le comité de la défense et de la sécurité du Sénat du Canada avait aussi conclu, dans un rapport publié en 2015, que des imams formés à l'étranger participaient à la diffusion d'idéologies religieuses extrémistes.

Ces faits nous ramènent à une question essentielle à propos de la radicalisation, à savoir quels sont les livres qui peuvent dépersonnaliser les jeunes et les déconnecter de la réalité ; quel est le rôle des imams et «leurs» mosquées dans la pensée radicale et le retour de ces jeunes occidentaux vers une histoire si lointaine, soi-disant vers un islam premier, comme l'a mentionné Sayyid Qutb dans son livre si sectaire Jalons sur la route de l'islam.

Avant d'être un acte violent, la radicalisation est un processus de métamorphose qui se base sur des livres et discours religieux qui légitimisent l'acte de meurtre contre les opposants.

Les enseignements de la radicalisation se cachent dans le système d'éducation.

Le père spirituel de la radicalisation dans l'histoire de l'islam, le premier ministre Seldjoucide Nizam Al-Moulk (1020-1093), a écrit il y a 1100 dans son fameux livre Siasset Namèh: «J'ai déraciné les opposants de l'État», faisant référence à des exécutions de masse. Et la pensée du déracinement, qui était essentielle dans la doctrine sunnite, était très largement utilisée et agissait aussi bien dans la sphère privée que publique. En 1065-1067, et sous l'ordre de ce même ministre, les premières écoles religieuses ont été créées à Bagdad et dans d'autres villes abassides. Ces écoles connues sous le nom de «Madras Nizamiya» deviennent avec le temps à l'origine d'une pensée orthodoxe sunnite qui déracine tous ses opposants. À ce moment, ces écoles ne faisaient que propager la doctrine sunnite, contre les missionnaires fâtimides (chi'ites) qui enseignèrent à l'époque la philosophie, la logique et les sciences humaines dans leurs écoles.

Cette école sunnite orthodoxe dans laquelle enseigna le penseur fondamentaliste Al-Ghazali (1058-1111) est arrivée en Afrique du Nord par l'un de ses fidèles qui s'appelait Ibn Toumert (1077-1130). L'école de pensée a nourri les générations depuis des siècles et s'est reproduite par des moyens différents dans le monde musulman. Le paradoxe le plus remarquable dans ce contexte religioso-historique se perçoit par l'attitude de la «police des moeurs» en Arabie saoudite, envers les citoyens, agissant sous les ordres du «Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice». Cette pratique du contrôle strict et punitif du comportement des citoyens au quotidien n'était que la première guerre d'Ibn Toumert contre la société de Marrakech au XIe siècle.

Alors que la radicalisation passe par des réseaux sociaux animés par cette idéologie, par certaines mosquées et espaces virtuels, ses origines prennent racine dans des livres qu'on enseigne à l'école primaire aussi bien qu'à l'université. Dans les sociétés où le wahhabisme est devenu courant, les élèves dans les écoles publiques, privées et religieuses apprennent dès les premières années du primaire les concepts tels que le djihad, la condamnation à mort des non-croyants, le châtiment de Dieu, le feu de l'enfer, les guerres des croisades. Cela veut dire que les enseignements de la radicalisation se cachent dans le système d'éducation avant d'être mis en œuvre par les courants politiques violents.

Certaines études françaises sur la radicalisation centrent leurs analyses sur le passage à l'acte, sans accorder de l'importance à la plongée dans l'obscurantisme religieux qui le précède.

Cette approche a été favorisée par la nécessité de répondre rapidement aux besoins de sécurité. Elle ne permet donc pas d'aider les jeunes radicalisés à sortir de leur utopie, parce qu'elle ce concentre sur l'acte violent immédiat, et non pas sur le processus de la radicalisation.

La déradicalisation était une des sept mesures sécuritaires annoncées par le premier ministre français Manuel Valls après les attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris. Celui-ci a annoncé le 19 novembre 2015 à l'Assemblée nationale qu'un «centre de la déradicalisation» pourrait d'abord accueillir des «repentis» qui seraient «mis à l'épreuve afin de mesurer leur volonté de réinsertion dans la durée».

Ce projet a véritablement manqué d'intelligence, parce qu'il aurait fallu ouvrir le parapluie avant l'orage, et non après. Ces mesures sont le résultat d'une pensée sous le choc des tueries du 7 janvier 2015 contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et les attentats du 13 novembre suivant. Il leur manque cependant une philosophie pédagogique conséquente, sans quoi ces mesures ne resteront que des coups d'épée dans l'eau.

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