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Mange-t-on des animaux morts?

La question peut paraître absurde. On sait tous que derrière un steak, il y a un animal mort. Pourtant, la plupart du temps, nous faisons de l'animal un élément extrinsèque de la viande.
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La question peut paraître absurde. Évidemment que, pour manger des animaux, il faut bien qu'ils aient été tués avant. On sait tous que derrière un steak, il y a un animal mort. Pourtant, la plupart du temps, nous faisons de l'animal un élément extrinsèque de la viande. On semble toujours agacé quand un végétarien, à table, nous rappelle que le gigot est avant tout une charogne. Quel moralisateur! Alors souvent, on fait mine d'oublier. Après tout, il faut bien manger de la viande pour vivre!

Ça, c'est l'alibi. La nécessité de la viande, c'est un peu notre prétexte. Et puis, si on admet que la viande n'est pas, à l'évidence, nécessaire, on pourra toujours dire que, puisqu'on aime ça, la consommation d'animaux est, de fait, justifiée. Mon plaisir de manger une entrecôte l'emporte parce que je l'ai décidé. Les animaux ont juste besoin d'être bien traités. Tués avec amour.

Comment peut-on concilier l'amour que l'on porte pour les animaux familiers (chats, chiens, etc.) et l'hécatombe à laquelle nous participons en donnant notre argent à ceux qui "tuent avec amour"?

Martin Gibert, enseignant en éthique et en philosophie du droit, dans son dernier essai paru récemmentVoir son steak comme un animal mort, explique cette ambiguïté inhérente à la nature humaine par le concept de "dissonance cognitive" qui se manifeste, en ce qui concerne la viande, par le symptôme suivant: "nous aimons les animaux et nous aimons manger leur cadavre".

Du cadavre dans mon assiette

L'image du cadavre, nous la craignons. D'ailleurs, les industriels ont bien compris le message. C'est la raison pour laquelle il n'est pas inscrit sur les emballages de dentifrice: "contient de l'animal mort". C'est sûr que, dit comme ça, ça fait un peu moins vendeur. Alors, on camoufle le truc.

En fait, c'est là que la "perception morale" intervient selon Martin Gibert. La perception morale des mangeurs d'animaux est plutôt "confuse". De ce fait, un téléspectateur, amateur de steak, peut être choqué qu'un candidat d'une émission télévisée tue un cochon pour se nourrir: comme cette violence n'est pas nécessaire (il s'agissait du dernier repas sur l'île), je ne comprends pas l'intérêt de tuer un animal.

Exemple de dissonance cognitive chez un enfant

Si tuer des animaux n'est pas nécessaire, pourquoi mange-t-on encore de la viande? La question est plutôt, selon Martin Gibert, "comment peut-on ne pas être végane?". C'est vrai, il est difficile de rester indifférent à la souffrance animale: "qui peut voir sans frémir l'agonie d'un bœuf ou d'un porc?". Pourtant, nous tenons à notre steak. Et c'est justement dans ce cadre contradictoire qu'il faut analyser la psychologie de l'omnivore.

Il y a, dans nos rapports aux animaux, une "contradiction à surmonter". On peut, par exemple, se persuader que les animaux ne souffrent "pas vraiment", ce que le juriste David Chauvet qualifie de "mentaphobie". Ou que nous avons un besoin en protéines qui, selon la croyance populaire, ne sont contenues que dans les produits animaux.

Mais lorsqu'on nous démontre le contraire, on essaie toujours d'aller plus loin dans le processus de déculpabilisation. Alors, on soutient que les "choses ne dépendent pas de nous": même si je mange des animaux, je ne suis pas responsable de leur mise à mort. Et en aucun cas, je ne cesserai de manger de la viande. Ça ce sont les véganes qui font ça, et les véganes sont "sectaires". Ça nous rassure de dire ça. Parce que les véganes donnent "une piqûre de rappel" à notre "dissonance cognitive".

Rendre la réalité plus digeste

"Partout, on tisse des euphémismes pour rendre la réalité plus digeste". Selon Martin Gibert, reprenant le concept forgé par la psychologue américaine Melanie Joy, la plupart des gens sont "carnistes". Derrière ce néologisme, il y a "l'appareil idéologique qui a pour fonction d'étouffer la dissonance cognitive". Le carniste fait appel à des alibis innombrables afin de justifier des pratiques qu'il condamne pourtant : tuer des animaux sans nécessité. Le carnisme "réconforte". Il entretient la position majoritaire dans l'imaginaire collectif selon laquelle il n'y a rien d'incohérent à abattre des animaux à partir du moment que cela est normal, naturel et nécessaire.

Martin Gibert voit plutôt dans le carnisme "l'écran idéologique qui dissimule la réalité de l'exploitation". L'élevage industriel concerne 82 % des animaux en France. Pourtant, souvent, on n'hésite pas à faire appel, pour justifier nos pratiques, à un hypothétique élevage "heureux" où les animaux serait bien traités. Or, la question de la nécessité revient en permanence : pourquoi mettre fin à la vie d'un animal en le privant "d'expériences qu'il aurait pu avoir" alors que ce n'est pas nécessaire? Dirait-on, par exemple, qu'il est légitime d'abattre mon chien de manière heureuse et humaine parce que je souhaite simplement partir en vacances ? Rien n'est moins sûr. Pourquoi serait-il plus légitime d'abattre un cochon parce que je souhaite simplement manger un bout de saucisson? "L'effet de halo" de la "viande heureuse" ne répond pas à ce problème.

Le véganisme comme solution

Mais le problème de la viande va au-delà d'une éthique animale singulière. Comme le rappelle justement Martin Gibert, la question environnementale doit également être prise au sérieux. Malgré les apparentes ambitions des pouvoirs publics en matière de politique environnementale, le problème de l'élevage est la plupart du temps passé à la trappe. L'élevage est responsable de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre selon un rapport de la FAO publié en 2013, soit plus que "l'ensemble des transports". Pourquoi en arrive-t-on à ignorer le problème? Il existe un "climat de déni", même chez ceux qui se revendiquent souvent comme écologistes.

Comment sortir de cette disparité entre nos convictions et nos habitudes de consommation? Tout simplement en arrêtant de se mentir à soi-même. Si je pense que les animaux n'ont pas à être tués sans nécessité, c'est que j'estime qu'ils ont un intérêt à poursuivre leur existence. La consommation de viande n'est pas compatible avec la prise en compte des intérêts des animaux et des exigences environnementales. L'impératif est donc d'abolir la viande de notre alimentation.

véganisme et psychologie morale

"Voir son steak comme un animal mort. Véganisme et psychologie morale", Martin Gibert, Lux Éditeur, 26,99 chez Archambault

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