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Je ne voudrais pas être Américaine

La société américaine n'en a pas fini avec son racisme, sa ségrégation, ses vieilles injustices, ses guettos et les importantes inégalités économiques qui séparent encore aujourd'hui les blancs des noirs.
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Le titre du Huffington Post Québec ce matin «Horreur à Dallas» donne froid dans le dos. Ça préfigure des violences sociales importantes, d'autres manifs qui dégénèrent, d'autres blessés et probablement d'autres morts inutiles. La société américaine n'en a pas fini avec son racisme, sa ségrégation, ses vieilles injustices, ses guettos et les importantes inégalités économiques qui séparent encore aujourd'hui les blancs des noirs.

Philando Castille, armé et innocent

Le problème du racisme à l'américaine se double, à mon avis, du grave problème des armes à feu. Ce que je comprends de l'évènement tragique qui a conduit à la mort de cet homme noir au Minnesota cette semaine, c'est qu'il a d'abord été intercepté pour un phare grillé. Les automobilistes noirs seraient d'ailleurs beaucoup plus ciblés par ce genre d'interpellation qui donne lieu ensuite à toutes sortes de contrôles d'identité et les rend plus nerveux que le reste de leurs concitoyens. L'homme en question, Philando Castille, a répondu à la question du policier avec honnêteté lorsque celui-ci lui a demandé s'il possédait une arme. Oui, il avait une arme, légalement enregistrée. Le policier lui a demandé de présenter ses papiers d'identité alors il s'est mis à les chercher (moi quand ça m'arrive, j'ai l'air d'une méchante folle en train de vider frénétiquement tous les compartiments de l'auto sous le regard découragé du policier qui fait le poireau, poliment à côté de ma fenêtre).

Philando Castille n'a pas eu la chance de tomber sur un policier québécois poli et patient. Celui qui l'a intercepté devait être nerveux... il lui a tiré dessus. Comme ça... parce qu'il a eu peur pour lui-même, peur que Castille trouve son arme à feu et appuie sur la détente avant lui. Mais Philando Castille était en voiture avec sa conjointe et la petite fille de celle-ci. Il ne venait pas de braquer une banque, il circulait en voiture avec sa petite famille et il a été arrêté pour un phare brulé. C'est d'une absurdité sans nom.

Le problème va bien au-delà de l'histoire tragique de cet homme. Le problème, ce sont les valeurs de base de la société américaine. Une société qui a beaucoup de mal à se réformer pour rejoindre le cercle des grandes nations civilisées. Dans l'ensemble des pays où règne la paix et où prévaut la démocratie, le monopole de la force a été dévolu aux forces de l'ordre, aux différents corps de police et à nos armées nationales. Cette donnée fondamentale constitue l'un des ferments de notre contrat social: «Je renonce à mes armes, je remets ce pouvoir aux mains d'un groupe organisé qui lui, tient son pouvoir du gouvernement, lui-même légitiment élu par le peuple».

Deux gros problèmes ici lorsqu'on parle de la société américaine: les armes et l'impuissance des élus. Contrairement aux citoyens des autres grandes nations, les Américains n'ont jamais voulu faire confiance à leurs gouvernants et accepter de se désarmer... avec les conséquences désastreuses que l'on connait.

Chaque jour ou presque, il y a un mass shooting quelque part sur le territoire américain. L'Amérique, terre de liberté des colons qui fuyaient les persécutions religieuses des nations européennes, s'est toujours méfiée des autorités, des élites, du pouvoir centralisateur de Washington. Mais le temps du Far-West est pourtant depuis bien longtemps révolu. Le territoire est densément peuplé, les tensions omniprésentes et la tentation d'utiliser son arme pour régler un problème, beaucoup trop facilitée.

Cette Amérique qui a mis dans son contrat social en 1776 «La poursuite du bonheur» s'est peut-être laissé aveugler par cette quête du bonheur trop individualiste.

Les élites américaines ont beau déplorer ces faits largement connus et documentés, faire appel à la raison, aux émotions de leurs concitoyens, ils ont les poings liés. Année après année, nous avons vu les présidents américains pleurer en conférence de presse, dire «That's enough ». Mais, même lorsqu'ils osent proposer une timide règlementation, ils sont battus par les chambres des représentants, Congrès ou Sénat. Qu'un homme de la prestance de Barack Obama n'ait pu rien y faire, c'est désespérant.

Je ne suis pas une spécialiste de l'histoire américaine, mais si j'étais Madame the President (comme je le souhaite de tout cœur à Hillary), je m'attèlerais à une seule grande tâche: la réforme du financement électoral, à tous les niveaux. C'est sans doute une tâche herculéenne, mais c'est aussi la seule chose, qui à terme, redonnerait du pouvoir aux Américains «ordinaires» qui se font kidnapper leur chère liberté et leur chère démocratie par des lobbys et groupes d'intérêts. C'est ce qu'a fait René Lévesque au Québec en 1976, première mesure du nouveau gouvernement péquiste: fin des gros financiers qui noyautaient le pouvoir à leurs intérêts particuliers.

L'État doit avoir les coudées franches pour agir. L'État doit agir pour le bien commun. L'État doit protéger ses concitoyens. Toutes des choses que Washington échoue dramatiquement à faire, malheureusement.

Cette Amérique qui a mis dans son contrat social en 1776 « La poursuite du bonheur », idée saluée à l'époque, infiniment progressiste, héritage de ce siècle des Lumières, influencée par les grands philosophes européens qui invitaient leurs concitoyens à en finir avec l'obéissance aveugle face aux tyrans, et bien cette Amérique s'est peut-être laissé aveugler par cette quête du bonheur trop individualiste. Peut-on être réellement heureux quand les autres alentour souffrent? Permettez-moi d'en douter. Les sociétés où les gens se disent les plus heureux sont également celles où les inégalités sociales sont les moins grandes. Heureusement pour nous, le Québec en fait partie.

Qu'arrivera-t-il dans les prochains jours chez nos voisins américains? Les appels au calme des élites seront-ils entendus? Hier soir, des policiers ont été ciblés, tandis que la confiance d'une partie de la population envers leurs forces de l'ordre s'est encore un peu plus désagrégée cette semaine à la suite de ces deux meurtres. Mais pour que la paix sociale perdure, il faut nécessairement avoir confiance en ses élites, en son système de justice et en ses policiers. Le problème du racisme endémique, couplé à celui des armes à feu omniprésentes, constitue selon moi une source permanente de conflits sociaux qui ne pourraient être résolus, à long terme, que par un gouvernement central capable d'agir, de légiférer, enfin, en vue d'assurer paix et prospérité à tous ses concitoyens.

Bonne chance Madame Clinton! Et lorsque vous aurez le pouvoir, de grâce, agissez!

Ce billet a également été publié sur le blogue personnel de Kathleen Shannon, Kat et sa smala.

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