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Le pluralisme et les accommodements raisonnables: une porte ouverte à l'intégrisme religieux?

Le plus triste, c'est qu'une fois de plus, l'intolérance apparente d'une minorité d'idéologues laisse croire au reste du monde que le Québec entier est intolérant. Voilà une distinction dont notre société distincte pourrait bien se passer. Mais bon, on dit aussi que si les cons volaient, il ferait nuit.
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Il est difficile de l'ignorer, la Fédération de soccer du Québec (FSQ) a confirmé mercredi sa décision d'interdire le port du turban, du patkas et du keski lors des matchs qu'elle sanctionne sur les terrains de football du Québec.

À tort ou à raison, puisque rien n'atteste encore de la chose ou de son contraire, la FSQ invoque des motifs de sécurité et la présidente de l'organisme a farouchement défendu sa décision en déclarant que ceux qui ne s'y conformeraient pas n'auraient qu'à «jouer dans leur cour».

Après tout, si les casquettes et autres couvre-chefs sont interdits pour des motifs de sécurité, pourquoi en serait-il autrement de la patka de quelques dizaines de jeunes sikhs désirant intégrer une ligue sanctionnée par l'autorité québécoise en matière de football amateur?

Les défenseurs de la décision de la FSQ, bien loin de l'argument sécuritaire initial qu'ils peinent d'ailleurs à faire valoir, insistent plutôt sur le fait que dans notre société, tous sont égaux et que ce faisant, tous doivent être soumis aux mêmes règles, a fortiori lorsqu'il s'agit de règles sportives.

Très bien.

Et si ces règles briment déraisonnablement la liberté de conscience et de religion des uns ou des autres? Eh bien, tant pis! À leurs yeux, laïcité oblige, aucune considération religieuse ne doit influencer les décisions de l'État.

L'argument mobilisé n'est donc plus celui de la sécurité, mais celui de la neutralité religieuse de l'État et de la panoplie de créatures en découlant, incluant la FSQ, et c'est bien là le fond du problème: que signifie cette neutralité?

Signifie-t-elle simplement que l'État doit faire abstraction de toutes les religions lorsqu'il légifère et règlemente? Ou à l'inverse, qu'il se doit, compte tenu de la consécration constitutionnelle de la liberté de conscience et de religion, de prendre acte de la multiplicité des cultures et des religions présentes en son sein et donc, de considérer celles-ci de manière égalitaire, impartiale et objective, indépendamment de leur statut majoritaire ou minoritaire?

En attendant que les experts attestent officiellement des risques et périls physiques encourus et/ou causés par ceux qui portent la patka au football, c'est en fonction de ces deux conceptions de la neutralité religieuse que l'opinion publique se tiraille depuis déjà trop longtemps au sujet de la pertinence, ou de l'impertinence, de la décision de la FSQ.

De la confusion entre neutralité religieuse, égalité et homogénéité

Tous s'entendent pour affirmer qu'au-delà de la séparation de l'État et de la religion, la laïcité implique immanquablement le respect du principe de neutralité religieuse de l'État. Tous ne sont pourtant pas d'avis que cette neutralité religieuse justifie que l'on porte atteinte à des droits et libertés reconnus tant par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne que par la Charte canadienne des droits et libertés.

Alors qu'on nous apprête finalement, avec je ne sais trop quels ingrédients, une charte des «valeurs québécoises» au lieu d'une charte de la laïcité, le psychodrame provoqué par la décision de la FSQ permet d'identifier les forces en présence dans le débat entourant la gestion de la diversité culturelle et religieuse de notre société.

Le billet se poursuit après la galerie

D'une part, il y a ceux qui souscrivent à l'idée d'une laïcité dite «ouverte», en ce sens qu'elle prend acte de la multiplicité des croyances des mandataires de l'État et propose une approche permettant justement de concilier la nécessaire neutralité religieuse de l'État avec la liberté de conscience et de religion de tous et chacun. Notons au passage que c'est de cette perspective qu'est née la pratique des accommodements raisonnables qui, au-delà du carcan multiculturel ou interculturel auxquels certains tentent de la confiner, représente un outil concret et indispensable de gestion de la diversité dans une société se voulant pluraliste.

D'autre part, il y a ceux qui défendent une vision plus rigide de la laïcité, plus coercitive. Pour ceux-ci, la seule manière d'affirmer la neutralité religieuse de l'État est de faire abstraction de toutes les religions, comme si elles n'existaient pas.

Ces partisans vont jusqu'à prétendre que la neutralité religieuse devrait également s'appliquer à l'espace public, lequel s'en trouverait accessoirement uniformisé, voire homogénéisé. Pour ceux-ci, la neutralité religieuse ne peut se traduire que par l'obligation universelle du non-dévoilement public de la foi. La religion, hors du salon? Point de salut!

D'où la polémique entourant le fameux turban, qui n'en est même pas un.

Aux dires des défenseurs les plus enhardis de cette laïcité plus pure que la trés pure laïcité française, les accommodements raisonnables ne sont qu'une largesse de trop devant la menace que font reposer constamment les intégristes religieux sur notre société catho-laïque.

En témoignent ces propos tenus par le chroniqueur du Journal de Montréal Joseph Facal lors d'une entrevue radiophonique accordée à Benoit Dutrizac le lundi 11 juin : «(...) la sécurité est un souci réel, mais secondaire (...) le vrai argument, c'est la neutralité religieuse des terrains de jeux. (Si l'on permet la patka) ce ne sera qu'un précédent qui ouvrira la porte à d'autres.»

Doit-on comprendre que M. Facal a cru que les Mounties allaient se convertir au sikhisme lorsqu'un officier sikh de la GRC s'est vu octroyer le droit de remplacer le traditionnel chapeau beige par un turban beige? Si oui, il est à peu près le seul, avec Don Cherry!

Arguera-t-il que la neutralité religieuse de la Chambre des communes est compromise par les quelques députés sikhs qui y siègent en portant un turban?

Si oui, que dire du crucifix de Duplessis derrière le siège du Président de l'Assemblée nationale du Québec et de tous les noms, temples et monuments religieux qui parsèment l'espace public québécois? Ah oui, le patrimoine! Catho-laïcité, quand tu nous tiens!

Le constat est difficilement contestable: les concepts de laïcité, de neutralité religieuse et d'égalité juridique ont besoin d'être réexpliqués à ceux qui, par mégarde ou par mépris, ont compris qu'ils signifiaient que l'espace public devait être purgé de toutes manifestations d'appartenance religieuse.

La neutralité religieuse découlant de la sécularisation de l'État ne signifie pas que les lois et règlements qu'il émet peuvent restreindre injustement la liberté de conscience et de religion des individus. C'est bien pour cela que ces libertés fondamentales ont été codifiées. Évidemment, ladite neutralité ne constitue pas davantage un mandat en faveur de l'homogénéisation de l'espace public, conséquence inévitable d'une politique qui exigerait de tous le non-dévoilement de leur foi ou autres orientations spirituelles.

En d'autres termes, la neutralité religieuse de l'État n'évacue pas les valeurs humanistes et pluralistes de tempérance et de tolérance sur lesquelles se sont bâtis dans une paix relative les modèles sociaux du Québec et du Canada contemporains.

Agnostique, l'intégrisme religieux, toutes religions confondues, m'apparaît personnellement comme étant aussi doctrinaire que rétrograde, mais cela ne me donne pas le droit de révoquer la liberté de conscience et de religion d'autrui comme certains proposent de le faire.

Aussi, c'est peut-être ce qu'il y a de plus triste dans toute cette histoire qui n'aurait pas dû en être une, mais il faut se le dire, encore une fois, l'intolérance apparente d'une minorité bruyante laisse croire au reste du monde que le Québec entier est intolérant. Voilà une distinction dont notre société si distincte pourrait bien se passer, mais bon, il reste de l'espoir, car on dit aussi que si les cons volaient, il ferait nuit.

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