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Pourquoi devrait-on avoir peur de mourir?

Je voudrais cependant chasser l'idée qu'il n'y a que les croyants qui se débarrassent de leur peur de mourir en vieillissant. J'ai retrouvé le même accommodement pragmatique à l'idée de mourir chez des personnes âgées absolument pas croyantes.
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En ce moment, on a l'impression d'être inondé par des livres évoquant la mort et disant comme c'est formidable. J'imagine que cela vient en partie du vieillissement des baby-boomers (je me rappelle de quelqu'un lançant malicieusement que nous saurions que c'est la fin du baby-boom quand on verrait apparaître des dépôts mortuaires griffés).

Aujourd'hui, il y a des médecins, des neuroscientifiques et même des enfants de quatre ans qui prétendent avoir visité le paradis. Et -oh surprise!- il ressemble exactement à ce que vous auriez imaginé: des papillons, des anges, et des hymnes. J'avoue être un peu suspicieux quand les visions du paradis sont exactement conformes à nos attentes (ma citation favorite de Thomas Merton, moine et écrivain spirituel: "Concernant le paradis, une chose est sûre: il n'y restera pas grand chose de vous").

Et soudain, ça m'a frappé: pourquoi demander à ces jeunes personnes de nous conseiller sur la manière de gérer notre propre mortalité? Si je m'intéressais aux sentiments des ados qui vont rentrer à la fac, j'interrogerais des lycéens. Si je souhaitais me renseigner sur la façon dont les gens se préparent à être parent, je m'adresserais à de jeunes couples songeant à avoir un enfant. Bref, si on veut savoir comment se préparer à une mort inéluctable, pourquoi ne pas s'adresser aux personnes qui s'en rapprochent? Bingo! Les personnes âgées.

Dans notre projet qui a recueilli les conseils existentiels de plus de 1200 des Américains les plus âgés, j'étais certain de vouloir interroger ces derniers sur une chose: la mort. J'avoue personnellement être assez troublé par toute cette histoire de mort -la seule chose à laquelle vous ne pouvez pas échapper. Bien sûr, je ne suis pas le seul: il y a désormais une école d'études psychologiques basées sur le concept de "gestion de la peur". Selon cette théorie (qui n'est pas une des sciences sociales les plus réconfortantes), avoir conscience de notre mort inévitable génère une grande peur, contre laquelle on trouve ensuite des moyens de se défendre psychologiquement.

Si quelqu'un doit ressentir ce genre de peur, ce sont les personnes très âgées. Elles sont, après tout, statistiquement bien plus proches de la fin de leur vie que les moins de 60 ans. Et peu importe combien, de nos jours, elles sont actives et en bonne santé, elles sont vraiment au seuil du trépas (ou du moins sur les marches qui y mènent).

J'ai donc décidé de prendre le taureau par les cornes, regarder des gens de 80, 90 et 100 ans dans les yeux et de leur demander : "Quand les gens atteignent votre âge, ils commencent à réaliser qu'ils ont moins d'années devant eux qu'ils n'en ont derrière. Comment ressentez-vous la fin de votre vie?" Nous avons parlé de ce qu'ils pensaient de la mort, si celle-ci les angoissait et si cela occupait leurs pensées au quotidien.

Une question me venait sans cesse à l'esprit quand j'écoutais leurs entretiens: où était la peur? Car ces personnes âgées me confiaient que cette peur immense et écrasante de mourir était surtout l'apanage des jeunes. Je n'ai pas ressenti de déni de leur part, plutôt une façon de voir les choses très concrètement, et un désir d'en discuter et de savoir ce que cela signifiait vraiment.

La grande majorité de nos sondés se sont décrits comme ne pensant pas trop à la mort, en tout cas bien moins que lorsqu'ils étaient plus jeunes. Il est d'ailleurs prouvé par des recherches que l'angoisse de la mort décroît à mesure qu'avance l'âge. Néanmoins, je n'étais pas préparé à cette tranquillité affichée par la plupart des personnes âgées concernant leur propre décès. Voici comment certains ont évoqué leur propre mortalité.

Comme je l'ai appris, Edwina Elbert incarne cette attitude commune aux personnes âgées envers la fin de la vie : un mélange d'intérêt, de curiosité et d'acceptation. Edwina est une femme de 94 ans chaleureuse, intelligente et très ouverte. Le fait d'avoir connu un sérieux accident et une maladie l'a conduite à réfléchir sur la fin de l'existence et sa signification.

Grâce à ça, j'ai réalisé qu'on se demandait toujours pourquoi personne ne sait où nous allons. Et bien, il doit y avoir une bonne raison. Nous ne saurons jamais parce que c'est un mystère. Je suppose que j'en sais autant sur le sujet que les hommes les plus éduqués au monde. Parce que personne ne sait vraiment ce qui nous arrive.

Mais je suis très à l'aise. Je n'ai pas peur de mourir. Pour être honnête, m'approcher de la mort m'affecte beaucoup, mais je n'en parle pas. C'est quelque chose de très personnel. Du coup, je suis une meilleure personne. Je me demande cependant - du moins, je pense que Dieu me conserve en vie pour une raison, que je n'arrive pas à comprendre. Peut-être que je le saurai quand j'aurais 110 ans !

Mais sur le fait de mourir, je n'ai pas du tout peur. Si vous arrêtez d'y penser, c'est un phénomène naturel. Tout meurt. Que l'on en revienne ou pas, ce qui se passe là-bas, je n'en sais rien. Mais c'est ce qu'avait l'habitude de dire mon mari quand on en parlait : « Si tu vas au paradis, c'est merveilleux. Mais si tu vas juste t'endormir, où est le problème ?

Comme il fallait s'y attendre, les personnes âgées très croyantes trouvent dans leur foi bien du réconfort quand il s'agit d'envisager la fin de leur vie. Rosemary Brewster, 90 ans, se rend régulièrement à l'église depuis toujours. Quand on lui demande : "Croyez-vous en la vie après la mort?", elle réplique: "Je me suis souvent interrogée sur ce sujet. J'y pense et je me demande si cela existe vraiment. Et je vais le savoir. Je ne veux pas passer trop de temps à m'en inquiéter, puisque je vais le découvrir". Rosemary a précisé que son ressenti a beaucoup changé ces dernières années.

Mais vous savez, quand vous êtes plus jeune, vous allez vous coucher et vous pensez à la mort, et : "Oh, mon Dieu!" Ou alors, vous êtes malade: "Et si je ne me réveillais pas?" Je ne pense plus à tout ça désormais. Maintenant que je suis vieille, je suis en paix quand je vais au lit. Je suppose que si je ne me réveille pas, et bien, j'irai dans un meilleur endroit. C'est assez drôle en fait. Avant, j'étais effrayé de me coucher quand j'étais malade, mais plus maintenant. Je ne suis pourtant pas prête à mourir, mais je ne suis simplement plus effrayée de mourir. Je pense qu'il y a quelque chose de l'autre côté, et j'ai des sœurs qui m'attendent là-bas. Je n'ai plus peur du tout. Et pourtant, je n'imaginais m'en faire une raison un jour.

Je voudrais cependant chasser l'idée qu'il n'y a que les croyants qui se débarrassent de leur peur de mourir en vieillissant. J'ai retrouvé le même accommodement pragmatique à l'idée de mourir chez des personnes âgées absolument pas croyantes.

Prenez Trudy Schaffer, par exemple, que j'ai interrogée dans son appartement de New York rempli d'objets d'art et de livres. S'il devait y avoir une intello new-yorkaise, ce serait Trudy. Se connaissant très bien, douée d'analyse, et ayant une grande expérience de la vie, Trudy n'est pas du tout croyante. Elle m'a confié: "Je crois que la nature est Dieu. Ma mère et ma grand-mère venaient de familles croyantes. Mais mon père n'y croyait pas, nous n'avons donc pas grandi dans la religion".

Cependant, comme Rosemary Brewster, Trudy a évoqué ce changement concernant sa peur de la mort à mesure qu'elle vieillissait. Elle m'a expliqué que la panique à l'idée de la mort était "propre à la jeunesse".

La vie c'est la mort, et la mort, c'est la vie. Si je meurs, je meurs. Mourir était ce à quoi je pensais quand j'étais plus jeune. Je me rappelle penser: "Comment puis-je mourir? Comment ne puis-je pas être en vie?" Ce sentiment de panique. Mais aujourd'hui, cela fait des années que je n'y ai pas pensé. Je sais que ça ne saurait tarder - j'ai 87 ans. Mais je ne m'inquiète plus de ça. C'est pourquoi je veux sortir tous les soirs, tant que je peux. Je veux faire tout ce dont je suis capable. Mais je ne m'inquiète pas de mourir - à vrai dire, je n'y pense même pas.

Bien qu'ils ne semblent pas concernés par la mort, les personnes âgées ont quand même un conseil de fin de vie pour tout le monde : prévoyez votre décès. En effet, quand on les interroge sur leur opinion sur la mort et le fait de mourir, l'inquiétude qu'ils mentionnent le plus souvent est de ne pas s'être organisés et de laisser beaucoup de travail à leurs familles. J'ai appris que prévoir "le grand voyage" - comme le désignent certains experts - était considéré comme un comportement responsable et constituait une véritable source de réconfort.

L'entretien que j'ai mené avec Ted et Lucy Rowan a été l'un des plus agréables. J'ai interrogé ce couple, marié depuis 57 ans (pour reprendre les mots de Ted: "à la fille de mes rêves") dans leur confortable appartement d'une communauté de retraités. Je suis sorti de cet entretien en souriant, séduit par leur chaleur et leur sociabilité. Ils ont élevé quatre enfants ayant bien réussi, et sont investis dans la communauté où ils vivent. Tous deux ont plus de 80 ans.

Ils voient la fin de la vie comme une préparation. Lucy m'a dit :

Je pense que la mort est facile parce que notre mandataire est désigné et que notre testament a été fait. Aujourd'hui, on s'inquiète plutôt de nos biens. Vous voyez tout ce que nous avons accumulé? Regardez tous les albums de photos que j'ai : je suis sûre que mes enfants n'en voudront pas. Qu'est-ce que je vais en faire? Et Ted a des cartons de cours rangés dans un garage. Je suis quelqu'un de très organisée. J'aime vraiment ça.

Beaucoup de personnes âgées ont fait écho à ces sentiments. "Ranger" les possessions de quelqu'un est une expérience souvent ressentie comme une métaphore des choses de la vie qu'il faut régler, pour ramener les choses dans un ensemble cohérent, plutôt qu'un éventail désorganisé d'éléments individuels. Mes conversations franches et ouvertes avec les plus vieux Américains à propos de la fin de la vie n'a pas révélé une peur sous-jacente mais plutôt une curiosité, une acceptation et un désir de "se préparer pour le grand voyage". En réalité (comme je le décris dans mon livre basé sur ce projet), la conscience de la mort et du peu de temps restant provoque un désir de profiter du moment présent, de tirer avantage de ce temps de sursis.

Alors plutôt que d'écouter des jeunes gens parler de leur voyage au paradis, nous aurions plutôt intérêt à parler avec les personnes qui se rapprochent vraiment de cet ultime voyage vers... Et bien, vers quoi qu'il y ait ensuite. Je dois avouer que cela m'a aidé. Si eux ne sont pas inquiets, pourquoi le serions-nous?

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