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#AgressionNonDénoncée: quand les mots mènent au silence

Je suis rentrée en silence. J'ai retiré mes vêtements en silence et les ai mis au lavage, j'ai pris une douche en silence et je suis allée me couchée sans un mot à qui que ce soit, pas même à mon père. Silence.
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J'avais 15 ans et je revenais dans mon patelin après 2 ans d'exil dans la grande ville suite au divorce de mes parents. Je rentrais chez moi, à Baie-Comeau, dans cette ville rassurante qui m'avait vue grandir. C'était le début de mon 3e secondaire. Je cherchais à retrouver ma place parmi tous les élèves de la poly. J'avais retrouvé des amies et m'en était fait de nouvelles. La ville n'avait pas changé depuis mon départ deux ans plus tôt. Moi, oui. Je revenais forte d'avoir survécu à la ville, au taxage, aux menaces et aux batailles de filles. Je ne savais encore pas grand chose de la vie et je découvrais les garçons.

Mes nouvelles copines s'intéressaient aux hockeyeurs de l'école. Les gars étaient populaires auprès des filles. On courrait les pratiques et les tournois pour les voir. L'année se déroulait plutôt bien. Je me sentais accueillie et respectée. Surtout, j'étais contente de revenir chez moi et vivre avec mon père, cette figure rassurante et forte qui ferait tout pour me protéger. J'étais confiante.

La fin de l'année sonna et il s'organisa un party dans le hangar d'avion du père d'un gars de l'école. Les 5e voulaient fêter en grand la fin du secondaire. Et, parce qu'une copine sortait avec un hockeyeur, la gang de filles de secondaire 3 avait pu s'intégrer. Quelle chance! Quel party!

Alors que, enivrée par l'alcool, je sortis dehors avec une copine pour prendre l'air, un gars de la gang lui a dit de rentrer faire le party, il allait prendre soin de moi. J'entends encore ces mots raisonner "prendre soin de moi...". J'ai protesté. Elle est rentrée. Il m'a traînée dans un sous-bois, m'a abusée et m'a laissée là, seule et en pleurs. À ce moment, tout ce que je voulais c'était rentrer chez moi, dans ma maison, là où je serais en sécurité. J'avais mal. J'avais honte. Je pleurais ma vie. Je voulais voir mon père qui me protégerait. Assise dans la voiture qui me ramenait, j'ai eu peur et je me suis sentie seule au monde. Dans ma tête, les mots de mon père raisonnaient. Ils se voulaient pourtant rassurants : "Si jamais un gars touche à une de mes filles, il est mort!"

Arrivée devant la porte, ma copine m'a demandé si ça irait. J'ai hoché la tête. Je suis rentrée en silence. J'ai retiré mes vêtements en silence et les ai mis au lavage, j'ai pris une douche en silence et je suis allée me couchée sans un mot à qui que ce soit, pas même à mon père. Silence. Je préférais souffrir en silence plutôt que de voir mon père s'emporter contre le gars (qu'il connaissait), commettre l'irréparable et de le voir aller en prison.

Aujourd'hui, maman de deux garçons, je comprends ce que mon père voulait vraiment dire. Il a maladroitement exprimé tout ce qu'il était prêt à faire pour me protéger. Aujourd'hui, j'imagine bien qu'il l'aurait engueulé, qu'il m'aurait soutenue dans une déclaration à la police, qu'il aurait voulu rencontrer les parents de ce jeune. Sauf qu'à 15 ans, je ne comprenais pas ça. Parce que mon père avait parlé, je me suis tue. Parce que mon père voulait me protéger, j'ai été blessée.

Il aurait suffi que mon père me dise : "Si jamais un gars touche à une de mes filles, je serai là pour les protéger et les supporter." Je serais venue le réveiller cette nuit-là et j'aurais brisé le silence.

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