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Gagner sa vie

On passe le tiers de notre précieux temps à ne faire qu'une seule chose. Pour une culture occidentale qui passe son temps à courir après le temps, il me semble ironique d'en perdre, non?
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J'aime ça, gagner.

C'est même devenu un running gag dans mon cercle d'amis, parce que des fois mes tendances compétitives n'attendent pas que je me tourne les pouces sept fois avant d'agir, et sous l'influence de l'impulsivité, on fait bien des choses avant qu'elles n'aient été analysées, filtrées puis approuvées par notre cerveau. Mes cordes vocales s'emportent souvent sans supervision parentale, j'ai l'amnésie facile concernant la véritable capacité de flexibilité de mon corps quand vient le temps de créer des danses endiablées de la victoire, et le syndrome de la page blanche s'absente quand il faut inventer des mots au scrabble.

Cependant, il y a une chose que je n'ai jamais voulu gagner : ma vie.

En fait, malgré ma capacité parfois lourde de suranalyser les concepts existentiels même quand je ne suis pas sous la douche (tout le monde sait que 90 % du temps passé sous l'eau chaude est consacré aux réflexions profondes), je n'ai jamais réussi à comprendre le sens de cette expression-là : gagner sa vie. Peut-être bien parce que la signification véritable de ces mots réside plutôt dans les chiffres. Des chiffres plus faciles à comprendre qu'une déclaration d'impôts.

Les faits

Il y a 8 760 heures dans une année. Mettons qu'on a le luxe d'en dormir 8 par nuit, ça fait 5 840 heures éveillées. Classique 40 heures par semaine, moins 3 semaines de vacances : le nombre de semaines travaillées annuellement s'élève à 49.

Ainsi : 40 heures x 49 semaines = 1 960 heures travaillées par année. On passe le tiers de notre précieux temps à ne faire qu'une seule chose.

L'expression gagner sa vie signifie littéralement qu'on passe le tiers de notre vie à gagner les deux autres tiers. Suivant cette logique, c'est affirmer qu'on en perd également un, tiers de vie.

Pour une culture occidentale qui passe son temps à courir après ce maudit temps-là, il me semble ironique d'en perdre, non?

L'affaire c'est qu'une vie, ça ne se gagne pas. Ça se vit!

Malgré l'évidence de cette affirmation, je me la fais souvent reprocher.

Paraît-il que 24 ans, ce serait trop jeune pour comprendre. Il paraît que ce n'est pas réaliste de vouloir passer le tiers de sa vie à faire quelque chose qui compte vraiment pour soi, quelque chose qui vient nous chercher aux tripes, qui nous permet nous accomplir, de nous faire grandir, sourire.

Parce que, t'sais, la vraie vie d'adultes (drôle d'expression ça aussi, qui trouve sa seule véritable raison d'être dans La Matrice parce que sinon, c'est toujours vraie la vie, t'sais) comporte des contraintes et des balises bien strictes de réussite. On se fait enfoncer dans la gorge très tôt que si on ne carbure pas aux signes de piasses, notre char n'ira jamais nulle part. On se fait enseigner très tôt à vivre moins fort maintenant pour vivre pleinement dans 40 ans, grâce à nos REER accumulés.

L'argent pose des limites sur tout.

Mes intentions sont loin du manifeste anarchiste ou d'une ode à la déresponsabilisation. Il n'y a aucun argumentaire du yolo qui justifie le surendettement et la surconsommation. Mais reste que, souvent, on les construit nous-mêmes, les barbelés qui font mal aux mains quand on essaie de les traverser.

Tu n'as pas vraiment le temps de te permettre de ne pas être heureux..

Puisque, indubitablement, travailler est obligatoire, parce que la vie a un prix (mais ça, ce sera pour une autre montée de lait), ma réflexion est bien simple : pourquoi devrait-on passer le tiers de sa vie à faire des choses qui nous font chier?

La pression sociale et l'argent ne sont pas des raisons suffisamment pertinentes pour justifier les cheveux blancs prématurés, le bore-out ou les crises d'anxiété en position fœtale dans le fond d'une douche jusqu'à ce que la tank à eau chaude se vide.

Faisons donc ce que nous aimons maintenant. La vie est la seule carrière qui devrait nous intéresser. Être heureux, c'est la plus grande des ambitions.

Anyways, il n'y en a pas de «vivre-en-attendant». On passe déjà sa vie à attendre après vendredi, après l'été, après le bonheur. On passe sa vie à croire que vendredi, l'été et le bonheur, ce sera pour tantôt, pour la retraite, puis qu'en attendant on a juste à boire plus de café pour se motiver et à s'acheter plus de gogosses pour combler nos trous dans le ventre causés par le temps perdu à faire ce qu'on n'aime pas. C'est con.

Surtout qu'un mode de vie adapté à ce qui active notre switch du bonheur, ça se peut pour vrai. La beauté de notre génération, c'est que nos 9 à 5 sont souvent en décalage horaire avec celui des autres. Je suis pas mal certaine qu'on possède tous les outils pour se fabriquer notre propre moule, sans rentrer dans celui préfabriqué de la majorité.

Et être heureux, ça doit se passer maintenant, pas demain. Pour deux raisons. Premièrement : à planter notre bonheur chaque jour pour le récolter le lendemain, ça assure des demains heureux de toute façon.

Deuxièmement : étonnamment, j'ai entendu dire qu'on manquerait de temps à travers du boulot, de la famille, des amis, des accomplissements personnels, des commissions, du «faisage» d'argent, du yoga, de la course matinale, de la popote, des rendez-vous, du livre qu'on veut lire ou du film qu'on veut voir, du sommeil et du stress de dealer avec tout cela comme des supermen/superwomen.

Étonnamment, oui, nos vies sont une équation plus facile à illustrer que Pythagore : Obligations + Loisirs > 24 heures. En résumé : tu n'as pas vraiment le temps de te permettre de ne pas être heureux.

Je ne dirais pas que le bonheur ne passe que par le boulot. Sauf que. Puisque nous sommes dans l'obligation de faire des sous, mettons-nous en donc plein les poches avec un travail que nous aimons, se remplissant également le cœur par la même occasion, jusqu'à sentir la plénitude, celle qui ne laisse pas de place aux regrets, celle qui ne ne nous impatiente pas.

Oui, il faut travailler fort pour créer nos propres opportunités. Sauf que si c'est pour être heureux chaque jour, ça motive en maudit à ne pas snoozer le matin.

En plus, ça va te donner un peu moins hâte à la retraite. Et ça tombe bien, parce que 40 ans à attendre pour avoir du plaisir et être heureux, c'est long en crisse.

(P.-S. : C'est full correct pis responsable d'avoir de l'argent dans son REER).

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