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Pour ne pas disparaître, c’est-à-dire exister, participer réellement à l’histoire en marche, les peuples lyriques ont intérêt à sortir du complexe du nomade.
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Parmi les peuples qui sont atteints de manière aiguë par le syndrome du nomade, il y a le mien, les Berbères.
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Parmi les peuples qui sont atteints de manière aiguë par le syndrome du nomade, il y a le mien, les Berbères.

Les peuples lyriques sont fragiles. Irresponsables, exagérant tout le temps, ils sont dans la démesure, l'approximatif et le conjoncturel. Ils pratiquent deux arts dangereux : l'autoflagellation et l'autoglorification. Ils sont les meilleurs du monde ou les derniers. La lie de l'humanité ou son miel. Toujours dans l'excès, jamais dans l'équilibre.

Ils affectionnent aussi, sans le savoir, ce mot : le libertisme, ou l'excès de liberté, ce qui travestit l'esprit de liberté. Ils se qualifient d'insoumis, mais ils sont en réalité, d'une manière ou d'une autre, gouvernés, administrés. Ils ont des maîtres : leur langue est rabaissée, leur art folklorisé, leur mémoire minorisée.

J'appelle cela « le syndrome du nomade ». Le gitan, un nomade, peut avoir une maison, mais il préfère vivre dans sa roulotte, dans un campement, à la belle étoile. Il a un robinet chez lui, une salle de bains, mais il choisit les cours d'eau et les sources naturelles. « Pourquoi enfermer l'eau dans des tuyaux ? Elle est faite pour couler dans les rivières ! » s'écrie en substance un héros gitan dans un film. Ce qui importe, pour lui, ce n'est pas la destination, mais le chemin. Les États, les frontières, les papiers et les lois, il n'en a rien à cirer. Mais la réalité est tout autre : en Europe, les manouches et les tziganes sont pourchassés, dénoncés, haïs. On les appelle « les gens du voyage ». Ils habitent les routes. Ils aiment les défis : ils font face à la police, aux orages, au froid et à la canicule. Ils aiment aussi la danse et la musique. Forgés par la nature et ses caprices, ils font pleurer la guitare et le violon. Django Reinhardt et Paco de Lucía sont des génies, ils ont révolutionné respectivement le jazz et le flamenco...

Parmi les peuples qui sont atteints de manière aiguë par le syndrome du nomade, il y a le mien, les Berbères. Ils se qualifient d'Imaziɣen, de femmes et d'hommes libres. Ça sonne bien, c'est poétique, c'est romantique. Les faits sont, cependant, aux antipodes du fantasme. Les Berbères sont de tout temps colonisés : par les Phéniciens, les Romains, les Byzantins, les Vandales, les Arabes, les Turcs, les Français... Ils résistaient, ils perdaient souvent la guerre, ils gagnaient parfois des batailles. Leurs terres sont une passoire d'où s'écoulent sans cesse les larmes et le sang. Ils ont les pieds dans la boue, mais ils chantent, les poings fermés, ou les doigts en V, « Nekni d Imaziɣen ! (Nous sommes des hommes libres !) ». Ils ont le don de célébrer la victoire même dans la défaite. Ils honorent les morts plus que les vivants. Ils regardent toujours en arrière, jamais devant. Ils tirent à gauche et à droite, rarement vers le haut. Nostalgiques des époques où régnaient leurs princesses et leurs rois en Afrique du Nord, ils se réfugient dans un passé lointain, un monde enchanté, les légendes, parmi les ogres et les vaches des orphelins, dans les fables et les contes de fées.

Pour ne pas disparaître, c'est-à-dire exister, participer réellement à l'histoire en marche, les peuples lyriques ont intérêt à sortir du complexe du nomade.

Pour ne pas disparaître, c'est-à-dire exister, participer réellement à l'histoire en marche, les peuples lyriques ont intérêt à sortir du complexe du nomade. Ne doivent-ils pas, pour ce faire, être dans la mesure, jauger à sa juste valeur leur « liberté » ou leur « soumission », penser avec la tête et non avec les émotions, quitter l'âge romantique, l'exaltation de l'adolescence, pour entrer, une fois pour toutes, dans l'âge adulte ?

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