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Je suis féministe, un féministe classique, et je n’aime pas le néo-féminisme.
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leszekglasner via Getty Images

Le puritanisme a son empire. Ses racines sont britanniques, elles viennent du XVI siècle. Ses branches se sont ramifiées, quelques décennies plus tard, en Nouvelle-Angleterre. Ses graines, emportées par des vents contraires, tombent sur le Nord et le Sud. Le territoire de la liberté est grignoté par des oiseaux moralisateurs. Il pleut de la censure à tous les coins du monde.

Ceux qui possèdent l'économie détiennent le langage. Ceux qui détiennent les projecteurs imposent la communication. Quant aux autres, les rameurs, le monde ancien, les peuples ridés et les cultures d'hier, suivent. Bande de moutons et de vaches égarés ! En avant, l'Amérique ! L'Europe, qui vieillit mal, copie le Nouveau Monde. Caravanes de pantins. Danse de coqs déplumés. Le rapace passe et les chats miaulent.

Weinstein est coupable ! accusent des stars de Hollywood. Tant mieux. Crevons l'abcès. Faisons comme elles. Crions ! Plus jamais ça ! Dénonçons les violeurs ! Fouillons dans nos tiroirs et vidons nos tripes. Laissons la Justice faire seule son boulot. Les émotions sont souvent des arbitres tendancieux.

Une toile d'un musée de New York a choqué une internaute. Soyons solidaires avec elle, la pauvre. Accusons Balthus ! Coupable même s'il est mort. Oui, il n'aurait pas dû peindre sa Thérèse rêvant. Un peu comme ce salaud de Nabokov : il nous a eus, celui-là, avec sa Lolita et ses scènes de pédophilie.

Et Bizet, en offrant Carmen au poignard de Don José devant les Arènes de Séville, n'était-il pas un compositeur sexiste ? Heureusement, il y a le brave Leo Muscato, ce metteur en scène italien, répondant aux vœux du directeur du théâtre de Florence, qui a osé modifier la fin de l'opéra. Applaudissons ce révolutionnaire sans culotte ! Faisons de lui un héros de notre époque visqueuse ! Portons-le sur nos épaules ! À califourchon ! Don José râle. Carmen rit. L'amant meurt. La sulfureuse bohémienne danse. Le couteau est plein de sang. Les violons se taisent. J'imagine Mérimée sursautant de colère dans sa tombe. L'artistiquement correct a profané son œuvre.

Coups de gueule. Coups de poing. Sur le ring idéologique se répandent des dents.

Je suffoque. L'oxygène de la liberté manque. Donnez-moi un masque. Un nouvel opium du peuple est arrivé. De nouveaux clercs nous encerclent. On trahit à tout-va. Manifeste des 343 salopes, c'était hier, c'était fort, c'était historique, plus pareil aujourd'hui. La meule tourne, les convictions se durcissent. Coups de gueule. Coups de poing. Sur le ring idéologique se répandent des dents. Je suis féministe, un féministe classique, et je n'aime pas le néo-féminisme. Ce faux féminisme, revanchard, conçu dans les manufactures d'un consumérisme compulsif. Ce féminisme importé, travesti, aigre et aigri par tant de ressentiments. Ce féminisme qui ment, qui abuse, qui méprise l'égalité des droits... Ce féminisme qui féminise l'homme, qui masculinise la femme. Ce féminisme qui communautarise, qui attise la guerre des sexes...

Au secours, Colette ! Les jeux sont finis. La séduction, punie. Rouvrons des temples. On redevient sérieux et insipides. Curés ou légumes, imams ou rabbins, peu importe. Rigides, gâteux et galeux. Interdit de désirer. Interdit de ne pas interdire. L'empire puritain n'aime rien. Ni galanterie. Ni drague. Ni art. Ni braise. Ni provocation. Ni secousse. On inverse les rôles. Celui qui hurle le plus a raison. Les autres, les taiseux, sont dépassés. On ne rit plus. On se crispe. On marche sur des œufs. Foin de rabelaiseries ! De l'ordre ici, de la morale là. On ne fume plus au cinéma. On réduit la vitesse. On défend l'écriture inclusive. On s'en fout du rythme de la langue. Des points, des tirets, des coupures, des mots inventés... écorchant les oreilles. On arrête de lire des romans subversifs. Même les contes sont suspects. On gomme les scènes érotiques. Partons à la chasse aux baisers. Celui du prince de La Belle au bois dormant est choquant. Honte à lui. Honte à nous. Pourquoi a-t-il embrassé la fille sans avoir obtenu au préalable son consentement ? Avant de faire l'amour, sortez un papier et un sceau. Officialisez l'acte sexuel. Les notaires doivent travailler. Signez une déclaration sur l'honneur. Madame, Monsieur, signez ! Laissez vos empreintes sur le drap. Laissez-y votre âme et votre peau. C'est l'empire puritain qui l'exigera. Il est déjà partout. Dans toutes les religions. Toutes les académies. Toutes les langues. Le progrès régresse. Les valeurs se talibanisent. Le monde est devenu mou...

Avril 2018

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