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Oléoduc d'Enbridge: La pieuvre étend ses tentacules sur le Québec

Une gigantesque partie d'échecs pétrolière s'est ouverte sur l'ensemble de l'Amérique du Nord. L'industrie pétrolière étend ses tentacules sur l'ensemble du continent à travers un réseau d'oléoducs projetés qui visent à acheminer le pétrole des sables bitumineux vers les régions côtières et le marché mondial. Au centre de la pieuvre, Fort McMurray. Aux extrémités, les raffineries du Texas, la côte de la Colombie britannique, et maintenant... Montréal et le Québec, et éventuellement le golfe du Maine.
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AP/CP

Une gigantesque partie d'échecs pétrolière s'est ouverte sur l'ensemble de l'Amérique du Nord. L'industrie pétrolière étend ses tentacules sur l'ensemble du continent à travers un réseau d'oléoducs projetés qui visent à acheminer le pétrole des sables bitumineux vers les régions côtières et le marché mondial. Au centre de la pieuvre, Fort McMurray. Aux extrémités, les raffineries du Texas, la côte de la Colombie britannique, et maintenant... Montréal et le Québec, et éventuellement le golfe du Maine.

La compagnie Enbridge, celle-là même derrière le projet d'Oléoduc Northern Gateway qui vise à acheminer le pétrole d'Alberta vers le Pacifique et la Chine, projette d'inverser le flux d'un oléoduc entre Sarnia et Montréal. La compagnie affirme vouloir acheminer du pétrole léger, mais n'exclut pas d'utiliser l'infrastructure pour transporter du pétrole bitumineux lourd, plus corrosif et dangereux. À terme, personne ne se berce d'illusions : l'inversion de cet oléoduc, appelé Ligne 9, est un autre tentacule qui mène de Fort McMurray à la mer.

Les sables bitumineux suffoquent

Les sables bitumineux de l'Alberta ont un talon d'Achille: ils sont enclavés et n'ont aucun accès à la mer. Selon l'Office National de l'Énergie, les investissements réalisés dans les sables bitumineux auront fait tripler la production de 1 à 3 millions de barils par jour entre 2005 et 2015. L'Agence internationale de l'Énergie prévoit que dès 2016 la production de pétrole dans les sables bitumineux dépassera la capacité d'exportation. Une telle situation tarirait les flots d'investissement dans les sables bitumineux et ralentirait leur croissance.

Mais il y a plus encore. Dans son livre, The End of Growth, l'ancien économiste en chef de la Banque CIBC, Jeff Rubin, explique que le pétrole des sables bitumineux se vend actuellement à un prix inférieur à celui du marché mondial puisque sa seule porte de sortie est la ville de Cushing en Oklahoma. Les raffineries de pétrole de l'Oklahoma profitent de cette situation unique pour se procurer le pétrole des sables bitumineux à 20$ de moins que le prix du baril de pétrole sur les marchés mondiaux. Cette situation prive l'industrie des sables bitumineux de 40 millions de dollars de revenus chaque jour, ou de 1,25 milliards de dollars chaque mois.

On comprend donc l'empressement de l'industrie d'ouvrir des routes d'exportation vers les marchés mondiaux. D'où les projets d'oléoducs Keystone XL, Northern Gateway, Ligne 9, Transmountain, Gazoduc Transcanada et autres. (Voir la carte produite par La Presse). Ces projets ne font pas qu'augmenter la capacité d'exportation des pétrolières et d'éviter la suffocation en 2016, elle leur permet également d'augmenter leurs marges de profit en obtenant un prix supérieur. La pieuvre ne peut grossir et s'enrichir sans de plus grands tentacules.

Un tentacule sur Ottawa

Mais voilà où le bat blesse : ces projets d'oléoducs traversent des aires protégées, des rivières, des forêts, des territoires autochtones, des zones urbaines, des sources d'eau potable, et débouchent sur des zones côtières fragiles. Pour se réaliser, ils doivent lever toute une série d'embuches réglementaires qui risquent de retarder leur réalisation bien au-delà de 2016, date butoir pour éviter la suffocation de l'industrie.

C'est pourquoi l'industrie a étendu un autre tentacule sur Ottawa pour faire démanteler toute une série de réglementations environnementales gênantes. Plus de 1100 rencontres entre des lobbyistes de l'industrie et le gouvernement Harper ont eu lieu entre 2008 et 2010. Les chiffres depuis ce temps sont inconnus. Suite à ces pressions, le gouvernement fédéral a démantelé ou affaibli, dans son projet de loi omnibus C-38, toutes les réglementations environnementales qui gênaient encore la réalisation des projets d'oléoducs. Le but : accélérer l'approbation des projets en diminuant les exigences réglementaires et en édulcorant les évaluations environnementales. Le projet de loi C-45 adopté récemment, va dans le même sens.

Les projets se heurtent aussi de plus en plus à l'opposition des citoyens, des communautés autochtones et des gouvernements locaux qui y voient avec raison des risques pour la santé humaine et l'environnement. Encore une fois, C-38 est venu à la rescousse de l'industrie pour restreindre les occasions pour les citoyens et les organisations de faire entendre leur voix. Le gouvernement fédéral a aussi amorcé un travail d'intimidation des groupes écologistes en laissant planer la menace d'enquêtes sur les activités politiques des organismes de bienfaisance qui ont pour mission de protéger l'environnement. À la clé une campagne de relations publiques pour promouvoir l'industrie à grand renfort de publicités payées par le gouvernement et l'industrie, et des déclarations d'élus fédéraux visant à discréditer les opposants au développement pétrolier.

La pieuvre tient fermement Ottawa dans sa tentacule et travaille maintenant à mettre l'Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique sous ses ventouses. Voilà pourquoi le l'inversion de la ligne 9 est bien plus significatif que ce qu'Enbridge voudrait laisser croire. D'abord, les intentions de la compagnie sont claires : elle envisage bien d'exporter du pétrole lourd en provenance des sables bitumineux vers le golfe du Maine. Ensuite, la croissance des sables bitumineux, qui représentent aujourd'hui 6,5 % des émissions de gaz à effet de serre canadiennes, dépend de l'ouverture d'une route vers l'Atlantique ou le Pacifique.

Le Québec est l'une des dernières cases sur l'échiquier nord-américain où l'industrie des sables bitumineux n'a pas encore réussi à avancer ses pions. Après avoir vu la pieuvre étendre son emprise sur nos institutions démocratiques, les Québécois peuvent encore l'arrêter à la porte de leur territoire. En étouffant momentanément le développement des sables bitumineux, le Québec offrirait une bouffée d'air au Canada et au monde dans la lutte aux changements climatiques.

L'urgence n'est pas de désenclaver les sables bitumineux pour augmenter les profits d'Enbridge. La seule véritable urgence est de rétablir une véritable discussion démocratique dans ce pays sur l'avenir du climat mondial et de nos enfants.

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