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Réfugié, rêvant sans cesse d'atteindre les frontières, je m'habitue très mal à ma vie hypothéquée par la guerre en Syrie.
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Réfugié, le teint cuivré par les attentes et les relents échaudés de l'asphalte, ma dernière option est de brûler par la mer. Gibraltar est mon délire - l'Espagne, l'Italie ou la France, et pourquoi pas les Amériques, qu'importe! De là ou j'en suis, loin de mon village en Afrique, il n'est plus question pour moi de résister aux sirènes de l'occident, et l'Afrique du nord est un tremplin nécessaire. Souvent, je stationne là-bas, avec les réfugiés de ces pays et bien d'autres, compagnons de misères, rodés à la négoce avec les passeurs, exposé aux dangers multiples des forêts broussailleuses. Je guette à longueur de journée la chape de quelque camion voyageur ou d'un bateau en voie de partance, puis je rêve! Je rêve de parterres fleuris et d'emplois à en revendre. La guerre dans mon pays n'a épargné ni hommes ni cheptel, et cela fait des lustres que les politiciens prévoient la liquidation définitive de la misère dans nos contrées, mais l'attente est rendue bien longue. Dans mon coin de terre, des millions d'autres me ressemblent, et je fais partie de ceux qui ne se lasseront pas de traquer la délivrance comme le corbeau traque le grain et l'ivraie sur le ciel et la terre.

Réfugié, rêvant sans cesse d'atteindre les frontières, je m'habitue très mal à ma vie hypothéquée par la guerre en Syrie. Je plains sans répit les réfugiés de l'Irak aussi, amputés préliminaires du désespoir.

J'essaie souvent de tenter ma chance vers ces pays où le printemps arabe a germé, mais c'est très difficile et ça prend souvent un passeur et beaucoup d'argent. Je ne m'éterniserais jamais assez sur ces vautours, venus d'ailleurs, munis d'étendards sombres et de tuniques noires et qui imposent maintenant leurs lois à tous au nom d'un paradis promis. Ils n'épargnent ni musulmans ni chrétiens. Dans leur tête, la potion du paradis promis est bien plus puissante que l'uranium dans une bombe atomique.

Souvent, j'attends et je pleure, et je passe mon temps à espérer qu'un pays limitrophe accepte enfin d'accueillir une nouvelle frange de refugiés dont je ferais partie. Je ne crois plus à la petite politique qui a hypothéqué mon identité. Je ne crois plus à ces promesses illusoires d'aide venant des pays étrangers. Lorsque je pleure, mes larmes vont à mes frères humains, ils vont aussi pour la Palestine occupée, pour Gaza et bien d'autres villes réduites à des prisons fermées, ensauvagées à la lisière de l'irrationnel. Je passe mon temps à espérer que les milliers d'obstacles qui se dressent devant moi puissent fendre un jour pour que je puisse, comme tous les jeunes du monde, réaliser mes rêves de liberté et d'épanouissement, accéder à l'amour, à la vie.

Réfugié dans les camps de la mort à Burma, castré par l'odeur du plomb, je passe mon temps à prier et à espérer que mon tour ne viendra pas. Souvent, en vaquant à mes occupations de survie, il m'arrive de voir dans le ciel un objet volant, en miniature, qui sillonne les innombrables forêts de mon pays. J'ai récemment réalisé qu'ils appellent cela un drone: une espèce de caméra volante -que sais-je?- qui transmet au monde des photos sur le massacre des musulmans, jetés dans des fosses communes. Je ne sais plus ou aller. Je suis réfugié contre la bêtise humaine, estropié de tant de désespoir, tant de haine mandatée par des militaires hagards et des hommes chauves vêtus en orange, et qui m'a réduit en réfugié anonyme. Le monde civilisé regarde ces massacres et préfère passer à autre chose.

Refugié dans un taudis poussiéreux, je me case dans un coin anonyme avec mon épouse et mes enfants, par-delà les steppes de Kaboul où la cadence du temps compose souvent avec le Caruso des grillons. Ceux qui parfois accostent chez moi à l'improviste ont presque tous les même les traits, une barbe hirsute et des yeux de loups affamés. Ils vérifient d'abord si je porte une barbe et si la burqa de ma femme est bien mise à jour. Leur délire, c'est le paradis d'Allah, ultime vérité sur terre.

Ici, il arrive souvent qu'on nous kidnappe, qu'on nous chasse ou qu'on nous tue si on s'évertue à penser différemment. Le bâillon à coups de censure et de violence n'est pas chose étrange dans les pays de la région. Lorsque je tente une passe arrangée vers les frontières, en prenant soin de cacher toute ma famille, je suis souvent pris au piège et refoulé. Il y a des nuits où j'espère ne plus me réveiller tant j'attends que la bouche béante de la mort s'ouvre pour me projeter vers une terre plus clémente, plus paisible.

Refugié aux girons des magnats de l'industrie mondiale, j'abdique à une dictature non choisie. Je travaille l'équivalent de 12 heures par jour dans une usine qui pue l'urine des rats. Je produis pour l'autre, sans relâche, juste en échange de quelques dollars minables pour nourrir ma famille. L'eldorado promis n'est plus pour moi qu'un enfer pavé de mauvaises intentions.

Refugié, je ne savoure ma liberté que vers minuit. Parfois, de mauvais rêves viennent empuantir mon souffle. Je n'y peux rien et je ne peux pas reculer, sinon c'est la rue. Tant d'autres comme moi pâtissent dans d'autres boulots, pire que les usines et plus aliénants pour la dignité humaine. Je n'ai pas à les plaindre, je suis comme eux. Pour les autres, je ne suis que l'immigrant qu'on sélectionne, qu'on surveille, qu'on évalue, qu'on quotationne, qu'on modélise, qu'on maindoeuvrise, qu'on francise, qu'on anglicise, qu'on laïcise, qu'on civilise, qu'on ethnicise, qu'on contrôle, qu'on réforme. Je suis porteur de douleurs dont ils font leur fonds de commerce en plein lumière du jour.

Réfugié dans l'amertume des injustices, réfugié dans l'horreur de la pauvreté, réfugié dans l'écœurement de la félonie des traîtres envers la patrie, de tous ceux qui se sont vendus au camp ennemi sans foi ni loi, je suis impuissant à filtrer mes repères contre le pouvoir de l'argent, de l'intérêt, et du vol organisé, impuissant à filtrer un discours de paix au milieu des fanatismes.

Lorsqu'on me somme de me relever, on me fournit des exemples fantoches et on innocente les responsables de ma propre déchéance. Lorsqu'on me somme de poser des gestes et d'investir quelque part, on oublie que j'ai été dépouillé de tous mes biens, y compris de mon patrimoine. Lorsqu'on me somme d'oublier et de garder espoir en l'avenir, je me demande de quel avenir on me parle, celui des pétrodollars qui légitiment le nouvel ordre mondial et ses paradis financiers, ou celui des écoles et des parcs verdoyants qui redonneront l'espoir aux nouvelles générations?

Je suis ce réfugié dont on oublie souvent le nom. Réfugié dans la vie, sur la terre, suspendu entre ciel et mer. Je ne suis pas encore mort, et à trop me voir marcher, ils s'y habitueront.

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