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Au Québec, Maghrébin, tu ne chômeras point!

Tu as de la difficulté à assimiler le chiffre hallucinant du chômage des Maghrébins frôlant les 30% et qui n'interpelle pas vraiment l'arène politique au Québec.
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Tu te projettes vers ce rêve irrésistible, et tu investis moyens et énergies pour y parvenir. Au bout de quelques années, la félicité est là! Tu t'installes au Québec avec ta petite famille, apaisé et confiant. D'abord, tu observes autour de toi, et tu t'approvisionnes de tous les astuces et conseils pour réussir ton intégration. Montréal t'ouvre ses portes et tu vois les mannes défiler devant tes yeux. Tu admires gratte-ciel et espaces, et tu jubiles tout le temps sur ton balcon.

Au bout de quelques semaines, tu t'aperçois que tes ressources s'épuisent. Les portes étant encore fermées à tes idéaux, tu te résignes vers le CLE. L'agent de l'emploi, suspicieux un brin, décide finalement de t'accorder le chèque de survie de la fin du mois. Instantanément, tu réalises que le capitalisme est impitoyable envers les faibles, et que l'argent a plus de contenance que l'être humain. Sans sourciller, tu te mets à la loi des planifications longtemps convoitées dans tes papiers, puis à toi les rues, à toi les centres d'emploi, à toi les consultations interminables. La logique te courbe l'échine, elle veut bien que tu passes par là.

Ton cartable est toujours muni des dossiers de ton cursus: diplômes, attestations d'emploi comme ingénieur en informatique, équivalences, attestations de reconnaissances d'expertises. On ne sait jamais quand le destin sévira! La chape de plomb ne tarde pas à émoustiller ta motivation, c'est une cuirasse!

De bureau en bureau, d'entretien en entretien, tu ne désespères pas! Les mêmes mots reviennent, «l'expérience canadienne», «la surqualification», «l'accent», «le niveau d'anglais»... Tu ne t'arrêtes pas aux codes indéchiffrables mais tu sondes aussi les comportements: certains sont raides, d'autres acariâtres, et d'autres bien hypocrites.

Tu ne lâches pas et tu tapes à d'autres portes, tu crois au Québec, tu aimes le Québec et tu es décidé à suivre et respecter les lois du Québec. Ton agent d'emploi finit par préconiser pour toi une mise à jour pour tes études et, comme c'est un monsieur bienveillant, qui a déjà vécu en Afrique du Nord, il te balance sans scrupules: «Tes recherches maintenant, c'est comme si tu verses de l'eau sur le sable, hélas, il faut te recycler à l'université, retrousse tes manches!»

Sonné, tu te résignes!

Tu entreprends les mesures nécessaires pour tes prochaines inscriptions comme «futur ingénieur»! Au fond de toi, le combat est virulent, tu arrives à te persuader que deux années de mise à jour ne te feront pas de mal et appuieront tes futures démarches!

De l'autre bord, on jubile de te voir signer des formulaires, payer des frais, t'endetter afin de faire reluire ton avenir! Quoi de plus crédible? Et là où tu l'attendais le moins, tu embarques à l'université, combattant infrangible pour les destins anonymes!

Tu t'impliques dans tes cours, usant tes fesses sur les bancs des amphis et des campus. Tu es content de toi, et tu te fais quelques amis. Ton identité est en mouvance et le sourire des autres te donne confiance! Malgré les attentats du 11 septembre et le calvaire des Arabo-musulmans en Amérique du Nord, tu ne crois qu'aux vertus de l'effort et tu fonces! Ce n'est pas évident avec quelques tête-a-claques disséminées un peu partout, mais tu fermes les yeux. Tu ne te soucies pas vraiment de ceux qui sont fanatisés par l'extrême droite, allergiques à la diversité culturelle, adeptes à la tendance unique même dans les recettes culinaires. Tu ne crois qu'à tes objectifs, tu travailles dans un restaurant et tu étudies, tu as le soutien de ta femme et de quelques amis par-ci, par-là. Il t'arrive de somnoler parfois sur un nuage dans un campus et, lorsque tu te réveilles, tu réalises que tu n'es pas encore directeur de succursale, que tu n'es pas encore actionnaire au centre Bell, ni propriétaire d'un condominium sur le mont Royal. Tu réalises que tu n'es qu'un étudiant avec le BS, somme toute, mais un rêveur tout de même! Un irréductible dans le décor, mais de bonne foi.

Finalement, et après beaucoup de sacrifices, ton diplôme est en poche. Tu es aux anges.

Illico, tu déclenches à nouveau la recherche de l'emploi, tu sillonnes à nouveau les centres, tu troques le semi-marathon pour le marathon, dépassant les limites de Montréal.

Lors de ton périple, les mêmes arguments défilent: «tu manques d'expérience canadienne», «tu es surqualifié pour la job», ou des répliques comme «ton nom-là, c'est Abelbak...», et là, tu n'as pas le choix de rectifier à chaque fois «Abdelkrim, Monsieur, Abdelkrim!»

Oui, c'est tannant, mais c'est culturel. Maintenant, le dépanneur te connaît à force de n'acheter chez lui que Le Journal de Montréal et La Presse. Tu le fais souvent pour consulter les sacro-saintes annonces. Tu passes le plus clair de ton temps avec des sites reconnus de la quête des délivrances, mais rien, walou, nada!

La dernière fois que tu as compté le nombre de CV que tu as envoyés, et rafistolés à l'occasion, tu en as comptabilisé 193. Il en est résulté trois entrevues, dont une proposition de travail dans une usine comme commis de livraison. Lors de la troisième entrevue, tu n'as su où donner de la tête lorsque l'employeur a clôturé l'entrevue par la question qui tue:

- Que penses-tu des femmes, ta relation avec elles, les considères-tu comme ton égal? Excuse, parce que pour vous les Arabes... tu comprends? Ici, la femme peut être ton boss, tu le sais bien?

Tu as répondu calmement que tu considères la femme comme complémentaire à l'homme, d'égal à égal, mais l'employeur a eu une moue méprisante, puis a promis de communiquer à nouveau, ce qu'il n'a jamais fait. Tu es resté poli, mais profondément pensif.

En parlant à ton voisin québécois de ta situation, celui-ci te dit qu'il est passé aussi par là et qu'il a fini par trouver très vite une job. Ton autre voisin québécois te raconte qu'il n'a jamais trouvé de problèmes avec le boulot, ça se trouve partout. Celui-là, il n'est pas allé par quatre chemins: «Ingénieur? Mais qu'est-ce que tu fais par ici?»

Malgré tout, tu ne désespères pas.

À jour sur la politique et les mesures prises par les partis politiques, tu attends souvent que ton agent t'appelle pour te parler d'un programme d'intégration ou d'un autre, mais rien! Tu as de la difficulté à assimiler le chiffre hallucinant du chômage des Maghrébins frôlant les 30% et qui n'interpelle pas vraiment l'arène politique au Québec! Cela t'enrage à un plus haut point! Tu réponds à certaines invitations associatives ou des députés et ministres défilent, se goinfrant de tant de délices maghrébines, et gratifiant le monde du dynamisme de la communauté maghrébine au Québec. Tu t'étonnes de tant d'hypocrisie sociale.

Tu ne comprends pas ce qui se passe dans ta communauté, ni dans la communauté qui t'accueille. D'aucuns parlent de funambulisme idéologique, d'autres de mercantilisme politique. Tout est flou dans ta tête. Tu n'as plus aucun intérêt pour tes propres loisirs. Même si ta femme travaille enfin dans une garderie à temps partiel. Heureusement, le gouvernement continue de t'envoyer mensuellement ce maudit chèque «bien balancé» afin de ne pas mourir de chagrin.

Tu réfutes les cafés où s'entassent les écœurés du système, tu envoies paître les pessimistes et les négatifs, surtout de ceux qui parlent de «l'Eldorado en papier». Tu ne fréquentes plus les forums de l'emploi et tu évites comme la peste les milieux snobs. De là où ton énergie fulmine, tu es arrivé à quelques trois cents envois de CV. Tu ne cesses de demander à ton agent si tu as des failles dans tes démarches, mais il te garantit que tu t'en sors bien. La toute dernière fois, celui-ci essayant de te convaincre de prendre un emploi comme plongeur dans un restaurant, tu n'as pas hésité à lui flanquer au nez que tu ne descendrais que de deux marches et non de sept!

Témoin du tout dernier évènement identitaire au Québec, à savoir la charte des valeurs, tu es resté en faveur de la crédibilité de ce projet, mais tu as compris et appuyé d'autre part le fait qu'on ne puisse rejeter ceux qui ne peuvent se passer de leurs signes religieux. Tu n'as jamais compris les aboutissants des bastonnades qui ont déferlé sur toi lorsque tu exprimais sainement ton opinion. Au fil du temps, tu enrages encore en écoutant certains titres sensationnalistes des médias. Parfois, rien qu'en ouvrant la télé, les idiots utiles te sautent à la gorge et la serrent, la serrent jusqu'à étouffement, et même après avoir préconisé de ne plus ouvrir la télé, l'islamophobie te happe. Tu es dépassé par le degré des analyses mesquines et des accusations gratuites. La peur des gens est là, imminente, déconcertante et monochrome. Beaucoup ne comprennent pas que l'islam est utilisé comme un bouc émissaire, et tu maudis tous ceux qui hypothèquent ta religion pour de la crasse subventionnée. Une fois, tu t'es arrêté devant une manifestation anti-islam en plein rue Jean-Talon ou des hommes cagoulés, brandissant les banderoles d'un mouvement du nom de « PEGIDA» s'apprêtaient à défiler sur cette rue. Leur regard hargneux était un boulet de haine sans appel. Ce jour-là, tu n'avais même pas dîné avec ta petite famille. Tu as été définitivement conscient que les Maghrébins du Québec et le reste des Arabo-musulmans sont désormais dans le collimateur.

Tu te réveilles un beau matin du printemps, seul dans ton appartement. Tes enfants sont à l'école et ta femme dans la garderie. Tu réalises que tu as passé quatre années et demie à user tes savates sur les chaussées de Montréal et des alentours pour trouver preneur à tes qualifications, mais toujours rien.

Changer de nom? Hors de question! Changer de religion? Pas de quoi s'éclater les veines! Nettoyer le plancher des employeurs dès leur sortie du bureau? Pas question tant que certains sadiques définissent autrement la dignité!

Les titres de la presse n'ont pas changé, les politiciens se succèdent et la même cécité pompe l'air. Tu lèves les yeux vers le ciel si vaste et si bleu que tu penses sérieusement à changer d'horizons, mais cela te prend des ressources suffisantes, ce que tu n'as pas présentement. Tu ne désespères pas et tu suspends ton destin pour le moment.

Entre l'agent d'immigration qui t'a promis les trésors de Judée au Québec, et ton ami maghrébin, ce médecin qui refait ses études de médecine, tu te retrouves tout d'un coup à sourire à cette teinte d'humour propre à ce dernier, et dont il t'a toujours gratifié entre deux cafés chez Tim Hortons: «Au Québec, Maghrébin, tu ne chômeras point!»

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