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Maroc, les failles d'un système

Les Marocains continuent de protester et de manifester à Rabat, à Casablanca et dans d'autres villes du Royaume, en réaction à la grâce royale qui a permis de remettre en liberté un pédophile espagnol, multirécidiviste condamné à 30 ans de prison. Ni l'annulation de la grâce, ni la réception des familles de victimes par le roi ne calment la colère de la population.
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Les Marocains continuent de protester et de manifester à Rabat, à Casablanca et dans d'autres villes du Royaume, en réaction à la grâce royale qui a permis de remettre en liberté un pédophile espagnol, multirécidiviste condamné à 30 ans de prison. Ni l'annulation de la grâce, ni la réception des familles de victimes par le roi ne calment la colère de la population.

Mohammed VI a vécu la semaine la plus difficile de son règne. C'est une monumentale erreur qui a été commise au nom du Souverain. L'indignation de l'opinion publique ne retombe pas. Le scandale judiciaire se transforme en épreuve politique. Le contrat symbolique et moral qui lie le roi et le peuple est momentanément suspendu. Mohammed VI et son entourage l'ont compris, mais la réaction est jugée insuffisante, le compte n'y est pas, il manque la justice.

Le makhzen à l'épreuve

Ce que l'on appelle à présent le "danielgate" est devenu une affaire d'État. Trop sensible pour être seulement réprimée, trop importante pour attendre un hypothétique essoufflement. Le Palais a mis plusieurs jours à mesurer l'ampleur du malaise et cherche probablement une issue à cette crise, une sortie par le haut. Il est probable qu'à l'occasion de la fête de l'Aïd el Fitr, le Roi, dans une adresse à la Nation, annonce des mesures concrètes et précises pour lutter contre le fléau de la pédophilie. Ce serait un pas dans la bonne direction, pourtant il serait illusoire de penser que tout s'arrêterait là. Ce qui vient de se produire au Maroc révèle un malaise profond et une revendication "de justice et de dignité", slogan scandé dans les manifestations depuis la révélation de cette affaire. Les habituelles ficelles de la communication politique ne suffiront pas à répondre à cette demande, il faudra faire plus si la monarchie veut éviter un affrontement direct avec le peuple. La réforme de la justice est un chantier aussi important que celui du développement économique.

L'exercice est d'autant plus délicat que personne n'a rien vu venir, et que le roi lui-même a confessé "avoir été mal informé", ce qui nécessite à tout le moins un gros travail d'introspection. C'est incontestablement une épreuve pour le roi, qui doit désormais donner des gages et avancer des propositions pour éviter d'être pris de court ou donner le sentiment qu'il réagit plutôt que de prendre des initiatives.

Le billet se poursuit après la galerie

Les Marocains manifestent contre la grâce royale du pédophile espagnol

Conséquences politiques

Il est encore trop tôt pour mesurer l'étendue des conséquences politiques de ce séisme, et il y aura probablement d'autres victimes; le gouvernement, dirigé par les islamistes, n'a pas eu un mot, ni pour manifester sa solidarité avec les victimes, ni même pour admettre les limites de son autorité politique. Il n'en sort pas indemne. Le ministre de la Justice Mustapha Ramid, issu des rangs du parti de la Justice et du développement (PJD), s'est contenté d'un lapidaire je ne suis pas "habilité à commenter une décision de deux souverains". Un aveu, une faute, au moment où les négociations pour la composition d'une nouvelle majorité, après le retrait il y a quelques semaines de l'Istiqlal du gouvernement, sont toujours en cours.

Au-delà du gouvernement aucun responsable politique n'a formulé la moindre critique, même mesurée, même a minima.

L'image de la monarchie s'est ternie. Pour la première fois, elle a dû admettre qu'elle avait commis une erreur. Le roi devient un chef d'État comme les autres, et cela a un prix politique. Pourra-t-il retrouver l'éclat de son début de règne?

Deux ans après les grandes mobilisations, encadrées par le mouvement du 20 février, qu'a connues le Royaume dans le sillage des bouleversements qu'a vécus le monde arabe, le Maroc est-il en train de relancer le débat, que l'on croyait clos, après l'adoption de la réforme constitutionnelle adoptée par une très large majorité de l'électorat?

Questions délicates et dérangeantes, car elles révèlent le télescopage entre la société et la monarchie, l'irruption de citoyens dans le champ public qui veulent peser sur les acteurs politiques.

Quoi qu'il en soit il faudra bien faire la lumière sur ce qui s'est produit, et déterminer les responsabilités sur les circonstances qui ont conduit à décider de faire bénéficier de la grâce royale un multirécidiviste. Même à dose homéopathique, la transparence est toujours salutaire.

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