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Vous trouvez ça normal, vous, messieurs Coderre et Couillard?

Moi, j'ai honte. Honte de nous, honte de vous, honte de penser que ces images de ma ville et de ma province font le tour de la planète. Le soir, avant de vous endormir, est-ce que vous y pensez? Avez-vous honte de ce qui se passe?
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Messieurs,

Je me présente, je m'appelle Julien Brunet. Dans quelques jours, j'aurai 45 ans. Je suis père de deux grands enfants en santé et je suis amoureux d'une femme extraordinaire qui m'accompagne depuis 20 ans. Je suis comblé. Je suis associé dans une agence de publicité, j'ai des actions dans deux autres commerces de la rue Saint-Laurent, et mon REER va très bien. Je suis plus que comblé. Ma femme et moi sommes propriétaires d'un immeuble à revenus dans Villeray et d'une maison dans Cartierville. Vous conviendrez avec moi que je n'ai rien d'un fouteur de trouble.

Je paie beaucoup de taxes et beaucoup d'impôts, Messieurs... Beaucoup. Mais, heureusement, je suis un social-démocrate et je paie donc ma part sans rechigner. En plus, vous m'avez promis tous les deux de bien dépenser les sous que je vous retourne, alors je vous fais confiance. Vous voyez, nous sommes faits pour nous entendre, non ?

Le soir, après le souper, les devoirs, le jogging - OK. D'accord parfois, quand il fait froid, je n'y vais pas -, je regarde les nouvelles. Et vous ? Avez-vous le temps de regarder les nouvelles ? De ce temps-là, tous les jours, on y voit des jeunes manifester dans la rue. C'est normal, des jeunes, ça manifeste. Les prêts et bourses, les frais de scolarité, les hydrocarbures, etc. Dans mon temps, c'était le maintien de la loi 101, avant ça, il y avait autre chose. Il existe toujours une bonne raison de manifester. Aujourd'hui, c'est l'austérité ; vous savez, moi, l'austérité, bof ! C'est de la grosse comptabilité, et là, je me joins au 95 % de la population qui trouve ça très plate la comptabilité. Mais un jeune, ça a du temps, de l'énergie et des idées... Il faut bien que ça sorte. Un jeune, ça bouscule l'autorité, c'est normal, c'est dans l'ordre des choses. C'est le rôle d'un jeune de remettre en question l'ordre établi... C'est comme ça dans tout le règne animal.

Mais voilà, nous y sommes, dans le vif du sujet : nos jeunes à nous, quand ils expriment leurs idées dans la rue, on frappe dessus. Oui, oui, vous m'avez bien lu, vous et moi, on cogne dessus. On leur donne des coups au visage, on les attaque à cinq contre un, on les traîne au sol, ça fait mal juste à regarder. Il y a des brûlures, des points de suture et toutes sortes d'autres blessures sérieuses. Et vous ? Je suis curieux... Vous trouvez ça normal de voir ça à la télévision tous les soirs ? En Birmanie, ou partout ailleurs où les droits sont bafoués, on trouve ça normal... Un État totalitaire, répressif, policier, c'est ailleurs, c'est pas grave, mais ici, chez nous... Vous trouvez ça normal ?

Peut-être que c'est juste moi ? Mais dans ma maison, on ne frappe pas les jeunes. Et chez vous, Messieurs? Non, bon, alors quoi ? Dans la rue, c'est correct ? Si ce ne sont pas VOS jeunes, c'est correct ?

Moi, j'ai honte ; honte de nous, honte de vous, honte de penser que ces images de ma ville et de ma province font le tour de la planète. Le soir, avant de vous endormir, est-ce que vous y pensez ? Avez-vous honte de ce qui se passe ? Ou est-ce que vous trouvez ça normal, vous ? Après tout, c'est vous les patrons ; si vous dites « on frappe les jeunes qui manifestent », alors on frappe. Si vous dites « on ne frappe pas », alors on ne frappe pas.

Mais méfiez-vous si ça devient « normal ». Un jour, ce sera au tour de vos petits-enfants de descendre manifester dans la rue : pour empêcher les Canadiens de Montréal de déménager à San Antonio, pour le droit à l'eau potable, pour les garderies gratuites, qui sait ? Et s'ils rentraient à la maison le front ensanglanté... ce serait toujours normal ?

Ne me parlez pas de l'itinéraire d'une manifestation, de marcher dans le sens du trafic, du maintien de l'ordre à l'heure de pointe, etc. Chez nous, on ne frappe pas quelqu'un qui n'est pas armé, un point c'est tout... J-A-M-A-I-S. Une personne qui en frappe une autre qui n'est pas armée, vous appelez ça comment, chez vous ? Ouais, chez nous aussi.

Bientôt, un accident va se produire, c'est inévitable. Si vous ne le voyez pas, c'est que vous refusez de le voir. Bientôt, un jeune ou un policier va perdre la vie... Ça ne peut qu'arriver. Et ce jour-là, eh bien ce sera de votre faute. La petite voix qui vous empêchera de dormir, ce sera votre conscience qui vous rappellera que vous auriez pu faire quelque chose. Souvenez-vous Messieurs, la crise d'Oka, ce soldat qui était de glace devant les provocations de « Lasagne », lequel était masqué en plus. Ça, on appelle ça être un gardien de l'ordre.

Vous savez, Messieurs, il y a un proverbe qui dit : « Qui ne dit mot consent ». C'est comme si vous teniez la matraque vous-mêmes.

Bonne nuit à vous,

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